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Les Livres

Les maîtres du printemps, Isabelle Stibbe

Ecrit par Cathy Garcia , le Mardi, 03 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, La Une Livres, Roman, Serge Safran éditeur

Les maîtres du printemps, août 2015, 181 pages, 17,90 € . Ecrivain(s): Isabelle Stibbe Edition: Serge Safran éditeur

 

« Ici vous entendrez parler acier, métallurgistes, syndicalistes, ici vous entendrez parler usines, nationalisation, chômage. Si pour vous ces mots sont synonymes de nuisances et de laideur, s’ils vous font l’effet de répulsifs, si vous prétendez qu’ils doivent être réservés aux colonnes des journaux, section économie ou société, refermez aussitôt ce livre ou, pour les plus modernes d’entre vous, éteignez votre liseuse, en tout cas passez votre chemin, ce texte n’est pas pour vous, autant vous prévenir tout de suite. Entre le ciel et la boue, préférez le ciel, c’est moins salissant ».

Voilà, le ton est donné, ce livre qui a autant de corps que d’âme, une écriture travaillée à la hauteur du sujet, est dédié avant tout « aux combattants sincères de Florange », puis dédié plus largement à tous les travailleurs de ces hauts-fourneaux de Lorraine qui ont fermé, les uns après les autres, et dédié encore plus largement à la mémoire ouvrière, sans misérabilisme, sans naïveté. Fouillé, il vise avec justesse son but, mettre en lumière la dignité de cette classe considérée comme une sous-classe, classe qui après avoir été exploitée pendant plus d’un siècle, se voit maintenant mise à la rue, comme un encombrant obsolète.

Péchés Capitaux, Jim Harrison

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 02 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Flammarion

Péchés Capitaux, septembre 2015, trad. de l’anglais (USA) par Brice Matthieussent, 350 pages, 21 € . Ecrivain(s): Jim Harrison Edition: Flammarion

 

Depuis 1971, l’œuvre de Jim Harrison (1937) s’étoffe environ tous les deux ans d’un nouvel ouvrage, et, force est de l’admettre, après en avoir lu sept ou huit, dont les inévitables Sorcier, Dalva, La Route du Retour ou encore Légendes d’Automne, on peut avoir l’impression d’avoir eu un bon aperçu de son œuvre et se dire qu’on va passer à autre chose. A vrai dire, depuis la parution des Aventures d’un Gourmand Vagabond et, l’année suivante, d’une autobiographie, on avait un peu l’impression que Harrison lui-même avait fait le tour de la question et qu’on était trop paresseux pour aller y voir… Puis, à force de néanmoins lire environ tous les deux ans dans la presse spécialisée que le dernier Harrison est un excellent roman, on se dit qu’on va craquer et s’en lire un. Autant le préciser de suite : il m’est impossible de comparer avec un quelconque de ses romans publiés durant les années 2000, mais j’ai l’impression que Péchés Capitaux est 1° un tout grand roman même aux normes de Harrison ; 2° une fameuse cure de jouvence par rapport à ses thématiques habituelles ; 3° un roman-somme ludique. En somme, une perle rare.

Temps couvert… Pas de vent, Odile Gapillout

Ecrit par Arnaud Genon , le Lundi, 02 Novembre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Temps couvert… Pas de vent, Ed. de la Rémanence, coll. Traces, décembre 2014, 170 pages, 16 € . Ecrivain(s): Odile Gapillout

 

Comment rendre-compte d’une vie ? Que dire d’une enfance, d’un passé enfoui ? Odile Gapillout, dans Temps couvert… Pas de vent, fait le choix de ne rapporter que des bribes, des souvenirs épars, des fragments. Pas de continuum, de récit totalisant qui nous restituerait – ou prétendrait le faire – dans l’entièreté de notre être.

