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Un bâtard en Terre promise, Ami Bouganim (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 02 Mai 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Israël, Roman

Un bâtard en Terre promise, Editions La Chambre d’Echos, février 2018, 173 pages, 16 € . Ecrivain(s): Ami Bouganim

La parution de Sérotonine, de Michel Houellebecq, fut l’occasion de rappeler ce principe bien connu des études littéraires : la distinction entre auteur et narrateur. Non, ce n’est pas Houellebecq qui a critiqué telle ville de l’Ouest de la France, mais son narrateur ; de même que c’était le narrateur d’Extension du domaine de la lutte qui affirmait que « Rouen a dû être une des plus belles villes de France ; mais maintenant tout est foutu. Tout est sale, crasseux, mal entretenu, gâché par la présence permanente des voitures, le bruit, la pollution. Je ne sais pas qui est le maire, mais il suffit de dix minutes de marche dans les rues de la vieille ville pour s’apercevoir qu’il est complètement incompétent, ou corrompu » (chapitre 3).

D’un côté, on ne peut s’empêcher de penser que cette distinction entre auteur et narrateur dégage un net parfum de sophistique, qui permet à l’auteur d’écrire ce qu’il a envie d’écrire et de s’abriter ensuite derrière un être de papier. Mais, d’un autre côté, admettre l’existence d’un narrateur permet de résoudre d’inévitables contradictions, voire des apories (qui est le porte-parole de l’auteur, à supposer qu’il y en ait obligatoirement un ?). Le narrateur des Particules élémentaires ou de Sérotonine est et n’est pas Michel Houellebecq. Du point de vue de la logique aristotélicienne, c’est difficile à admettre, mais si Aristote jugeait la fiction supérieure à l’histoire au point de vue de la vérité, il aurait pu en dire autant de la fiction par rapport à la logique.

Trois jours à Jérusalem, Stéphane Arfi (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 16 Avril 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Jean-Claude Lattès

Trois jours à Jérusalem, octobre 2018, 316 pages, 18,50 € . Ecrivain(s): Stéphane Arfi Edition: Jean-Claude Lattès

 

Les « vies de Jésus » forment une sous-catégorie particulière du genre littéraire appelé « biographie » et aucun être humain, si longue que soit son existence, ne pourra les lire toutes. Comme cela se produit invariablement, cet amoncellement de volumes, qui soutiennent des positions contradictoires, finit par s’auto-annuler et par s’affaisser sous sa propre masse. On en revient alors au point de départ, à ces quelques dizaines de pages du Nouveau Testament, dues à de très grands écrivains, de même qu’on revient toujours à Platon ou à Shakespeare, quand les yeux et l’esprit sont fatigués d’avoir compulsé des piles de thèses et d’études critiques à leur sujet.

Loin d’être une biographie exhaustive, le mince recueil que l’on désigne sous l’expression de Nouveau Testament garde un silence infranchissable sur des pans entiers de la vie du Christ. De même que certains individus ne supportent pas le silence et éprouvent le besoin de le remplir par ce qui vaut rarement mieux que lui – du bruit ou du verbiage – on a très tôt tenté de meubler le silence des Évangiles. Une bonne part de ce qu’on appelle la littérature apocryphe n’est rien d’autre qu’une tentative, très rarement réussie, de briser ce silence.

Erev. À la veille de…, Eli Chekhtman (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 11 Avril 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Pays de l'Est, Roman, Buchet-Chastel

Erev. À la veille de…, novembre 2018, trad. yiddish Rachel Ertel, 816 pages, 27 € . Ecrivain(s): Eli Chekhtman Edition: Buchet-Chastel

 

« C’est un chef-d’œuvre, achetez-le, faites-vous le offrir, procurez-vous le par tous les moyens légaux et lisez-le ». Voilà ce qu’on a envie d’écrire à propos d’Erev, et la recension pourrait s’arrêter là. On se sent néanmoins obligé d’en dire davantage.

