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La Barbarie, Jacques Abeille

Ecrit par Anne Morin 10.11.11 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Attila, Roman, Science-fiction

La Barbarie, 2011, 123 pages, 15€

Ecrivain(s): Jacques Abeille Edition: Attila

La Barbarie, Jacques Abeille

 

Dernier volet du triptyque des Contrées, faisant suite aux Jardins statuaires et aux Barbares, la Barbarie, en faisant mine d’apporter un point final et un sens, nous enseigne une autre direction, ainsi que le suggère une phrase prononcée par le narrateur au terme de son procès : « (…) on se trompe sur le sens des événements ; nous ne nous éloignons pas de la barbarie, nous y allons » (p. 109).

Revenu à Terrèbre qu’il habitait au moment de son enlèvement par les Barbares, après plusieurs années de quête en compagnie des Cavaliers, le narrateur ne retrouve ni sa place ni son rôle dans une société rigidifiée. Cléton, un bureaucrate à l’emploi mal défini, spécialiste des abysses de l’administration le reçoit au « conservatoire du livre et de l’imprimé » et lui laisse une impression étrange « (…) il était à tous égards d’une inhumaine beauté et semblait quelque dieu antique… » (p. 35). Après une série de démarches dans un dédale administratif kafkaïen, il se voit confier un poste d’assistant subalterne à l’université où il était professeur avant les « événements ». Les temps ont changé. Le narrateur a la mauvaise idée de publier un article sur le peuple des Cavalières, mi-magiciennes, mi-amazones qu’il a rencontrées dans les steppes.

Victime de sourdes machinations et d’une bureaucratie absurde, voulant se blanchir après un non-lieu en faisant appel, il est déclaré coupable de haute trahison, et après un procès bâclé, arrangé, banni par un pouvoir dictatorial d’autant plus tyrannique qu’il est mené par la bêtise et l’égalisation – ou la légalisation – d’idées reçues et acceptées.

Il n’est pas bon de remuer les choses. Avant même d’être frappé d’ostracisme, le narrateur a du mal à prouver son existence. Dérangeant, sortant du rang, il signe sa condamnation à l’oubli. Plus de nom, plus de vie, on s’emploie à le réduire. Tout paraît graviter autour du conservatoire -étouffoir, où finit entre autres la vie du livre des Jardins statuaires – dont l’existence même est déniée – traduit par le narrateur, afin d’en éviter la « propagation ». Cléton qu’il retrouvera dans un ultime face-à-face muet à la fin du livre est-il le deus ex-machina de cette fable ? La barbarie est en quiconque, qui ne reconnaît pas l’autre et l’ailleurs, qui les nie et dénie.

Le professeur, intermédiaire entre deux mondes, devenu un matricule archiviste à l’isolement total d’une prison où la mort déjà s’annonce, découvre un article dans un journal qui date : on a découvert à quatre reprises, dans de gros sacs de peaux de porc cousues, des quartiers de viande fraîche. « En lisant ce compte rendu, j’ai éprouvé de la joie – écrit le narrateur dans le dernier espace libre d’un cahier qu’il s’apprête à détruire – Quelque chose se prépare. Des hommes, différents des autres, surviennent enfin, suscités peut-être par l’excès d’indifférence. Le murmure du futur… » (p. 123). Le journal date, le futur… peut-être déjà à l’œuvre ?


Anne Morin


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A propos de l'écrivain

Jacques Abeille

Jacques Abeille, né en 1942, est écrivain et peintre. Il est membre du groupe surréaliste Parapluycha fondé en 1966 par Pierre Chaveau.

Il poursuit à l’heure actuelle Le Cycle des contrées, inauguré avec les Jardins statuaires (1982, rééd. Attila 2010) : après l’album Les Mers perdues (avec François Schuiten, 2010) et Les Barbares, un nouveau volume, La Barbarie, vient de paraître chez Attila (octobre 2011).


A propos du rédacteur

Anne Morin

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Rédactrice

genres : Romans, nouvelles, essais

domaines : Littérature d'Europe centrale, Israël, Moyen-Orient, Islande...

maisons d'édition : Gallimard, Actes Sud, Zoe...

 

Anne Morin :

- Maîtrise de Lettres Modernes, DEA de Littérature et Philosophie.

- Participation au colloque international Julien Gracq Angers, 1981.

- Publication de nouvelles dans plusieurs revues (Brèves, Décharge, Codex atlanticus), dans des ouvrages collectifs et de deux récits :

La partition, prix UDL, 2000

Rien, que l’absence et l’attente, tout, éditions R. de Surtis, 2007.