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Articles taggés avec: Banderier Gilles

Autour des livres, du nécrologe au martyrologe, Precamur fraternitatem vestram, Jean-Loup Lemaître (par Gilles Banderier)

, le Mercredi, 08 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Autour des livres, du nécrologe au martyrologe, Precamur fraternitatem vestram, Jean-Loup Lemaître, Coordination éditoriale, Patrick Henriet, Pauline Bouchaud, Librairie Droz, Genève, septembre 2019, 714 pages, 89 €

 

C’est une platitude de déclarer que la littérature n’existe pas sans les livres. On objectera que de riches et abondantes littératures orales se sont développées, en Europe ou ailleurs. Mais existent-elles encore ? Sont-elles transmises à une époque où la modernité a envahi les moindres recoins de la planète et où l’on est parfois directement passé de l’oralité à la télévision ? La remarque initiale – la littérature n’existe pas sans les livres – en appelle une autre. Si la production de textes écrits (et en particulier de fiction) apparaît comme un trait caractéristique de l’espèce humaine (ainsi que – diraient les cyniques – le massacre de ses semblables, en dehors de toute logique de subsistance ou de survie), le livre a connu, de même que tous les artefacts, une évolution. La Bible hébraïque et la littérature gréco-latine furent copiées siècle après siècle sur des rouleaux de parchemin, auxquels le judaïsme est demeuré fidèle dans l’usage liturgique (de nos jours encore, un sefer Torah se présente sous la forme d’un rouleau manuscrit).

Reflets des jours mauves, Gérald Tenenbaum (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 31 Mars 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Héloïse D'Ormesson

Reflets des jours mauves, Gérald Tenenbaum, octobre 2019, 200 pages, 17 € Edition: Héloïse D'Ormesson

Existe-t-il des affinités aussi mystérieuses que subtiles entre la musique et le code génétique qui, à partir de quarante-six chromosomes, fait qu’aucun être humain ne ressemble exactement à un autre ? Ce même code génétique forme-t-il la figure moderne (mais en réalité éternelle) du destin, du fatum antique ? Se contente-t-il – ce serait déjà beaucoup – de déterminer la couleur de nos yeux, de nos cheveux, la forme de notre nez, ou régit-il également nos goûts, nos actions ? Existe-t-il des affinités plus mystérieuses et plus subtiles encore entre le code génétique et la Kabbale, ce très ancien courant du judaïsme, qui scrute non seulement les mots du texte sacré, mais encore les lettres de chaque mot à la recherche d’un sens caché ? Dieu a créé le monde par un acte de langage.

On le sait, les « littéraires » s’intéressent peu aux avancées scientifiques. George Steiner a écrit à ce sujet une page amère. Au rebours, non seulement les scientifiques cultivent souvent les arts en amateurs éclairés, mais ils nous donnent parfois des œuvres à part entière, comme ces Reflets des jours mauves, dont l’auteur enseigne les mathématiques à l’université de Nancy (on lui doit des ouvrages sur les fascinants nombres premiers, ainsi qu’une Introduction à la théorie analytique et probabiliste des nombres).

Mon Siècle, ma jeunesse, Anatoli Mariengof (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 24 Mars 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Biographie, Russie, Editions Noir sur Blanc

Mon Siècle, ma jeunesse, Anatoli Mariengof, octobre 2019, trad. russe, Anne-Marie Tatsis-Botton, 358 pages, 23 € Edition: Editions Noir sur Blanc

 

