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Les rues d’hier, Silvia Tennenbaum

Ecrit par Stéphane Bret 10.06.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Gallimard

Les rues d’hier, avril 2016, trad. anglais (USA) Colin Reingewirtz, 623 pages, 24,50 €

Ecrivain(s): Silvia Tennenbaum Edition: Gallimard

Les rues d’hier, Silvia Tennenbaum

 

Le titre de ce roman peut faire penser, de prime abord, à l’ouvrage de Stefan Zweig, Le monde d’hier. On y retrouve des éléments identiques : la description d’un bonheur éprouvé durant les années précédant immédiatement la première guerre mondiale, la nostalgie d’une époque, perçue comme cosmopolite, ouverte à toutes les influences.

C’est, à travers l’histoire de deux familles, les Wertheim et les Süsskind, une véritable fresque historique qui s’offre aux yeux du lecteur et l’entraîne dans les grands épisodes de l’histoire de l’Allemagne contemporaine.

Les Wertheim, dont le patriarche se nomme Moritz, sont des Juifs intégrés, ils participent à la vie économique du pays, ils sont à la tête, par l’intermédiaire de Moritz, d’une prospère entreprise de textile. Ils se rendent au Städel Museum, s’intéressent à la Nouvelle Sécession, mouvement de peinture contemporain du tournant des 19e et XXe siècles. Ils n’ont qu’un lointain souvenir de la Judengasse, l’artère où habitaient les Juifs du ghetto de Francfort, quelques siècles plus tôt…

Pour cette famille, qui se sent allemande, qui est persuadée de la solidité de son intégration et de son acceptation par la nation allemande, il n’y a pas de doute : Nathan Wertheim organise régulièrement des réunions de famille, très bourgeoises, compassées, où seul le meilleur de la société est admis. Une deuxième famille est décrite dans le roman, au côté des Wertheim, c’est la famille Süsskind. Ces derniers, selon Benedict Süsskind, accordent moins d’importance à la réussite sociale, à l’argent, et éprouvent quelque réticence à célébrer les fêtes chrétiennes, telles que Noël, jugeant cette démarche excessive et oublieuse de leurs origines juives. En fait, chaque membre de ces deux familles va incarner une conduite possible dans cette histoire de l’Allemagne, qui se complique dès les années vingt et le début de la République de Weimar.

Nathan Wertheim, l’un des fils de Moritz, est avocat, bourgeois et bien établi. Siegmund, deuxième fils, a des attirances pour la vie de bohème et joue du violoncelle, Gottfried est solitaire, vaniteux, il travaille dans l’entreprise paternelle. Jacob est conscient de ses capacités intellectuelles, il est second violon dans le quartet de son frère Sigmund. Eduard Wertheim est le continuateur de l’œuvre de son père, il veille sur la famille, sur ses fréquentations, sur son homogénéité sociale. Pour les Süsskind, Eva, fille de Benedict, est rebelle : à la bourgeoisie, à la famille, au conservatisme des mœurs. Elias Süssind, son frère, occupe un poste au Städel Museum, c’est un homme de l’art. Jonas est médecin. Ils sont tous les trois les enfants de Benedict Süsskind et Taübchen Herz. Le roman de Silvia Tennenbaum nous éclaire à bien des égards ; sur l’apport de la communauté juive allemande à la vie économique, à la vie artistique et culturelle. Il illustre, aussi, le rôle des Juifs dans les mouvements révolutionnaires, dans le sionisme, dans le communisme. Ainsi, certains personnages du roman, comme Eva vont prendre fait et cause pour la révolution russe ; ils y voient une source d’émancipation pour leur communauté. D’autres tenteront, tels Andreas, fils de Nathan Wertheim, de vivre une sexualité déviante, ou comme Ernst Wertheim, d’émigrer vers la Palestine, pour être enfin libres et acceptés comme Juifs : « Miriam eut l’air surprise. Elle s’attendait à une réponse positive. La plupart des gens adoraient Berlin. Elle-même adorait Berlin. Elle y habitait depuis cinq ans et elle savait que la ville lui manquerait une fois qu’ils seraient en Palestine (…) La vie ne serait pas facile pour eux là-bas. C’étaient des Juifs profondément citadins ». Ce roman est riche, il foisonne d’épisodes familiaux et sociétaux qui s’entremêlent étroitement, comme pour illustrer ce lien permanent entre les vies individuelles et l’Histoire, qui se rappelle parfois tragiquement à notre souvenir. Il faut saluer les Éditions Gallimard de pouvoir nous faire découvrir ce beau roman.

 

Stéphane Bret

 


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A propos de l'écrivain

Silvia Tennenbaum

 

Silvia Tennenbaum est née en 1928 à Francfort, et part s’installer avec sa famille aux États-Unis en 1938. Après des études d’histoire de l’art à Columbia University, elle travaille comme critique d’art avant de débuter son œuvre de fiction. Les rues d’hier a été publié pour la première fois en 1981 et a récemment été redécouvert, avec succès, par le public allemand.

 

A propos du rédacteur

Stéphane Bret

 

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63 ans, réside actuellement à Boulogne-Billancourt, et s’intéresse de longue date à beaucoup  de domaines de la vie culturelle, dont bien sûr la littérature.

Auteurs favoris : Virginia Woolf, Thomas Mann, Joseph Conrad, William Faulkner, Aragon, Drieu La Rochelle, et bien d’autres impossibles à mentionner intégralement.

Centres d’intérêt : Littérature, cinéma, théâtre, expositions (peintures, photographies), voyages.

Orientations : la réhabilitation du rôle du savoir comme vecteur d’émancipation, de la culture vraiment générale pour l’exercice du libre arbitre, la perpétuation de l’esprit critique comme source de liberté authentique."

 

REFERENCES EDITORIALES :

Quatre livres publiés :

POUR DES MILLIONS DE VOIX -EDITIONS MON PETIT EDITEUR 
LE VIADUC DE LA VIOLENCE -EDITIONS EDILIVRE A PARIS
AMERE MATURITE -EDITIONS DEDICACES 
L'EMBELLIE - EDITIONS EDILIVRE A PARIS