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Fugitives, Alice Munro

Ecrit par Anne Morin , le Lundi, 27 Janvier 2014. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, L'Olivier (Seuil), Canada anglophone, Nouvelles

Fugitives, traduit de l’anglais (Canada) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, 2008, 382 p. 21 € . Ecrivain(s): Alice Munro Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Fugitives, en effet, et d’abord d’elles-mêmes, et du temps. Ce moment, ce temps qui les rattrape, qui dresse un mur ou les fait tourner en rond, ce temps – ou le destin – qui, comme l’ange exterminateur du film de Bunuel, joue avec ces femmes et demande une remise en situation pour à nouveau qu’elles se retrouvent, qu’elles sortent de cet enfermement ou de cette impasse, de ce non-lieu où les a menées la fugue, la fuite, leur tentative. La tentative ou l’acte réussi, en justice comme dans la vie, punie des mêmes peines.

La plus révélatrice de ces nouvelles, Subterfuges, et aussi la plus cruelle, paraît reposer sur un détail : « J’en mourrai, avait dit Robin, un soir, voilà des années. Si ma robe n’est pas prête, j’en mourrai » (p.269), ainsi commence la nouvelle.

L’héroïne de cette nouvelle, Robin, est une jeune femme vivant avec sa sœur qui a, comme on le dit pudiquement, des problèmes de santé. Captive de cette sœur aînée qu’elle ne peut laisser à elle-même, elle s’évade une fois chaque été, à la ville voisine, assister à une représentation théâtrale.

Rouge Alice, Sylvie Huguet

Ecrit par Anne Morin , le Vendredi, 15 Novembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles

Rouge Alice, La Clef d’Argent, collection KholekTh, octobre 2013, 103 p. 6 € . Ecrivain(s): Sylvie Huguet

 

Un recueil de nouvelles peut se lire de la première à la dernière, mais tout aussi bien on peut en débusquer une par surprise, en fonction du titre, du temps qu’on a devant soi, ou de façon plus ou moins intrusive, en laissant faire, en se laissant faire, porter.

Ainsi, le titre de la deuxième nouvelle, Le renard bleu, s’est-il imposé et, de fait, il donne le ton : la cruauté, la barbarie de l’homme face au juste retour des choses : l’animal ne sait ni sacrifier, ni se venger mais il se souvient… et la porte s’entrouvre où tout se confond. Le fantastique atteint un monde différent, un univers parallèle où règles et raison s’inventent d’autres codes, d’autres noms, et où le lecteur est d’abord et au sens propre dérouté pour ensuite adhérer, faire corps :

« La sensation de chaleur est devenue trop vive. Il faut ôter cette fourrure, rafraîchir un peu cette figure rouge avant de soigner son maquillage. Chantal ne remettra le manteau qu’au moment d’ouvrir à Charles-Henri. Mais à présent les agrafes résistent, glissent entre ses doigts en sueur. Elle sent un fourmillement sous sa peau et soudain une piqûre à la nuque » (p.67).

La chimie des larmes, Peter Carey

Ecrit par Anne Morin , le Jeudi, 07 Novembre 2013. , dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Roman, USA

La chimie des larmes, traduit de l’anglais par Pierre Girard, septembre 2013, 326 pages, 22,80 € . Ecrivain(s): Peter Carey Edition: Actes Sud

 

Des rouages, des engrenages, un mécanisme, un dispositif, une animation, autant de mots concernant l’écriture d’une histoire comme la précision d’une horlogerie. Animer, n’est-ce pas créer un mouvement susceptible de se répéter (presque) sans intervention humaine ?

Le cygne n’est-il pas à la fois symbole masculin et féminin, et emblème de l’alchimie ?

Pour tenter de sauver la vie de son fils Percy, atteint d’une maladie incurable, Henry Brandling en désespoir de cause décide d’entreprendre un voyage en Allemagne – pays des plus fins horlogers – pour y faire construire un merveilleux automate en vue de divertir son enfant.

Deux siècles plus tard, ses carnets de voyage ainsi que les pièces et rouages d’un grand automate se voient confiés à une conservatrice londonienne, Catherine Gehrig, qui vient de perdre son amant, lui-même conservateur dans le même musée. Quoi de commun entre ces deux personnages ? La force d’un amour désespéré, et l’automate mystérieux.

Un léger déplacement, Marie Sizun

Ecrit par Anne Morin , le Samedi, 28 Septembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arléa, Roman

Un léger déplacement, février 2013, 335 pages, 10 € . Ecrivain(s): Marie Sizun Edition: Arléa

 

Un léger déplacement, un angle de vue différent, une autre perspective… comme les modifications, les versions différentes de son prénom – Hélène, Ellen, Léna, Nana – le laissent déjà entendre, toute la vie d’Hélène a été marquée, conduite, par ce « léger déplacement ».

Une femme, née Française, qui vit et travaille à New York depuis quelques trente ans où elle a fondé une famille, revient à Paris à la mort de la seconde femme de son père dont elle a hérité le vieil appartement de son enfance, rue du Cherche-Midi.

Dans l’avion, un léger malaise préfigure la suite des choses, dont le cours prend un sens inattendu. Le souvenir d’un violent et inabouti premier amour la fait basculer dans le passé.

De ce moment commence pour Hélène une quête qu’elle n’a ni voulue, ni souhaitée et qu’elle ressent d’abord comme une effraction : « Ici, tout est noir, enfoui dans le temps, pris sous la masse des années. Oppressant, funèbre » (p.32).

La longue attente de l’ange, Melania G. Mazzucco (2ème critique)

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 18 Septembre 2013. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Flammarion

La longue attente de l’ange, traduit de l’italien par Dominique Vittoz, 4 septembre 2013, 446 pages, 22 € . Ecrivain(s): Melania G. Mazzucco Edition: Flammarion

 

La lutte de Jacob – Jacomo est le prénom du Tintoret –… si ce tableau ne figure pas au nombre des toiles peintes par le Tintoret à la Scuola Grande San Rocco, sans doute est-ce celle qu’il crée, pas à pas, dans l’œuvre de Melania Mazzucco, La longue attente de l’ange.

L’ange… sa fille, Marietta née de ses amours avec Cornélia, une prostituée allemande, qui viendra le chercher dans une ultime vision, non dans un ciel d’Ascension mais dans une plongée dans l’eau saline, sournoise et omniprésente à Venise :

« Madame Marietta disait que Venise est une ville sans racines, dangereuse et secrète, car personne ne peut voir ni connaître sa partie la plus importante, ce qui la soutient, ses fondations en somme, qui sont englouties et cachées comme nos pensées les plus troubles et nos désirs inavouables » (p.221).

Marietta, à la fois trop présente et désincarnée. N’est-elle pas l’Etincelle du peintre, celle qui aussi bien, également, peut faire jaillir le feu et son idée, l’imagination et l’image ? Même après s’être résolu à la marier, le Tintoret la veut près d’elle, aussi installe-t-il le jeune couple dans un appartement situé au-dessus du sien, la réplique du sien :