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Critiques

La Cloche de détresse (The Bell Jar, 1963), Sylvia Plath (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 22 Novembre 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Gallimard

La Cloche de détresse (The Bell Jar, 1963), Sylvia Plath, Gallimard, L’Imaginaire, 1988, trad. américain, Michel Persitz, 267 pages, 10,80 € . Ecrivain(s): Sylvia PLATH Edition: Gallimard

 

Cet ouvrage de la grande Sylvia Plath est ce qu’il est convenu d’appeler un roman-culte, au même titre que l’est L’Attrape-cœurs de J. D. Salinger, écrit une dizaine d’années auparavant. De nombreux éléments relient ces deux livres : ce sont les uniques romans de leur auteur, ce sont des autobiographies à peine déguisées, ce sont des séjours de leurs héros à New York et, nous y reviendrons, les correspondances dans les postures énonciatives sont fortes.

On peut y ajouter que, comme pour l’ouvrage de Salinger, on peut être déçu, du moins par le début du récit : les mésaventures d’une jeune fille fragile de province dans les milieux mondains de Manhattan, ses amourettes, ses crises de larmes, ses brefs enthousiasmes pour des broutilles, occupent une première moitié du livre et sont plutôt ennuyeux.

La Forteresse, Autobiographie 1953-1973, Richard Millet (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 21 Novembre 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Biographie

La Forteresse, Autobiographie 1953-1973, Richard Millet, éditions Les Provinciales, août 2022, 300 pages, 24 € . Ecrivain(s): Richard Millet

L’œuvre de Richard Millet contient plusieurs ouvrages que l’on doit qualifier d’autobiographiques dans la mesure où, ne serait-ce qu’aux yeux de l’auteur lui-même, cet adjectif est celui qui convient (Un Balcon à Beyrouth, Brumes de Cimmérie, L’Orient désert, etc.), sans oublier trois volumes de Journal, courant de 1971 à 2003. L’apparition d’une autobiographie proprement dite ne surprend guère et ne correspond pas à une nouveauté absolue : elle met en ordre une matière éparse ailleurs, longuement décantée, y compris dans les essais. « Écrire sur soi, c’est se faire l’alchimiste de l’insignifiant, autant que du perdu : muer l’or en déchet, parce que la vérité que je cherche sur moi ne brille pas forcément, ou que sa lumière est encore de la nuit » (p.36).

La Forteresse fut achevée dans l’ambiance suspendue et dystopique (il fallait s’autosigner un document administratif pour promener son chien, tandis que les hélicoptères des forces de l’ordre traquaient d’éventuels contrevenants) du « premier confinement » (mars-mai 2020), rendue encore plus pesante pour Richard Millet par la maladie et la mort de sa seconde femme (la Covid n’y était pour rien).

À la folie, Patricia Ryckewaert (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 17 Novembre 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Tarmac Editions

À la folie, Patricia Ryckewaert, éditions Tarmac, juin 2022, 105 pages, 15 € Edition: Tarmac Editions

 

Les mots chez Patricia Ryckewaert battent les flancs d’une louve et si le poème sort du terrier de son territoire, c’est pour griffer, hurler, écorcher les codes de ce qui ne pourrait se dire sans vociférer. La poésie de Patricia Ryckewaert crie tout en dedans et si le poème affleure, si « le poème nous effleure / autant qu’il nous griffe », s’il « roule et coule en nous comme une eau fraîche » – le cri du combat qu’il charrie (à fleur de terre ruisselante ou souterrain, en résurgence) ne saurait se tarir dans les eaux rouges et vives où vers l’estuaire, le fleuve d’écrire et de crier la vie se jette jusqu’à plus loin que n’importe quelle rive. Nous touchons, avec À la folie, l’Écrire comme expérience de l’extrême, nous entrons dans l’expérience littéraire des limites, et la voix féminine qui nous parle est celle d’une louve.

 

On pourra bien me faire porter une robe rouge

me perdre dans les bois

Manuel du Prince Indien, L’Arthashastra de Kautilya (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 16 Novembre 2022. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Asie, Les Belles Lettres

Manuel du Prince Indien, L’Arthashastra de Kautilya, morceaux choisis introduits, commentés et traduits du sanskrit par Marinette Dambuyant, photographies et postface par Anthony Cerulli, avril 2022, 272 pages, 23 € Edition: Les Belles Lettres

 

Dans sa préface à la traduction de l’Offrande Lyrique de Tagore, Gide a rappelé le mot d’un écrivain oublié, Paul de Saint-Victor (1827-1881) : « Entre l’esprit européen et celui de l’Inde se dressent cent millions de dieux monstrueux ». Des dieux, mais pas seulement : des manuscrits par millions également (entre sept et trente millions, selon les estimations, et un écart pareil indique à lui seul l’ampleur du travail d’inventaire encore à accomplir) ; des manuscrits comme ceux photographiés par Anthony Cerulli, un professeur américain, dont les clichés émouvants agrémentent les pages de ce volume ; des manuscrits très différents, au point de vue matériel, des codices occidentaux (ils furent copiés sur des feuilles de palmier ou de bananier réunies par une simple couture dans la marge, entre deux ais de bois) et conservés dans des conditions parfois aléatoires, le climat chaud et humide du subcontinent étant mauvais pour eux – sans même évoquer d’autres circonstances favorables à la disparition de bibliothèques entières, comme les convulsions politiques, dont l’histoire indienne fut prodigue.

Un fils de notre temps, Ödön von Horváth (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 15 Novembre 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Langue allemande, Roman, Gallimard, En Vitrine

Un fils de notre temps (Ein Kind unserer Zeit, 1938), Ödön von Horváth, trad. allemand, Rémy Lambrechts, 155 pages, 7,50 € Edition: Gallimard

Le temps des menaces qui a oppressé l’Europe dès le milieu des années 20 et surtout dans les années 30, fut fatal pour l’histoire mais riche en voix littéraires qui avec lucidité nous ont fait entendre le grondement du désastre qui s’annonçait. Joseph Roth, Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, Hugo von Hofmannsthal, Robert Musil, Leo Perutz, ces écrivains magnifiques qui anticipaient la fin d’un monde et témoignaient de son effondrement en cours constitue un moment littéraire sublime. Von Horvath est moins connu mais sa voix pourtant, singulière, nous touche avec une acuité et une force remarquables. Une force d’autant plus puissante qu’elle est en douce, mezzo voce, comme une insinuation obstinée qui finit par bouleverser.

Par les propos d’un narrateur lambda, soldat d’une armée que l’on devine nazie, von Horváth va peu à peu déconstruire l’idéologie désastreuse qui dévaste son pays et va le mener au désastre le plus total. Patriotisme aussi aveugle qu’imbécile, haine de tout autre (y compris les femmes), culte du chef et du héros, culte de la violence stupide, notre narrateur décline, une à une, toutes les tares qui ont saisi et ravagé un peuple tout entier. Le marigot idéologique est complété par la société mâle que constitue la vie militaire, toujours en bordure d’une homosexualité malsaine, non assumée, non dite.