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Les Mystères de Marseille Œuvres complètes, Émile Zola (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier 17.10.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Classiques Garnier

Les Mystères de Marseille Œuvres complètes, Émile Zola, 506 pages, 47 €

Edition: Classiques Garnier

Les Mystères de Marseille Œuvres complètes, Émile Zola (par Gilles Banderier)

 

Serait-il mort ou eût-il arrêté d’écrire sitôt Les Mystères de Marseille publiés (en 1867), Émile Zola croupirait dans l’oubli le plus noir, et il n’est même pas sûr qu’une entreprise comme le Dictionnaire des Lettres Françaises, pourtant accueillant aux écrivains mineurs, lui eût accordé plus de quelques lignes.

Parus en feuilleton dans Le Messager de Provence, puis édités en volume, Les Mystères de Marseille sont une œuvre alimentaire, ce que Zola n’a jamais dissimulé. Mais la liste est longue des romans, des pièces de théâtre, des poèmes parfois, qui permirent à leur auteur de faire bouillir la marmite et qui (malgré cela ou à cause de cela) sont des chefs-d’œuvre. Ce qui frappe le lecteur des Mystères de Paris, c’est l’absolue disjonction entre ce roman – que Zola n’a jamais renié – et les Rougon-Macquart. Dans la préface, Daniel Compère, l’éditeur scientifique du volume, a beau relever quelques points communs entre le grand cycle romanesque et cette œuvre oubliée (la critique sociale, le travail sur documents), on n’en a pas moins l’impression que ces œuvres sont dues à deux individus différents et, ajoutera-t-on, aussi différents que peuvent l’être un écrivain génial et un humble feuilletoniste.

Les Mystères de Marseille constituent un défi pour les professeurs de stylistique qui, à la manière des œnologues pratiquant le rituel de la dégustation à l’aveugle, prétendent être capables d’attribuer une page sans en connaître l’auteur. Qui, à la lecture de ces chapitres, reconnaîtrait l’auteur de Germinal ?

Certes, on retrouve ici et là des thèmes, des situations, que Zola réutilisera plus tard. Certes, Les Mystères de Marseille sont construits autour de l’affrontement des classes sociales (un roturier, Philippe Cayol, enlève la fille d’un noble local, M. de Cazalis, qui n’aura de cesse de vouloir se venger), mais ne trouverait-on pas d’autres affrontements du même genre dans le tout-venant littéraire de l’époque ? Comme nombre d’œuvres mineures, ce roman vaut en tant que description sociologique de la cité phocéenne dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec ses rentiers, ses entrepreneurs, ses prêtres, son petit peuple et – déjà – son bouillonnement et son insalubrité (le feuilleton s’achève lors de l’épidémie de choléra qui éclata l’été 1849 : « Ce serait une douloureuse histoire à écrire que celle des nombreuses et terribles épidémies qui ont désolé Marseille. La position de cette cité dans un climat chaud, ses continuels rapports avec l’Asie, la saleté de ses vieilles rues, tout semble la désigner fatalement comme un foyer d’infection où les maladies contagieuses se propagent avec une rapidité effrayante », p.411).

On serait tenté de dire qu’en 1867, Zola débutait, mais ce ne serait pas tout à fait exact : il avait déjà publié Thérèse Raquin, qui est d’une autre envergure et, surtout, les Rougon-Macquart n’étaient pas si loin que cela dans l’avenir. Qui referme Les Mystères de Marseille a le sentiment d’avoir croisé une mue d’orvet au bord d’un chemin, comme si Zola s’était dépouillé de sa manière d’écrire (Thérèse Raquinmontre qu’il la possédait déjà) pour endosser une défroque ordinaire et alimenter la presse quotidienne, gourmande en feuilletons (comme le remarque Daniel Compère, les œuvres étaient alors nombreuses, qui s’intitulaient Les Mystères de…).

Si Les Mystères de Marseille, qui se lisent sans déplaisir, valent quelque chose, c’est en ceci, non qu’ils éclairent (car le phénomène est fondamentalement opaque), mais qu’ils enrichissent notre connaissance des processus complexes de la création littéraire.

 

Gilles Banderier

 

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A propos du rédacteur

Gilles Banderier

 

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Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).