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Le Moine de Képhas, Angelo Boschetti, Stepano Brasi

Ecrit par Mélanie Talcott 09.01.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Toucan

Le Moine de Képhas, traduit de l’italien par Olivero Garlasseri 283 pages

Ecrivain(s): Angelo Boschetti, Stepano Brasi Edition: Toucan

Le Moine de Képhas, Angelo Boschetti, Stepano Brasi

 

Loin de Michel Houellebecq, Le moine de Képhas nous plonge dans une fiction vs prémonitoire. Assassinat d’un imam de la mosquée de Villeurbanne, rebellions musclées dans les banlieues, chars antiémeutes, arrestations, comparutions immédiates, explosions, attentats, victimes innombrables, gouvernement ahuri et débordé, président mutique au charisme mou, couvre-feu, plan Vigipirate écarlate. L’état de guerre est déclaré. Les politiques et hauts fonctionnaires de l’Etat – vieille école de l’ombre « le seul endroit où l’on peut encore penser avant d’agir contre la génération Sciences-Po, ENA, où l’on forme depuis quatre décennies des bans entiers de squales débridés, sans maître, sans foi, sans loi, qui iront diriger le pays comme on gère une banque, sous les feux de la rampe ; pas de réflexion, juste de l’instinct – pensent fissa et en coulisses d’abord à leur carrière qui file en quenouille, la menace terroriste créant l’opportunisme de leur montée ou de leur rétrocession en grade, avec pertes et profits de leurs passe-droits matériels et sexuels. Les décisions politiques se prennent en fonction de la courbe des sondages. L’équipe gouvernementale fictionnelle en caricature d’autres, récentes ou actuelles.

Cet été, en juillet 2015, des explosifs ont été volés sur un site militaire à Miramas. Quelques jours plus tard, une explosion avait lieu sur un site pétrochimique américain à l’Etang de Berre. Coïncidence ? Ici, c’est en été 2014 qu’une explosion a lieu dans un complexe pétrochimique de Gennevilliers, puis à Feyzin et enfin sur un complexe gazier à Fos-sur-Mer. Les attentats relèguent au second plan les émeutes. Six autres explosions à Paris, la panique gagne la capitale. Immobilisée, piégée. Mobilisation générale des forces de l’ordre. « Un infarctus géant visant le cœur du pays… », revendiqué par Al-Qaida, devenu un concept terroriste générique : « Aujourd’hui, tout le monde peut se revendiquer d’Al-Qaida. L’action est importante. C’est la mission confiée aux islamistes. Porter le feu. Tout homme qui porte le feu peut le faire sous l’égide d’Al-Qaida ». Détourner l’attention pour libérer un détenu à Fleury-Mérogis, Omar, un iman gourou qui depuis l’intérieur rameute ses troupes djihadistes lourdement armées et exhorte les musulmans français des cités à se joindre à la guerre sainte. Alliance internationale des services secrets chapeautés par l’un des plus performants du monde, ceux du Vatican, le SIV, version revue et corrigée de la Sapinière fondée en 1903 par Umberto Benigni, un prélat antisémite notoire. Commencent alors un affrontement maquillé entre les hommes de l’ombre – Diener, l’éminence grise de Matignon – et ceux qui font des effets de manche sur la scène publique – Lansky le premier ministre –, entre les différents camps – services secrets et terroristes – avec opération d’infiltration sur fond romanesque, l’un des protagonistes, le capitaine Luciani, mandaté par le SIV et prêtre de son état étant également père adoptif. Tous efforts conjugués, tous compromis passés, ce dernier arrêtera l’instigateur de ce chaos organisé, le ridiculement – point de vue référence – prénommé Sheitan (diable en arabe).

Écrit par Stepano Brasi et Angelo Boschetti dont on ne sait rien, sinon que le second fut, selon son éditeur, un ancien agent infiltré des Services Secrets français, Le Moine de Kephas – Kephas étant le nom grec de Saint-Pierre – est un livre non dépourvu d’ambigüité. D’une part, les événements qu’il met en scène basculent dans une anticipation du pire peut-être à venir. D’autre part, il constitue un dangereux vadémécum à l’usage des fanatiques de tous poils. Sa critique des dérives politiques induit la stratégie possible de déstabilisation d’un État, inclus de l’intérieur, en noyautant les hommes jusqu’au sein de l’armée française et en utilisant les moyens informatiques, les réseaux islamistes communiquant par connections masquées aux quatre coins du monde. Le déroulement des attentats montre que leur efficacité répond également à leur bonne gestion. Diviser pour mieux régner…

Peu importe que ce livre soit classé comme thriller, polar sombre ou roman d’espionnage, que son action nous titille le suspense, que son style et ses dialogues soient ceci ou cela, que l’intrigue qui justifie les actes de certains protagonistes soit quelque peu surréaliste. On s’en fout. Ce qu’il nous raconte est ailleurs que dans le pitch. Il nous met le nez dans une potentialité que nous fuyons, qui nous fait dresser les cheveux sur la tête et nous « niqab » les neurones, la peur armant chez les uns une foi innommable et distillant chez les autres ses poisons de lâcheté, version humaniste et droits de l’homme. Il est plus facile de pleurer virtuellement sur les animaux que l’on mène à l’abattage que sur les êtres humains qu’on laisse crever de manière infâme. La mer étanche tous nos pleurs.

