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Critiques

L’Ami commun, Charles Dickens (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 18 Janvier 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Folio (Gallimard)

L’Ami commun, Charles Dickens, Folio, août 2022, trad. anglais, Lucien Carrive, Sylvère Monnod, 1328 pages, 15,50 € . Ecrivain(s): Charles Dickens

Publié entre mai 1864 et novembre 1865 en fascicules, et en volume fin 1865, L’Ami commun est le dernier roman terminé par Dickens, et l’un des sommets d’une œuvre qui ressemble à bien des égards à un Himalaya littéraire. Si la critique et le public de l’époque ne l’ont que peu goûté, le temps a fait son œuvre, et le découvrir en 2023, dans une traduction vigoureuse rendant à merveille tant la verve sociale que l’humour tendre de Dickens, c’est la garantie d’une grande joie de lecture. Et, contrairement à ce qu’affirmait Henry James en 1865, les personnages de ce roman, par leurs excentricités et non malgré elles, sont autant de morceaux d’humanité, qui mènent à une compréhension plus complexe, approfondie, de celle-ci.

Certes, l’intrigue semble touffue, puisque les lieux et les personnages sont, comme souvent chez Dickens, multiples : du bas au haut de l’échelle sociale, échelle à gravir ou à dégringoler, c’est l’Angleterre victorienne qui défile durant ces plus de mille pages, et les personnages avancent de surcroît, pour nombre d’entre eux, masqués – et que tombent ces masques, pour une magnifique célébration, à la fin du roman ! C’est tout le jeu de dupes de la société moderne que met en scène Dickens, et ce dès un second chapitre ironique dû à une répétition lexicale qu’ont choisi de respecter les traducteurs :

Le Bois de la nuit, Djuna Barnes (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 17 Janvier 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Seuil

Le Bois de la nuit (Nightwood, 1936), Djuna Barnes, Editions du Seuil, 2014, trad. américain, Pierre Leyris, 203 pages, 18 € Edition: Seuil

 

Djuna Barnes est américaine. Il est important de le rappeler d’entrée, tant sa prose, d’une beauté suffocante et d’une profonde poésie, et son approche des portraits, évoquent le style des grands romanciers et poètes anglais de l’époque élisabéthaine. Djuna est imprégnée aussi de littérature et de culture françaises et elle s’installe à Paris en 1920 : la dimension autobiographique de ce roman apparaît d’autant plus que c’est dans cette ville qu’il se déroule principalement.

Dans sa préface de 1937, T. S. Eliot dit que « seules les sensibilités exercées à la poésie pourront l’apprécier tout à fait ». Et il est difficile de prétendre le contraire. Tout l’art subtil et malin de ce roman est dans la langue, le style, les syncopes, le rythme. Les images utilisées font parfois sursauter, visiblement empruntées à l’art baroque ou au style de Shakespeare : Robine Vote, l’héroïne qui emprunte beaucoup à Djuna Barnes, est décrite comme « la vision d’un élan s’en venant dans une allée d’arbres, enguirlandé de fleurs d’oranger et d’un voile nuptial, un sabot levé dans l’économie et la crainte ».

L’Année 2.0, Claude Minière (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 16 Janvier 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Tinbad

L’Année 2.0, Claude Minière, éd. Tinbad, 2022, 15€ . Ecrivain(s): Claude Minière Edition: Tinbad

 

Étrangeté

J’ai aimé flotter dans ma lecture du dernier recueil de Claude Minière, car l’ambiguïté de mon sentiment m’a poussé à rédiger suffisamment de notes au portemine, prises de notes qui ont été la première étape vers ce livre étrange et original. De ce fait le sommaire indique lui-même le parcours engageant qu’il faut suivre pour aboutir à une idée maîtresse : de l’inconnu qui s’insinue dans de l’ordinaire.

Quatre chapitres du livre, donc : Mésopotamie, Calendrier, Torso, Penser à Orphée. Dès lors, l’on voit quelle route déroutante, si je puis dire, suit le lecteur au travers cette poésie pleine d’étonnement, voire d’ébahissement. Et si l’on côtoie de grands sujets (la mort présente parfois dans la partie calendrier, donc le temps, ou dans celle d’Orphée, voyage dans les enfers, donc la mythologie, par exemple) l’on reste dans les limites d’une langue complexe et fort intrigante.

Le mur de l’Atlantique – Olivia Resenterra (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 12 Janvier 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Les éditions du Rocher

Le mur de l’Atlantique – Olivia Resenterra – 176 p. – 16,50 euros – 11/01/2023 Edition: Les éditions du Rocher

 

« Dans la chambre de la Nonna, plus aucune trace du grand lit en bois dans lequel je dormais avec elle, ni du crucifix garni d’un rameau d’olivier placé à sa tête, ni de la banquette d’appoint où couchait mon frère, bordé jusqu’au menton comme s’il risquait de chavirer en pleine mer. »

 

Le mur de l’Atlantique est un livre inspiré par les souvenirs des grands-parents, la mémoire des lieux de l’enfance, les instants de bonheur partagé, sans jamais tomber dans des niaiseries romanesques. La mémoire est toujours musicale quand elle est ainsi célébrée, quand elle s’accorde au temps retrouvé, et fait surgir des mélodies et des chansons italiennes, pour ne pas oublier d’où viennent ces hommes et ces femmes qui ont fondé une famille loin de leur terre natale, et si près de l’Atlantique.

C’est ainsi que cela s’est passé, Natalia Ginzburg (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 10 Janvier 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Denoël, Italie

C’est ainsi que cela s’est passé (È stato cosi, 1945), Natalia Ginzburg, Denoël, 2017, trad. italien, Georges Piroué, 127 pages, 14 € Edition: Denoël

 

 

Qui parle ? Qui est la narratrice de ce roman ? Par profession, il semble que ce soit une femme cultivée et intelligente. Elle est professeur et étudie avec ses élèves les classiques de l’Antiquité, Ovide, Sophocle, Sénèque par exemple. Et pourtant, à suivre son flux de conscience sur ces quelque cent pages, dans la traversée de son histoire dramatique d’amour, on a clairement affaire à une femme simple – entendre simplette. Sa réflexion sur elle-même et les sentiments qui l’animent, sa vision du monde qui l’entoure, la misère morale qui sourd de son propos, tout indique un esprit faible, naïf, soumis, déficient. Le ton même de sa narration, le style du roman, empruntent un vocabulaire élémentaire dans une organisation syntaxique élémentaire. Parfois – rarement – un éclair semble rappeler que nous n’avons pas là une idiote. Et pourtant.