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Critiques

Franz Kafka ne veut pas mourir, Laurent Seksik (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 23 Mars 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Franz Kafka ne veut pas mourir, Laurent Seksik, Gallimard, janvier 2023, 352 pages, 21,50 € . Ecrivain(s): Laurent Seksik Edition: Gallimard

 

« Des semaines avaient passé. Robert remerciait le sort qui, dans cet endroit de désolation, lui avait fait rencontrer un tel homme. L’écrivain lui avait accordé de lire certaines de ses nouvelles dont peu avaient trouvé un éditeur. Jamais il n’avait lu pareille prose, des textes d’une telle modernité, d’une telle pureté, d’un sens si profond ».

« Je marcherai dans Prague un jour, tenant ton bras, la princesse de Prague et son prince consort. Nous traverserons la ville, et ce jour-là est proche, le pont Charles et la rue Karlova. Nous emprunterons la route vers la synagogue où ton père m’attendra pour me conduire sous le dais. Et sous les cris de liesse, Mazel Tov et hourras, nous briserons sous nos pieds le verre, symbole du malheur millénaire, puisque tous les malheurs ont une fin, le malheur de l’Exode et ton malheur à toi ».

Chasse à l’homme, Alejo Carpentier (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 21 Mars 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Folio (Gallimard)

Chasse à l’homme (El acoso, 1956), Alejo Carpentier, Folio Bilingue, 2014, trad. espagnol (Cuba), René L. F. Durand, 284 pages, 7,80 € . Ecrivain(s): Alejo Carpentier Edition: Folio (Gallimard)

 

La volonté du titre français de tirer ce roman vers le roman noir n’est pas totalement erronée. Carpentier, fasciné par le polar tant en romans qu’au cinéma, donne pleinement à ce roman le rythme, le cadre, le thème d’un pur roman policier. Cependant « l’homme traqué » eût été à la fois plus proche du titre original « El acoso » et surtout évocateur du halètement, de l’oppression qui pèsent de bout en bout sur le personnage principal et – par là-même – sur le lecteur. L’écriture de Carpentier, baroque, explosive, flamboyante mène tambour battant cette traque d’un homme devenu la cible du pouvoir dictatorial qui régit alors Cuba sous le régime de Machado (1925-1933). Le roman est écrit dirait-on pour pouvoir tenir narrativement dans le temps exact de l’exécution de la Troisième Symphonie de Beethoven, L’Héroïque, soit environ 45 minutes, dans la salle des concerts de La Havane où elle est donnée. Attachement ancien de Carpentier au compositeur allemand qu’il évoquera de nouveau dans Le Partage des eaux avec la Neuvième symphonie.

Ton absence n’est que ténèbres, Jón Kalman Stefánsson (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 20 Mars 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Folio (Gallimard)

Ton absence n’est que ténèbres, Jón Kalman Stefánsson, Folio, janvier 2023, trad. islandais, Éric Boury, 608 pages, 9,70 € . Ecrivain(s): Jon Kalman Stefansson Edition: Folio (Gallimard)

 

Ouvrir un roman de Jón Kalman Stefánsson est la certitude de plonger dans une « islandéité » poétique qui pourtant renvoie, comme toute grande œuvre, à l’universel des ressentis. C’est aussi le cas avec Ton absence n’est que ténèbres, Prix du Livre Étranger France Inter-Le Point en 2022 et aujourd’hui réédité au format poche : on retrouve ce qui a pu envoûter dans la trilogie Entre ciel et terre, La tristesse des anges et Le Cœur de l’homme, ainsi que dans Asta, mais, car il y un « mais », le sentiment qui ressort de Ton absence n’est que ténèbres est que la lumière ne parvient plus que par accident à percer dans une atmosphère appesantie.

Peu importe que la phrase-titre soit en fait l’épigraphe lue sur une tombe par le personnage principal, peu importe que soit composée au fil du roman une « Compilation de la Camarde » (aux choix aussi éclectiques que parfois surprenants) – ce qui marque le plus est une ambiance lourde, où le passé pèse et le présent ne réjouit guère (une réfugiée devenue proche des protagonistes qui a subi un viol drogué et filmé, pour ne citer qu’un seul exemple).

Versants, Proses poétiques, Jacquy Gil (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 15 Mars 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Unicité

Versants, Proses poétiques, Jacquy Gil, Éditions Unicité, novembre 2022, 96 pages, 13 € Edition: Unicité

 

« Les nuages que reflètent les chemins après la pluie ont beaucoup à dire… Et c’est au ciel qu’ils le disent ; à ce ciel qui jamais ne les voit sous cette face, et qui ne sait rien finalement, ou si peu, de ces drôles de passants qui le traversent et qui à chaque instant inventent un langage dont l’homme parfois sait tirer quelques présages » (p.88).

« Il y a toujours une autre réalité qui ailleurs se décide. Et si nous étions pourvus de plus de clairvoyance nous irions plutôt chercher ce qui demande à être vu dans ce qui ne se montre. Le monde serait autre et nos regards portés sur lui plus lucides » (p.85).

Toute hauteur se paye. D’abord parce qu’il faut que le corps ait l’âge et la volonté d’y grimper ; et ensuite que ce même corps (enrichi, annobli peut-être) résiste à la descente abrupte, à ses appuis fragiles : tout amateur d’élévation ponctuelle doit en organiser, à proportion, sa normale dégringolade – et ses lacets de vertige sur crampes. Et l’esprit (la conscience qui choisit, calcule et invente), qui est monté avec, devra lui aussi, solidairement, redescendre.

Apprendre à prier à l’ère de la technique, Gonçalo M. Tavares (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 14 Mars 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Langue portugaise, Roman, Points

Apprendre à prier à l’ère de la technique (Aprender a rezar na Era da Técnica, 2007), Gonçalo M. Tavares, éd. Points, 2014, trad. portugais, Dominique Nédellec, 384 pages, 7,80 € . Ecrivain(s): Gonçalo M. Tavares Edition: Points

 

Lenz, le personnage central de ce roman, va vous stupéfier. Vous séduire, rarement. Vous dérouter parfois. Vous écœurer souvent. Vous effrayer toujours. Cet homme, médecin de son métier, n’envisage le monde qu’à travers les machines en œuvre – naturelles ou fabriquées – pour le faire fonctionner. Son rapport au monde et sa conception de l’univers et des hommes ne se mesure qu’à l’aune des technologies, dont il distingue deux catégories essentielles ; celles inhérentes au monde, consubstantielles à la vie même : l’univers, les forces physiques, le corps, la maladie, la mort ; celles issues de l’intelligence humaine : outils, machines, organisation de la Cité. Lenz pousse la foi matérialiste jusqu’au bout de sa logique et produit par ce fait une exclusion absolue des sentiments humains qu’il considère comme des parasites de l’ordre du monde, une perte de temps, et le moteur d’erreurs fondamentales dans le traitement des problèmes que l’homme – le médecin qu’il est, le politique qu’il va devenir – se doit de résoudre pour la survie du monde.