Anatoli Mariengof (1897-1962) est une figure mineure des lettres russes au XXe siècle et – sauf réévaluation toujours possible – devrait le rester. Mais, précisément, c’est ce caractère de minorité qui le rend intéressant. Il est en effet connu que les « petits maîtres » réfractent plus exactement l’esprit de leur époque que les auteurs de tout premier ordre. On ne sait pas si Nizan a eu raison en disant qu’avoir vingt ans n’est pas le plus bel âge de la vie. Quoi qu’il en soit, Mariengof fêta ses vingt ans lorsque la révolution bolchévique bouleversa de fond en comble son vaste pays. Les années qui précédèrent et suivirent cet événement cardinal (au sens premier de l’épithète) furent, en Russie comme ailleurs, des années d’intense bouillonnement intellectuel. Comme un fin sismographe, les mémoires de Mariengof captèrent et restituèrent cette vie spirituelle. Leur auteur connut à peu près tous ceux qui comptèrent au plan artistique durant cette période. Il parvint à la traverser et, ce qui est le plus important, à y survivre et réussit à mourir de mort naturelle (la mort est-elle naturelle ? c’est un autre débat).

Le Temps des magiciens, 1919-1929, L’invention de la pensée moderne, Wolfram Eilenberger (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 17 Mars 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Albin Michel, Essais, Langue allemande

Le Temps des magiciens, 1919-1929, L’invention de la pensée moderne, Wolfram Eilenberger, septembre 2019, trad. allemand, Corinna Gepner, 460 pages, 22,90 € Edition: Albin Michel

C’est une photo de classe comme on en a pris des dizaines de milliers ; avec des enfants aujourd’hui réduits en poussière, quelles qu’aient été leurs vies après le passage du photographe. Sur cette photo des années 1900, au lycée technique de Linz (Autriche), on remarque à moins de deux mètres l’un de l’autre deux élèves nommés Ludwig Wittgenstein et Adolf Hitler. Nul ne le sait au moment où le cliché a été pris, mais il résume à lui seul une bonne partie du XXe siècle.

Présenter de manière agréable et claire quatre des systèmes philosophiques parmi les plus ardus est une gageure que Wolfram Eilenberger, d’une plume alerte et vive, est presque parvenu à relever. À sa décharge, on notera que la pensée de Heidegger demeure opaque sous bien des rapports et que, comme on l’a observé, il n’est pas sûr que certains de ses écrits aient simplement un sens. Le Temps des magiciens entrelace avec habileté les biographies de quatre philosophes majeurs du XXe siècle : Ludwig Wittgenstein, Ernst Cassirer, Walter Benjamin et Martin Heidegger, envisagés durant la décennie qui court de 1919 à 1929.

Écrits spirituels du Moyen Âge, en La Pléiade (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 12 Mars 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Écrits spirituels du Moyen Âge, Gallimard, La Pléiade n°643, octobre 2019, Édition et trad. latin, Cédric Giraud, 1210 pages, 63 €

Le film théologique (quel autre adjectif employer ?) de Terrence Malick, Tree of Life (une double référence explicite à saint Bonaventure et à la Kabbale) s’ouvre par deux citations ; l’une – écrite – du livre de Job (38, 4 et 7), l’autre – dite par une voix off féminine – sur les rapports de la nature et de la grâce, tirée d’un des livres les plus diffusés au monde, L’Imitation de Jésus-Christ, composée au XVe siècle par le chanoine Thomas a Kempis. Et – cela fait partie du génie de Malick – cette citation d’un texte vieux d’un demi-millénaire s’insère de façon naturelle dans la trame du film. On retrouve l’Imitation dans la magnifique anthologie de la Pléiade consacrée aux Écrits spirituels du Moyen Âge.

La constitution de toute anthologie pose la double question du goût personnel de celui qui l’assemble et du caractère représentatif des textes choisis. Le critère retenu ici est simple : la renommée de ces œuvres en leur temps, attestée à la fois par le nombre de manuscrits (d’une époque où la copie et la diffusion d’un livre sont des entreprises coûteuses et fastidieuses, nous avons conservé 512 manuscrits des Soliloques du pseudo-Augustin) et la présence d’un titre parmi les listes de lectures alors conseillées (p.XVII). L’agencement des textes est à la fois le plus simple et celui qui prête le moins à discussion : l’ordre chronologique.