Son livre, c’est un album photo sans images, ce sont des images devenues mots, revenues à la surface. Ce sont des moments de vie, des épiphanies, mais aussi des moments plus graves et douloureux. La narratrice les saisit, les conserve, les embaume en autant de petits mausolées qu’il y a de chapitres.

La narratrice, c’est Lucile. Ce n’est pas Odile, pas tout à fait du moins. La quatrième de couverture nous signale pourtant qu’Odile Gapillout est la fille de Robert, qui est aussi le père de la narratrice. On apprend par ailleurs dans le texte que la grand-mère de Lucile s’appelle, tout comme l’auteur, Gapillout. Pourquoi ce jeu avec l’identité ? Pour garder une distance semble-t-il, la juste distance pour se raconter, pour rendre à ces instants leur authenticité. Pour dire que le temps a passé. Que nous ne sommes peut-être plus les mêmes.

L’imposteur, Javier Cercas

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Samedi, 31 Octobre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Espagne, Actes Sud

L’imposteur, trad. de l'espagnol Aleksandar Grujicic, Elisabeth Beyer, septembre 2015, 400 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): Javier Cercas Edition: Actes Sud

 

« Je ne voulais pas écrire ce livre ». C’est par cet incipit en forme d’aveu (ou de défense) que s’ouvre L’imposteur, un récit biographique étonnamment réel et fictif à la fois. L’auteur-narrateur va, en effet, nous raconter l’histoire d’Enric Marco, personnage encore vivant, « grand imposteur et grand maudit », pseudo-survivant des camps nazis, icône nationaliste antifasciste, symbole de l’anarcho-syndicalisme, à la tête de plusieurs organisations. Pour être bien sûr que nous ne soyons pas, avec cette histoire réelle truffée de mensonges, dans un véritable roman, Javier Cercas va nous parler d’abord de comment il a résisté à l’envie d’écrire cette biographie d’un menteur et non pas un roman. Ce livre est donc le roman d’une biographie fictive. C’est qu’au-delà du mensonge de l’homme qu’était Enric Marco, il y a l’illusion de la réalité que contient toute tentative d’écrire sur.

Beaucoup de questions sont posées au lecteur, par Cercas qui se les pose sans cesse à lui-même : a-t-il tort d’essayer de comprendre le mal extrême ?, si on considère que Marco a réellement menti sur sa présence en tant que victime du nazisme dans les camps de la mort. A-t-il raison de vouloir comprendre quelqu’un comme Enric Marco quand il trompe le monde avec le mal extrême ?

La Zone d’Intérêt, Martin Amis

Ecrit par Didier Smal , le Samedi, 31 Octobre 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Calmann-Lévy

La Zone d’Intérêt, août 2015, trad. anglais (GB) par Bernard Turle, 400 pages, 21,50 € . Ecrivain(s): Martin Amis Edition: Calmann-Lévy

 

La Zone d’Intérêt est le dernier roman en date de Martin Amis (1949), et il a été l’objet du scandale d’une rentrée littéraire coutumière dans ses extases pré-programmées et sa tiédeur éditoriale ; pensez donc : Gallimard, éditeur historique des romans de l’auteur de London Fields, a refusé La Zone d’Intérêt, et c’est Calmann-Lévy qui a hérité de la potentielle bombe littéraire qu’est ce roman. Autant l’annoncer de suite : en fait de bombe littéraire, on a surtout affaire à un pétard mouillé.

Certes, le sujet en est sulfureux en apparence : dans le camp de concentration fictif Kat Zet I, situé en Pologne et ressemblant comme un frère à Auschwitz, des personnages, allemands pour la plupart, s’ébattent, font état de leurs petites misères existentielles, connaissent de sordides histoires de coucherie… Un officier SS, Angelus Thomsen, aryen au « physique idéal » et, pas si accessoirement que ça, neveu de Martin Bormann, tombe amoureux de Hannah, la femme du commandant du camp, Paul Doll, ce qui incite le second à faire suivre le premier, comme dans un vulgaire vaudeville…