Le Moine de Képhas ? Une fiction des plus plausibles qui dans cette lutte « littéraire » contre l’islamisme radical, tire sa force du quotidien auquel notre société bisounours – ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre – est confrontée : « les événements qui se passent en France […] risquent d’ouvrir une brèche dans toute l’Europe. Si nous ne réglons pas cette affaire de l’intérieur, il y a de fortes chances pour que les revendications de l’imam Omar fassent des petits. Nous ne sommes plus dans une simple tentative de déstabilisation, mais dans un coup d’État qui ne dit pas son nom ».

Elle souligne le dilemme des musulmans de France par la voix du recteur de la mosquée de Paris : « Aucun de nos fidèles ne se reconnaît dans les actions de ces fondamentalistes mais nous sommes assimilés, quoi que l’on fasse, quoi que l’on dise, et pour beaucoup de nos frères, il est très difficile aujourd’hui de ne pas prendre position ». Mais laquelle ?

– D’autant plus que pour grossir les rangs des islamistes, point besoin d’aller faire son marché en Syrie ou en Afghanistan. « Les gosses de la troisième génération laissés pour compte, natifs de la seconde tout aussi reniés par leur pays d’accueil, élevés dans la misère de parents et de grands-parents ayant perdu leur vie en venant reconstruire la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne de l’après-guerre ».

– D’autant plus que les haines s’exacerbent et s’entretiennent insidieusement : « En France, on peut manifester dans la rue pour les retraites, contre le chômage, pour la sauvegarde du service public, contre les lois scélérates, mais exprimer sa colère quand on s’entasse dans les cités comme on s’entasse dans des prisons, c’est inacceptable. Deux mondes. Face à face, qui ne se comprennent plus, qui ont perdu le dictionnaire de traduction ».

– D’autant plus que l’instrumentalisation de la société musulmane en France est devenue un enjeu électoral. « Faire campagne sur les terres du Front national en faisant savamment remonter les revendications religieuses des immigrés : port du voile, écoles coraniques, repas halals dans les cantines municipales, séparation des piscines pour les hommes et les femmes, des médecins femmes pour les femmes dans les hôpitaux publics, des thèmes qui auraient très bien pu être gérés par les élus locaux, avec rappel au principe de laïcité, application de la loi républicaine, point barre. Mais non. La politique d’immigration en France a tellement été abandonnée à l’extrême-droite que la gauche s’est retrouvée à tergiverser ». Et la droite, « en ramenant ces épiphénomènes sociétaux sur le devant de la scène et en les accolant aux chiffres de la délinquance, en moquant les mollesses des socialos, des communistes et en caricaturant le grand humanisme des gauchistes révolutionnaires, il (le premier ministre Lansky) a muselé l’extrême-droite et lui a raflé une bonne partie de son électorat. […] Un cas d’école, qu’il envisageait de réutiliser pour la présidentielle à venir… »

Le moine de Képhas ? La trame du possible ne prend pas la tangente de tergiversations intellos. Elle est méthodique, froide, stratégique. La lecture de ce livre se fait paradoxale. L’avertissement au lecteur s’en trouve modifié : toute ressemblance avec la réalité est à imputer à cette dernière.

Dieu ou la politique, qu’importe, le pouvoir est affaire d’invasion.

 

Mélanie Talcott

 


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A propos de l'écrivain

Angelo Boschetti, Stepano Brasi

 

Stephano Brasi et Henri Boschetti sont 2 auteurs italiens de romans policiers et d'espionnage publiant parfois sous le nom de Boschetti & Brasi.

 

A propos du rédacteur

Mélanie Talcott

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Maquettiste free-lance (livre papier et numérique, livre clé en main)

Écrivain et auteur de : Les Microbes de Dieu (2011), Alzheimer... Même toi, on t'oubliera (2012)

Chronique à l'Ombre du Regard (2013), Ami de l'autre rive (2014), Goodbye Gandhi (2015 -

prix du jury 2016 du polar auto-édité), La Démocratie est un sucre qui se dissout dans le pétrole (2016)