Au moment où ce compte rendu est rédigé, l’encyclopédie en ligne Wikipédia, accueillante aux politiciens de tous bords, si insignifiants soient-ils, aux acteurs du huitième rang et aux peintres du dimanche après-midi, ignore qui fut Eli Chekhtman (1908-1996), écrivain russe d’expression yiddish qui acheva sa vie en Israël ; comme un autre auteur important, Abraham Sutzkever (1913-2010). Bien qu’honorée par un Prix Nobel (avec Isaac Bashevis Singer, en 1978), la littérature yiddish, sa poésie, ses pièces de théâtre, ses journaux (l’épée d’académicien d’Alain Finkielkraut s’orne de l’aleph hébraïque, en souvenir du quotidien yiddish que lisait son père), la littérature yiddish est une Atlantide engloutie, alors que la langue fut pratiquée sur une grosse moitié du continent européen (de l’Alsace à la Russie). Erevest une lumière qui nous vient d’un monde aboli.

Physique de l’esprit Empirisme, médecine et cerveau (XVIIe-XIXe siècles), Céline Cherici, Jean-Claude Dupont, Charles T. Wolfe (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 02 Avril 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Hermann

Physique de l’esprit Empirisme, médecine et cerveau (XVIIe-XIXe siècles), Céline Cherici, Jean-Claude Dupont, Charles T. Wolfe, janvier 2018, 248 pages, 24 € Edition: Hermann

 

« Poe avait un front vaste, dominateur, où certaines protubérances trahissaient les facultés débordantes qu’elles sont chargées de représenter – construction, comparaison, causalité –, et où trônait dans un orgueil calme le sens de l’idéalité, le sens esthétique par excellence ». Cette remarque de Baudelaire au sujet de l’écrivain américain dont il se fit l’intercesseur empressé, est inintelligible si l’on néglige son arrière-plan médical. Le poète convoque ici ce que nous regardons comme une « fausse science », qui connut toutefois un succès durable au XIXe siècle : la phrénologie ou étude des bosses du crâne, élaborée par le médecin allemand Franz Joseph Gall (1758-1828). Son idée était assez simple pour qu’elle fût séduisante : toutes les facultés de l’esprit devraient avoir une manifestation, une transcription anatomique, dans la forme du crâne et particulièrement dans la présence, à certains endroits, de certains reliefs (un crâne humain est rarement aussi lisse qu’on œuf ou un galet). Gall élabora une véritable cartographie de l’occiput.

Lettres 1672-1722, Élisabeth-Charlotte Duchesse d’Orléans (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 28 Mars 2019. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Lettres 1672-1722, Élisabeth-Charlotte Duchesse d’Orléans (née Princesse Palatine), Mercure de France, coll. Le Temps retrouvé, janvier 2018, préface Pierre Gascar, édition établie et annotée Olivier Amiel, 736 pages, 12 €

« Il faut que vous ayez perdu tout souvenir de moi pour que vous ne me rangiez pas parmi des laides : je l’ai toujours été et le suis devenue davantage encore par suite de la petite vérole ; de plus ma taille est monstrueuse, je suis carrée comme un dé, la peau est d’un rouge mélangé de jaune, je commence à grisonner, j’ai les cheveux poivre et sel, le front et le pourtour des yeux sont ridés, le nez est de travers comme jadis, mais festonné par la petite vérole, de même que les joues ; je les ai pendantes, de grandes mâchoires, les dents délabrées ; la bouche aussi est un peu changée, car elle est devenue plus grande et les rides sont aux coins » (lettre du 22 août 1698, p.238-239). Il est rare qu’une femme pousse aussi loin la dépréciation de soi. Nous savons, certes, que celle qui écrivit ces lignes ne passait pas pour une beauté, mais à ce point… Elle avait en revanche de l’esprit, et du meilleur. Fille du prince-électeur palatin, Élisabeth-Charlotte avait été arrachée à son Allemagne natale lorsqu’elle se trouva fiancée – évidemment sans qu’on lui demandât son avis – au frère de Louis XIV, Philippe d’Orléans, dont l’homosexualité était notoire. Ce n’est pas le genre de prince charmant dont rêvent les jeunes filles, si laides soient-elles.