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Ce léger rien des choses qui ont fui, Alain Duault

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 21 Juin 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Gallimard

Ce léger rien des choses qui ont fui, mai 2017, 208 pages, 19 € . Ecrivain(s): Alain Duault Edition: Gallimard

 

Pour Alain Duault l’essence de l’amour participe aux lèvres du temps : de l’aurore au soir de la vie peut en jaillir le même goût. Mais les mains aussi comme le reste du corps participent à l’énigme intime qui paradoxalement arrive à effacer celui de l’univers. Il ne s’agit pas dans ce but de ressasser le passé mais de revenir à un éternel présent. Il n’est pas sans passé mais ne fait pas injure au possible.

Echantillon du vacarme ou souffle à peine, l’amour est bien plus qu’un soubresaut. Prenant appui sur le silence, naissant de ses abîmes, le poète l’intègre à son rythme comme une secrète respiration peu à peu restituée au temps. Et qu’importe si celui-ci conduit irrémédiablement à la nuit. Il faut croire qu’un jour « se lèvera demain », ici même, et « continuer à chercher la sortie du labyrinthe » revient à accepter de s’y perdre afin de refuser de s’apparenter au néant.

Duault touche au plus profond, comme dans les lieder de Schubert, dans les quelques lignes mélodiques de Beethoven ou dans les partitions musicales demandées de Philip Glass. Le poète crée sa musique paradoxale, à la limite du murmure, l’union des contraires : présence et absence, force et faiblesse. C’est là la manière du poète afin d’appréhender ce Grand Secret cher à Henri Michaux et qu’il convient à tout créateur digne de ce nom de se saisir.

Chroniques politiques des années trente (1931-1940), Maurice Blanchot

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 17 Mai 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Gallimard

Chroniques politiques des années trente (1931-1940), Les Cahiers de la NRF, avril 2017, 560 pages, 29 € . Ecrivain(s): Maurice Blanchot Edition: Gallimard

Pour aborder les chroniques politiques de Blanchot, il ne faut pas chercher où se situe son propos par rapport aux traditionnels discours et doxas des écrivains politiques. Pour autant son propre discours n’est pas simplement « littéraire ». Mais il représente trop une remise en question de la politique pour ne pas échapper à sa « zone » d’influence. Blanchot comprend vite que la politique n’est pas à même de s’attribuer ce qu’elle prétend accomplir. D’une certaine manière elle peut paraître « sans droits » tant elle les bafoue. Si bien qu’il demande aux politiciens ce qu’ils ne peuvent pas : être conséquents avec leurs actes.

Une telle attitude est pratiquement brute et sauvage. Blanchot s’est donc heurté à une impasse que l’invasion allemande signera pratiquement définitivement. Certes, il se sentait déjà « démissionnaire » par rapport à ses écrits politiques. Et lorsque Drieu de la Rochelle lui demanda de bien vouloir continuer à écrire dans la NRF « à condition d’écarter tous textes politiques », la messe était dite. Et Blanchot d’ajouter : « écrivain inconnu je ne constituerais pas une digue suffisante contre les occupants ». Une page se tournait.

Chansons du seuil, Peter Gizzi

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 11 Mai 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, USA, Editions José Corti

Chansons du seuil, avril 2017, trad. USA Stéphane Bouquet, 82 pages, 16 € . Ecrivain(s): Peter Gizzi Edition: Editions José Corti

Jamais classique et parfois marquée par une expression des sentiments amoureux, toute la poésie de Peter Gizzi pourrait se synthétiser dans un de ses courts textes Une rosette pour Mike : « mots lignes visages / simuler trace étrange : pluie deuil nuit / le soleil / le soleil »… Peu à peu l’auteur a découvert une voix originale et libre. D’une part en s’orientant à l’écoute du monde, du temps et du corps et en allant insensiblement – effet d’âge sans doute… – vers le doute dans ce qui devient des courts traités de réflexion et de rêveries qui n’ont rien d’évanescentes. Un approfondissement des sensations s’inscrit à la manière « d’un récit froid » qui ne manque pas pour autant de chaleur.

Le poète prouve que sombre et noir ne sont pas un même concept. Le sombre n’est jamais brillant, il ne peut refléter la lumière. Le noir à l’inverse peut briller et renvoyer la clarté. Le sombre est gris, il est entre ce qui soustrait la vue et la rend visible. Le noir est une couleur : il gagne donc en intensité. C’est seulement en absence de lumière que le gris l’acquiert. Mais le poète américain prouve aussi que les couleurs existent réellement près de l’obscur comme les mots ne parlent que près du silence. D’où la maturité originale des Chansons du seuil. En émanent un regard et une émotion en un paradoxe de fantaisie, de réalité et d’encre qui lie l’ensemble de chaque texte.

L’art du livre tactile, Catherine Liégeois

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 13 Avril 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts, Gallimard

L’art du livre tactile, mars 2017, 160 pages, 32 € . Ecrivain(s): Catherine Liégeois Edition: Gallimard

 

Livres monstres

Ce qu’un livre montre n’est pas toujours ce que l’on croit. Le logo qu’il contient non seulement peut prendre un autre sens, il peut se toucher. En devenant tactile et sous divers registres le livre crée un « saisissement » particulier autant pour les enfants que les adultes, pour les handicapés que les esthètes avides de trouver de quoi optimiser leurs différences.

Bref, le livre ouvre bien au-delà de ses attendus classiques. Non seulement le livre se hume, se caresse, offre une intimité particulière qui s’interprète tactilement en devenant signe et non seulement contenant les significations. Il devient une peau non fuyante, elle se grève de stigmates. Le livre est donc un objet volumique qui se palpe, se tâte. Son aspect tactile devient par lui-même objet de connaissance. La texture peut piquer, râper voire modifier un propos purement typographique selon des connexions que Catherine Liégeois met en exergue de manière originale. Ce qui se creuse devient palpable parfois pour permettre au non voyant de voir, à l’apprenti érudit de comprendre et à l’amateur de sensations fortes de quoi éprouver des rencontres singulières.

Le portrait véritable, Jean Frémon

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 04 Avril 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Contes, Fata Morgana

Le portrait véritable, mars 2017, ill. originales Jaume Plensa, 64 pages, 13 € . Ecrivain(s): Jean Frémon Edition: Fata Morgana

 

Jean Frémon aime les contes : il l’a déjà souvent prouvé. Il aime autant les images et s’en est fait le défenseur autant dans ses écrits qu’en tant que « galeriste ». Il danse dans leur cadre, file dedans pour ne plus s’arrêter. Il leur donne de la gaieté par celle que provoquent ses six contes réunis ici et illustrés par un de ses artistes fétiches (Jaume Plensa) auquel il a consacré un superbe ouvrage, Lilliput, aux éditions de la Galerie Lelong.

Apologues et anecdotes, inventées ou non, deviennent l’image des images. L’écriture est riche d’une grâce adolescente, et la lumière semble prendre feu au vol de la rosée de l’herbe. Les gouttes d’eau roulant sur la terre froide deviennent des coraux, des cristaux. Et tout est à l’avenant.

Le poète accepte le sensible comme source première de l’intuition et de la connaissance, l’art fertilise les mots, et les mots l’art, manière de ne pas limiter les capacités des différents langages à décrire le monde dans l’ensemble, les limites de l’humain à connaître.