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Éloge du livre et autres textes sur la littérature et les œuvres de l’esprit, Stefan Zweig (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 15 Octobre 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Éloge du livre et autres textes sur la littérature et les œuvres de l’esprit, Stefan Zweig (1920-1940), Paris, Archipoche, 2025, 192 pages, 12 €.

 

Stefan Zweig fut un homme du monde d’avant, c’est-à-dire – à Vienne ou ailleurs – d’un monde où la présence quotidienne, rassurante, des livres et l’existence d’abondantes bibliothèques privées allait de soi. Même s’il était déjà un produit industriel, le livre demeurait un objet précieux, quasiment sacré, relié, encaustiqué, transmis. Il ne s’agit pas de dire que la métropole viennoise, comme toutes les grandes cités d’Europe et même les campagnes, n’abritait pas un prolétariat, voire un lumpenproletariat (Hitler en sortit), à qui des charlatans promettaient l’émancipation sociale et où, en attendant un Grand Soir qui n’est toujours pas venu, on recrutait les domestiques qui permettaient aux classes sociales plus élevées de se livrer aux travaux de l’esprit, quels qu’ils soient. Il est aujourd’hui difficile d’imaginer l’existence quotidienne de Zweig, qui pouvait écrire toute la journée et tous les jours (ce qui explique en partie le caractère profus de son œuvre) sans jamais se soucier de l’intendance, du ménage, des repas, etc.

Ma Poussière est l’or du temps, Lucien X. Polastron (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 07 Octobre 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Ma Poussière est l’or du temps, Lucien X. Polastron, Autobiographie de La Bibliothèque recueillie et mise en état par Lucien X. Polastron, usager, Paris, Les Belles Lettres, 2024, 192 pages, 23, 50 €.

À une époque où la rhétorique ne se réduisait pas seulement à une demi-douzaine de figures de style ânonnées laborieusement dans l’enseignement secondaire pour donner l’illusion de la technicité au milieu d’une immonde bouillie syntaxique, on appelait cela une prosopopée (« La prosopopée […] consiste à mettre en quelque sorte en scène, les absents, les morts, les êtres surnaturels, ou même les êtres inanimés ; à les faire agir, parler, répondre, ainsi qu'on l'entend », écrivait Fontanier). La prosopopée des lois dans le Criton de Platon et celle de Fabricius chez Rousseau en sont des exemples canoniques.

Dans une prosopopée vertigineuse, Lucien X. Polastron imagine de faire parler LA Bibliothèque ; pas UNE bibliothèque, si vénérable, prestigieuse et étendue soit-elle (la Mazarine, l’Inguimbertine, la Bibliothèque du Congrès, la British Library, …). Où naquit et grandit la première bibliothèque de l’Histoire ? Nul ne le sait. On peut supposer que ce fut dans ce que les historiens appellent le « croissant fertile ». Pierre, argile, papyrus, os, papier, … : de nombreux matériaux furent utilisés par les hommes pour transmettre des mots et des pensées qui, aujourd’hui encore, n’étaient pas toujours dignes de l’être.

Les Tribulations d’un chercheur en littérature, Vincent Laisney (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 29 Septembre 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Les Tribulations d’un chercheur en littérature, Vincent Laisney, La fabrique des Souvenirs, Paris, CNRS Éditions, 2025, 356 pages, 25 €.

 

Comme l’écrit dans sa préface Marie-Ève Thérenty, professeur à l’université de Montpellier, qui dirige également la collection où ce volume est accueilli (on comprend dès le départ qu’on est dans un confortable entre-soi), le livre que Vincent Laisney a fait paraître sous un titre un peu étrange possède au moins deux niveaux de lecture.

Le premier est celui d’un ouvrage universitaire comme il s’en publie chaque année des centaines et qui forment ce qu’on appelle de manière peu aimable mais nullement injuste la « littérature grise », que seules achètent en général les bibliothèques universitaires (nous sommes donc en face d’un système fermé sur lui-même). Les trente pages de bibliographie témoignent du sérieux de la recherche. Vincent Laisney s’est attaché à explorer et à cartographier un territoire méconnu, celui d’une sous-catégorie des mémoires appelée « souvenirs littéraires » (ceux de Maxime Du Camp, qui portent précisément ce titre, sont parmi les plus connus ou les moins oubliés).

L’Homme sans langue, Adrien Finck, suivi de Résistance par la langue (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 23 Septembre 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Langue allemande

L’Homme sans langue, Adrien Finck, suivi de Résistance par la langue, traduit de l’allemand et de l’alsacien par Michèle et Angèle Finck, Paris, Arfuyen, paru en avril 2025, 268 pages, 19,50 €.

 

Le Musée Unterlinden de Colmar conserve, sans l’exposer (ce ne fut pas toujours le cas), une tête momifiée longtemps présentée comme ayant appartenu à Pierre de Hagenbach (1423-1474), bailli de Charles le Téméraire, décapité à Breisach. La médecine légale a déterminé que cette attribution était fausse, mais la relique n’en demeure pas moins impressionnante, les yeux clos, les lèvres retroussées au-delà de la mort sur un rictus qui a traversé les siècles. Quel qu’en ait été le propriétaire réel, qu’on ne connaîtra sans doute jamais (un soldat décapité par les Turcs ?), cette tête momifiée rappelle une réalité : si elle est aujourd’hui une région opulente, débonnaire et riante, dont les touristes visitent par cars entiers les villages pittoresques et les marchés de Noël, une région où l’on mange bien et où l’on a l’alcool joyeux (contrairement à la Lorraine voisine), l’Alsace fut des siècles durant une terre où déferlèrent les armées, avec leurs cortèges de violences, de pillages, de sang et de destructions.

Bat Ye’or, Le Dhimmi. Documents (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 18 Septembre 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Bat Ye’or, Le Dhimmi. Documents, avec une étude de Rémi Brague, Saint-Victor-de-Morestel, Les Provinciales, 2025, 332 pages, 26 €.

 

Au même titre que jihad, halal, burka, tchador ou abaya, dhimmi faisait partie de ces termes qui, il y a encore une cinquantaine d’années, n’étaient connus en Occident que des arabisants ou des islamologues. En dehors des ouvrages spécialisés, le concept de dhimmi est apparu une des premières fois dans un livre posthume de Jacques Ellul, Islam et judéo-christianisme (2004) ; volume qui réunissait deux textes, dont le second était la traduction de la préface (écrite en anglais) à la version américaine du livre de Bat Ye’or, The Dhimmi : Jews and Christians under Islam (1985). Avec sa lucidité acérée et coutumière, Ellul allait à l’essentiel : en terre d’Islam, le dhimmi est un non-musulman qui bénéficie, moyennant le paiement d’un impôt nullement symbolique, d’une protection. Le dhimmi est donc « protégé » mais, se demandait Ellul, « protégé » contre qui ? La réponse n’est pas difficile : contre la violence que l’islam lui-même pourrait exercer à son encontre. La similitude avec les pratiques de la mafia apparaît inévitablement.