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Environs et mesures, Pierre Senges

Ecrit par Anne Morin , le Samedi, 11 Juin 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais, Gallimard

Environs et mesures, Le Promeneur Gallimard, 2011, 101 p. 15 € . Ecrivain(s): Pierre Senges Edition: Gallimard


Ce tout petit livre est un compromis entre précis de géographie et imprécis de cartographie imaginaire. Il raconte comment, du moins jusqu’au tout début du XXème siècle, des hommes – souvent plus « scientifiques » que poètes – ont tenté de situer dans le monde sensible des lieux aussi improbables et au moins aussi évanescents que le paradis, l’ultima Thulé, l’Atlantide ou la porte des enfers, les lieux d’errance d’Ulysse étant, peut-être, les plus faciles à repérer.

Au-delà de la mystique, du rêve, de l’imagination, cela démontre aussi comment l’homme, si sage ou si fou soit-il – ce qui revient parfois au même –, cherche à encadrer et, dans le même élan et le même temps, paradoxalement, à repousser les abords de l’autre, l’ailleurs, l’au-delà. L’altérité du « pays où l’on n’arrive jamais » ou d’où l’on ne revient jamais si tant est qu’on y soit arrivé, véritable trou noir, intervalle entre deux événements.

Une saison à Gaza, Katia Clarens

Ecrit par Anne Morin , le Samedi, 21 Mai 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Récits, Jean-Claude Lattès

Une saison à Gaza, voyage en territoire assiégé, avril 2011, 339 p. 19€ . Ecrivain(s): Katia Clarens Edition: Jean-Claude Lattès


J’avais oublié que le livre avait un sous-titre : voyage en territoire assiégé… En ouvrant ce livre, je pensais y trouver un témoignage, bien sûr, Katia Clarens dit ce qu’elle a vu, bien sûr la vie est difficile pour les Gazaouis, c’est une évidence, mais comme on dit il ne s’agit pas de ça, bien sûr, mais j’ai eu beaucoup de mal à me remettre de ce livre, beaucoup de mal à faire la part des choses, beaucoup de mal à me tenir quitte de cette impression de retrait, de défensive quand on présente ainsi tous les torts dans le même plateau. Il n’y a pas d’équilibre possible, et pas de possibilité d’équilibre – même et surtout dans ce divorce à l’amiable et non au mieux disant appelé par nombre d’Israéliens –, il n’y a pas de paix possible, et ce livre quoi qu’il en dise, ne porte pas de message de paix. Il statue : aux « autres » de faire le premier pas, de lâcher du lest, de relâcher la mise.
Il me semble qu’un reporter, immergé à Ashkelon ou Beersheba, zones privilégiées des tirs du Hamas depuis Gaza, aurait pu, de la même manière, rapporter ces faits.

Le garçon qui voulait dormir, Aharon Appelfeld (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 04 Mai 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, L'Olivier (Seuil), Classiques, Israël, Roman

Le garçon qui voulait dormir, traduit de l’hébreu par V. Zenatti, Paris, 2011, 297 p., 21€. . Ecrivain(s): Aharon Appelfeld Edition: L'Olivier (Seuil)

« (…) ce pays lointain – quel est son nom déjà ? – » (p. 34), et c’est toute l’histoire des « réfugiés », ceux qui reviennent des camps, c’est aussi en grande partie, celle de la vie d’Aharon Appelfeld : revenir puiser dans son passé, pour l’écrire dans une langue qu’il doit forger, celle de sa nouvelle identité, car on a changé aussi son nom au jeune garçon. Non pas « dépouiller le vieil homme », au contraire, lui rendre, au mot près, dans cette musique nouvelle, celle dont Aharon Appelfeld dira qu’elle est celle de sa « langue maternelle adoptive ».

L’image de la mère, dont il fut orphelin très jeune se confond dans la langue qui se perd. Quand le jeune homme aura imité les chapitres de la Bible, qu’il recopie, il pourra ré-endosser tous les êtres qu’il aime. En attendant, le sommeil jette un pont entre deux états, entre deux mondes. Ce livre relate, avant tout, la réappropriation de soi, la reconstruction par la langue. Il est nécessaire au garçon de se reconnaître par les mots. A chaque instant, l’ascèse pour y parvenir : on est saisi, happé avec le jeune Aharon, par l’âpreté de la bataille qui se joue, ne pas, jamais laisser cours au désespoir.

Amour, Hanne Orstavik (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Samedi, 16 Avril 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Les Allusifs, Pays nordiques, Roman

Amour, 2011, 134 pages, 14 € . Ecrivain(s): Hanne Orstavik Edition: Les Allusifs

 

Libéré de l’espoir… non, le petit Jon est trop jeune pour penser cela, penser que c’est cela qui s’installe dans sa tête quand il se couche, au seuil de sa porte, dans la nuit glaciale : il aura neuf ans le lendemain.

Il en a rêvé, de ce train électrique pour son anniversaire, ce train qui siffle dans son esprit et qui les emporte, Vibeke, sa mère et lui. Loin d’ici, dans cet endroit reculé de Norvège où l’on dirait que l’hiver et la nuit ne finiront jamais… Vibeke, sa mère, il ne l’appelle pas autrement, ne pense à elle que sous ce prénom. Une seule fois, vers la fin, il pensera « maman ». Ces deux-là ne se sont pas trouvés, ne se retrouvent pas. Leurs routes se croisent, à un moment, mais implacable, le destin les trace et les traque.

Le fil du récit passe de la mère au fils, enchevêtrant leur soirée d’abord légèrement, puis effroyablement. On assiste, impuissant, à l’inéluctable.

Purge, Sofi Oksanen (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 13 Avril 2011. , dans Les Livres, Recensions, Pays nordiques, Roman, Stock

Purge. 2010. 21 € . Ecrivain(s): Sofi Oksanen Edition: Stock

 

« Purger : purifier par élimination des matières étrangères ».

Or, qu’est-ce que l’amour (pour Aliide) sinon cela, une « matière étrangère » qui l’envahit, la comble, l’obstrue.

Dans ce livre, bien sûr il est question de la malédiction d’être femme, une femme en territoire occupé, mais le cœur, le corps ne sont-ils pas aussi territoires occupés quand l’amour advient ?

Avant tout, histoire d’amour âpre, fou, rude. Aliide aime comme une bête, tombe amoureuse de Hans, et cela la conduit à la dénonciation, à faire en elle la part belle à ce qui la dévore, brutalement.

Ce n’est rien, trahir sa sœur, prendre ses biens et sa place, ce n’est rien, vendre, et ce n’est rien non plus tuer l’homme qu’elle aime si elle peut continuer à vivre avec lui, près de lui.

Car, croit-elle vraiment à cette « autre vie », à ce « nouveau départ » dans une ville qui les cachera, Hans et elle, et les engloutira dans l’oubli ? Quand elle lit le cahier secret où Hans avoue sa méfiance envers elle, Aliide hurle son amour déçu, perdu, elle le recrache comme on s’exorcise, comme si elle accouchait d’un enfant mort-né. Et dans le cagibi où elle cachait Hans jusqu’à l’improbable fuite, elle l’enterre vivant.