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Articles taggés avec: Leuckx Philippe

Depuis une fissure, Elisa Biagini

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 21 Août 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Depuis une fissure, Cadastre8zéro, décembre 2017, trad. italien Jean Portante, Roland Ladrière, 208 pages, 13 € . Ecrivain(s): Elisa Biagini

 

Publié en langue originale par Einaudi en 2014, Da una crepa a obtenu en 2015 le Prix Marazza. Il vient d’en recevoir un autre (décerné par la revue Nunc) pour la traduction, remis officiellement lors du Marché de la poésie de Paris, Place Saint-Sulpice, ce printemps 2018.

En édition juxtalinéaire – italien/français – le livre de poèmes d’Elisa Biagini joue des formes économes (on ne va presque jamais au-delà des huit vers), d’une densité qui donne forme aux objets, aux images fortes (j’ai des chaises dans la poitrine), aux lieux faits d’angles, de tables, de chandelles.

La « fissure », l’échancrure (du cœur ? du corps ?) offrent au lecteur passage à des aveux (tu écris aux bords, /pour laisser du souffle/ à tes mots) et à une nouvelle traversée des poèmes-frères/sœurs de Celan et Dickinson.

En peu de mots, dire le peu, le chagrin de vivre ainsi, la réclusion derrière des persiennes closes, écoutant le poisson dans/ l’oreille, l’étrange destin d’être :

Matières Fermées, William Cliff

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 15 Août 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, La Table Ronde

Matières Fermées, mars 2018, 256 pages, 16 € . Ecrivain(s): William Cliff Edition: La Table Ronde

 

Deux cent dix-sept sonnets, disposés en huit « liasses » de textes, relatent l’ordinaire de la vie passée et présente de l’auteur belge, naguère publié chez Gallimard, dont l’incipit commence mal : « Me voilà déjeté… honni » ; qui se clôt sur le terme « oblivion » (ignoré par le petit Robert) ; entre les deux, pour combler la dose de haine ressentie et l’oubli inévitable qu’un sommeil peut accomplir, le temps d’une nuit de répit.

Dans une langue, qui prend son temps, pâte épaisse, toute de participes présents et de conjonctives, densément syntaxique, le poète de Gembloux (qu’il honore de nombre de mentions) retrace l’enfance, l’adolescence, les années de formation et de déformation (Petit-Séminaire…), les « sujets » au travail de ses parents, son « pauvre corps abattu, abîmé », ses amours, ses rencontres de hasard, de fortune, la voyoucratie qu’il exècre, ces impolitesses notoires dont sont victimes les voyageurs de train : « un malotru orné de deux donzelles/ monta et fit sonner des musiques “nouvelles”/ dont il voulait nous imposer le plein régime » (p.141).

L’églantine et le muguet, Danièle Sallenave

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 11 Juillet 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Histoire, Récits, Gallimard

L’églantine et le muguet, Danièle Sallenave, Gallimard, mars 2018, 544 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Danièle Sallenave Edition: Gallimard

 

Romancière, essayiste, traductrice de l’italien, ethnographe et mémorialiste des vies proches et ordinaires (Un printemps froid La vie fantôme Passages de l’est D’amour), Sallenave poursuit son travail de géologue et d’historienne des terres qu’elle connaît bien. Sa méthode éprouvée – fouiller les strates d’une culture, qu’elle soit antique (Rome) ou contemporaine (Nous, on n’aime pas lire) –, réussit à éclairer des pans entiers d’une province qu’elle comprend bien, l’Anjou, elle native d’Angers, qu’aujourd’hui, mis à part ses lisières, le département de Maine-et-Loire occupe.

Début 2017, Danièle Sallenave entreprend en voiture ses multiples traversées de ce département natal en quête de savoirs et d’éclairages. Cette terre des contrastes, des contradictions, tissée d’histoire révolutionnaire, écartelée entre communautés et intérêts bien étrangers les uns aux autres, a vécu les tragiques événements des Vendéens, des Chouans, entre 1793 et 1795.

Ni loin ni plus jamais suivi de Salabreuil le magnifique, Isabelle Levesque

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 03 Juillet 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Ni loin ni plus jamais suivi de Salabreuil le magnifique, éd. Le Silence qui roule, avril 2018, 36 pages, 9 € . Ecrivain(s): Isabelle Levesque

 

Rendre vie et hommage à un grand poète tôt disparu, Salabreuil, né en 1940, décédé en 1970 : tel est le vœu de l’auteure, versée dans la lecture du grand aîné depuis longtemps. Sur le terreau de citations tirées de L’Inespéré (Gallimard, 1969), Isabelle Lévesque – quinze recueils depuis 2010 – donne à Il a neigé sur de l’aurore et à « l’ossuaire d’en haut qui s’écroule » de dignes prolongements, où « l’ardeur est telle/encore », la ferveur et la lucide appréhension d’un univers marqué, chez le poète regretté, du sceau d’un « cri » non entendu, d’amour mal vécu, de l’Absence qui trouve ici à se décliner. À rebours, la neige, le poème, cette flambée de mots à l’adresse de celui qui a « brûlé » ses espérances. Lévesque, page 29, nous dit :

Un poète aimé ne meurt pas. Il renaît dans les mots du poème… il habite ce que nous écrivons à notre tour…

La poète convoque, saganesque, « les bleus de l’âme », multiplie les appositions, joue de l’intime correspondance :

La Pension Eva, Andrea Camilleri

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 27 Juin 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Métailié

La Pension Eva, mai 2018, trad. italien Serge Quadruppani, 144 pages, 9 € . Ecrivain(s): Andréa Camilleri Edition: Métailié

 

Pour ses quatre-vingts ans, le romancier sicilien d’Agrigente s’inventa une enfance en plein conflit mondial. Le livre paru en français en 2007 est réédité pour notre plus grand bonheur. Ici s’allient humour, truculence, joie de raconter, découvertes propres à l’adolescence, éveil à la sensualité, à la sexualité…

Nené – double sans doute du romancier – et ses copains Ciccio et Jacolino, pour qui la maison de passe « Pension Eva » devient un terrain de jeu, traversent cette période troublée – on gagne souvent les abris – à l’ombre des jeunes femmes et filles en fleurs. La Pension change de filles comme de chemises : tous les quinze jours, dans les belles semaines et beaux jours, une nouvelle « fournée » et ça fait le bonheur des locaux, des militaires, des jeunes oisifs, vitelloni siciliens, futurs étudiants palermitains.