La Petite Plage, Marie-Hélène Prouteau (par Gilles Cervera)
La Petite Plage, Marie-Hélène Prouteau, éditions La Part Commune, 107 pages, 13,90 €
Ecrivain(s): Marie Hélène Prouteau
Les plages de Marie-Hélène Prouteau
C’est une même terre que notre terre.
La Petite Plage cristallise cette conviction que grain de sable par grain de sable notre terre est un château unique, le nôtre, celui que donne à sentir, grain par grain, mot par mot, dans de belles pages, Marie-Hélène Prouteau.
Évidemment, notre œil brille et notre oreille se dresse si l’on est de Bretagne. Nos sens pourraient être autant en alerte si du Tibet, des régions indiennes d’Outre-Atlantique, de Chine ou de Vienne ou Buda. Peu importe car la Petite Plage est convexe, entre son ventre doux jusqu’au centre de tout, entre ses souffles d’abysses jusqu’aux estuaires du ciel.
La Petite Plage de Marie-Hélène Prouteau est néanmoins située, on la connaît, abscisse et ordonnée. Lieu-dit Kerfichen ! On la reconnaît plus à la prononciation que sur les cartes, c’est la plage de Mona Ozouf qui préface le livre ou celle de Grall, de St Pol Roux, de Butor ou de Corbière, la plage comme une icône si une icône peut être remuée d’eaux, sculptée de vents, cisaillés de drames. Point de plage privée qui tienne, Bretagne on vous dit !
Marie-Hélène Prouteau métonymise le monde. La Petite Plage, la sienne, révèle d’elle, de ses ancêtres, des mots et des gestes des Bretons d’avant, ceux qui partent et ceux qui restent, et des habitants de la terre, peintres de Chine ou chanson de Bob Dylan. Cette plage est moins petite qu’on croit, où chaque grain rappelle à quelqu’un qui il devient et d’où il vient.
Comme Le Briz l’a dit, Bretagne est encore monde.
Monde est encore Bretagne.
Finistère est une fin et surtout un début. Là, point obsidional, barycentre du terraqué disait Guillevic, ni terre ni eau, là que ça se passe. En Pays Pagan, païen, c’est-à-dire offert aux dieux de pluie, aux dieux de vents et de vagues. Le dictionnaire de Marie-Hélène Prouteau naît de cet occident rude, vaches cornées de cloches, hommes aux rudesses de main, de drisses et de voiles à affaler ou de tempêtes qu’on affronte, Abeille-Ceci Abeille-Cela, les nuits d’alarme où la terre va prendre. La marée était en noir le 16 mars 1978. L’Amoco s’est brisé et les cendres du capitaine du remorqueur le Pacific qui a porté secours en vain sont dispersées sur cette Petite Plage. Prouteau ne décide pas. Ce sont les éléments.
Bretagne ni monde n’y peuvent mais, ce sont les eaux qui montent, les vents qui sifflent, quelque chose qui domine et où l’homme et les bêtes sont au même rang, comme les cailloux ou les arbres, quelque chose se joue qui est plus fort que tout. C’est ça qui décide et l’écrivaine le sait.
Elle ne coupe pas en deux les univers.
Sa Petite Plage réunit les contraires, ouvre aux vents retors, décidant que c’est là et elle en même temps : Le vent me prête sa vitalité, passe dans mon corps qui devient un champ d’énergie. Sommes-nous le paysage ? Le paysage nous somme.
Sommes-nous le vivant. Il nous oblige.
Poème ou pensée intérieure, prose douce où Prouteau, la femme, rencontre le féminin du monde, la forme inlassable des vagues et surtout celle des femmes violentées, régies et guerrières :
Ces lignes vont vers vous. Sisters des hautes terres afghanes.
La prose poétique est une indication de couverture, le genre de la maison Prouteau qui va de Brest à Nantes, d’occident en orient, de la Petite Plage à ces belles et denses pages.
Tout est lyrique en Bretagne, tout l’univers l’est : ce finis terrae, c’est la frontière où commencent les choses.
Tout est lyrique et comme aurait dit Duras, tout est donc matériel : Devant moi, les nefs immenses des Ateliers des Capucins tout récemment réhabilités. Imposante carcasse de fonte, de verre et d’aluminium.
L’auteure est née à Brest. Comme Philippe Le Guillou qui vient d’enchanter ses brumes et son fracas. La ville la structure comme elle le structure en acceptant davantage que lui le nouveau, le défi, les slameurs de ciel et les graffeurs de nuées autant que téléphériques au-dessus de Recouvrance.
Marie-Hélène Prouteau dit sa vie dans ce livre. Ou ses échos : Le cri de révolte de ma grand-mère est entré dans ma chair, venu de loin, venu d’avant ma naissance.
Les chapitres sont nets comme des proses de Max Jacob. On y retrouve les morts, ceux de 14 dont Tonton Jo qui traîne la patte depuis les tranchées bouchères, entre autres cadavres avunculaires qui continuent jusqu’à aujourd’hui d’irradier la mémoire. On y retrouve la grand-mère et le chien tué net par un soldat allemand acculé à fuir et, dernière posture de feu et de fou, regarde en face le grand-père qui serre son surin dans sa poche, ne réplique pas. Marie-Hélène Prouteau, par ce livre que publie La Part Commune, tend la réplique.
Gilles Cervera
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