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Thomas Bernhard Une vie sans femmes, Pierre de Bonneville

Ecrit par Anne Morin , le Samedi, 08 Octobre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Biographie, Essais

Thomas Bernhard Une vie sans femmes, L’Editeur, septembre 2016, 222 pages, 15 € . Ecrivain(s): Pierre de Bonneville

 

Pierre de Bonneville met en lumière un Thomas Bernhard auto-suffisant, jamais auto-satisfait : « Un homme (le personnage de Reger), à l’image de Thomas Bernhard, profondément dépendant, profondément seul » (p.50).

Ce rejeté de tout, de l’amour (par les siens et les proches), de la vie (par la maladie) rejette à son tour, dans un mouvement à la fois suicidaire et conservatoire. La pensée est « le lieu géométrique qui définit le lieu de fuite qui permet aux hommes de se soustraire à la pression des autres hommes et du monde extérieur, mais elle devient en même temps la geôle où l’homme qui s’est libéré est destiné à suffoquer lentement (Gargani, la phrase infinie de Thomas Bernhard) » (p.72). Ce phénomène étrange se traduit dans son écriture, et sa pensée, par un phénomène de con-vocation et de pro-vocation, les phrases tournent en rond, se lovant dans une sorte d’incantation, avec répétition d’un mot, d’un passage, une extinction du sentiment, de la sensation, dans la phrase, immunisant contre soi, contre les autres : « Il (Thomas Bernhard) pouvait sortir vainqueur de ses traumatismes, de ses manques affectifs, il apprenait “le funambulisme sur les choses humaines”. Son intelligence sera son moyen d’existence, de survie, son moyen de défense » (p.39).

A l’orée du verger, Tracy Chevalier

Ecrit par Anne Morin , le Samedi, 11 Juin 2016. , dans La Une Livres, Quai Voltaire (La Table Ronde), Les Livres, Critiques, Roman, USA

A l’orée du verger, mai 2016, trad. anglais Anouk Neuhoff, 324 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Tracy Chevalier Edition: Quai Voltaire (La Table Ronde)

 

En dépit de son titre, A l’orée du verger est bien autre chose qu’un roman bucolique, c’est un livre de sueur et de sang, une histoire de fuite, et d’initiation, et au bout de la fuite, de retrouvailles et de réconciliation : le héros, Robert, prend la mesure de son passé, l’envisage pour le recomposer.

C’est un garçon de neuf ans, qui a vécu avec sa famille dans un environnement très rude, auprès de parents très durs, un père indifférent ne vivant que pour ses pommiers, les cinquante arbres qu’il doit faire pousser comme un défi dans une terre qui se refuse, une mère violente, la majeure partie du temps ivre morte, des frères et sœurs accordés au paysage, et puis lui, Robert et sa petite sœur Martha, trop tôt devenus adultes, trop tôt témoins.

A la mort violente simultanée des parents, et sur une dernière parole terrible de la mère : il n’est pas le fils de son père, Robert s’enfuit.

Un petit garçon de neuf ans fuit, pendant presque vingt ans son passé, ce secret révélé, et sa faute : il a abandonné sa petite sœur Martha.

Les obus jouaient à pigeon vole, Raphaël Jerusalmy

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 12 Avril 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Les obus jouaient à pigeon vole, éd. Bruno Doucey, février 2016, 177 pages, 15,50 € . Ecrivain(s): Raphaël Jérusalmy

 

C’est une magnifique mise en pages des dernières vingt-quatre heures d’Apollinaire au front, avant l’impact de l’éclat d’obus. Apollinaire qui s’engage pour voir l’autre côté, être sur le fil du rasoir, à la fois dans sa peau de poète et voir comment rejaillit sur la poésie la tension absurde de la guerre. Voir s’il est possible de la rendre utile, dans le sens où l’on dit : à quelque chose, malheur est bon.

Tout engranger, tout accepter, ne rien rejeter, ne pas s’exposer plus, mais non plus pas moins que ses hommes, qui l’ont surnommé « Cointreau-Whisky », plus facile à retenir, plus camarade. Apollinaire est celui qui les écoute, qui les entend en tant (en temps) qu’homme, pas en tant que supérieur. Même si lui reçoit lettres et revues d’art, il reste proche d’eux, ils l’enrichissent, enrichissent sa pensée, sa langue, entremêlant ses mots à lui, les leurs et la façon de les dire, de les accorder, d’en faire des acolytes.

Apollinaire n’est pas entre deux, mais de plain pied dans les deux mondes : à Paris et sur le front, à la guerre et en poésie. Il cueille en passant les éclats de vers et les éclats d’obus, sans rendre la guerre inoffensive mais en l’apprêtant, pour mieux la désarmer.

Le miel, Slobodan Despot

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 05 Avril 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman

Le miel, novembre 2015, 151 pages, 6,40 € . Ecrivain(s): Slobodan Despot Edition: Folio (Gallimard)

 

Qu’est-ce que le miel ? Sinon ce produit qui guérit, adoucit, réconforte. Symbolique ou produit réel, Slobodan Despot le livre ici comme trait d’union.

Dans ce pays éclaté qu’est l’ex-Yougoslavie, où les hommes ne se comprennent plus, ce pays si découpé que des frontières poussent au gré des coups de main ou des opérations de telle ou telle ethnie, dans ce pays dévasté, il semble qu’il ne reste plus personne de sensé : « Des graffitis sardoniques, irréels, ornaient les murs, tracés par les deux camps au fil de leurs avancées et de leurs reculades » (p.74).

Dans la Krajina, un vieil homme, Nikola, ancien instituteur devenu apiculteur se tient loin des combats, et du haut de la montagne, dans la cabane rustique où il passe le plus clair de son temps, il entend les bruits de la guerre, en bas dans la vallée où il n’y a plus âme qui vive. Sa famille a fui devant les Croates, l’oubliant dans la débâcle.

La figurante, Avraham B. Yehoshua

Ecrit par Anne Morin , le Samedi, 26 Mars 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Bassin méditerranéen, Roman, Grasset

La figurante, février 2016, trad. hébreu Jean-Luc Allouche, 399 pages, 22 € . Ecrivain(s): Avraham B Yehoshua Edition: Grasset

 

Le retour, un retour à l’enfance, une incursion qui paraît anodine, dans le passé… revenir en arrière, c’est aussi pour Noga affronter ses démons : démons familiers – ? – de sa mère, de son frère, de son père mort, de son ex-mari, et fantômes de ce – ceux – qu’elle n’a pas su résoudre.

C’est aussi se mesurer à l’engloutissement d’un monde, d’un pays, d’une ville, grignotés de l’intérieur par les religieux qui colonisent peu à peu, quartier par quartier, la Jérusalem de son enfance et de sa jeunesse.

« – En effet, il donnait sur un magnifique paysage, et avait plusieurs fenêtres. Mais je n’ai aucun doute qu’entre-temps, à cause de la fécondité des habitants et des nouvelles constructions, ce paysage ne doit plus exister. Oui, c’était un appartement très agréable dans un quartier qui, depuis, a changé et est devenu plus noir que le noir, mais, en fait, c’est pareil chez nous… » (p.357).