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Rêves de trains, Denis Johnson (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 19 Novembre 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Titres (Christian Bourgois)

Rêves de trains, Denis Johnson (Train Dreams 2003), traduit de l’américain par Brice Matthieussent, Christian Bourgois Titres, 138 p. 7,50 € Edition: Titres (Christian Bourgois)

Au-dessus du vide, des gouffres vertigineux, des canyons brutaux, des hommes ont lancé des ponts, des monstres de métal pour réduire les distances dans les territoires montagneux, dans les brisures des Rocheuses, des Appalaches, comme un défi insensé à la Nature jusqu’alors toute puissante. Des hommes ont bravé le danger, ont risqué et ont laissé leur vie dans les gouffres obscurs pour accomplir cette tâche de titans au nom de ce que l’on a appelé le progrès – et qui l’était sûrement pour l’économie américaine des années 20. Moment essentiel de la composition de la symphonie des trains qui tissèrent leur toile à travers l’immense territoire, monts et vallées, déserts et villes, canyons et plateaux.

Grainier fut l’un de ces bâtisseurs et son histoire, ici racontée, est scandée par le bruit des trains, leurs vibrations, leurs sifflements, leurs grondements. Une vie simple, d’homme simple, écrite dans un style au dénuement total. Les accents bibliques ne sont pas loin, avec des passages d’une poésie céleste qui frise le fantastique. L’histoire de Grainier coule dans ses veines à jamais et, longtemps après l’âge héroïque des premiers ponts, il a gardé au fond du cœur et de la mémoire les moments d’alors.

Comme les amours, Javier Marías (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 05 Novembre 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Espagne, Folio (Gallimard), Roman

Comme les amours, Javier Marías (Los enamoramientos, 2011), Traduit de l’espagnol par Anne-Marie Geninet, Folio 421 p. Edition: Folio (Gallimard)

Le temps est une affaire vertigineuse. Dans l’axe, seul le passé existe. Le futur est hasardeuse spéculation. Le présent une pure fiction. C’est la ligne continue qui traverse ce sombre roman, ce presque roman noir. La mort (violente en l’occurrence) fige une histoire dans le passé. L’histoire est alors saisissable, elle a un début et une fin, l’observateur sait ce qu’il en est de la narration du mort. C’est la position du lecteur de biographies : Baudelaire est né, il a vécu, il a souffert, il a aimé, il a écrit, il est mort. Baudelaire est lisible, il appartient au passé, du moins par sa vie, son œuvre, elle, continue par un miracle que seul le génie peut produire.

Luisa, l’épouse, et Maria la narratrice sont désormais en aval de Miguel, assassiné sauvagement, tailladé au couteau papillon par un inconnu. Et en aval, il n’y a évidemment plus Miguel. Le temps de Miguel est clos, tellement clos qu’un retour (impensable) de Miguel serait un cauchemar aussi terrible que sa mort. Non pas que son épouse, Luisa, ne le regrette pas - elle est au contraire écrasée par sa disparition, incapable de s’en relever malgré ses deux enfants – mais parce que le temps ne permet pas de manquement à ses règles : ce qui est clos est clos, provoque un ordre nouveau et une faille dans cette règle serait le pire des désordres.

Vies arides, Graciliano Ramos (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 08 Octobre 2025. , dans La Une Livres, En Vitrine, Cette semaine, Les Livres, Critiques, Langue portugaise, Roman

Vies arides, Graciliano Ramos (Vidas Secas, 1938), traduit du portugais (Brésil) par Mathieu Dosse, Chandeigne & Lima, 2025. 163 p.

 

Ce livre est sec comme une trique, comme un buisson desséché du Sertão. Rarement écriture n’a atteint un tel degré d’économie, une épure aussi proche de l’étisie, à l’image du territoire et des personnages qu’elle raconte. L’adjectif est rare, la fioriture absente, seule s’élève une voix simple, rauque, ravagée par la chaleur et la sécheresse. Un joyau noirci par un soleil létal. Un chant omineux sans consolation.

Étrangement, ce roman âpre fait penser à Essénine et sa Ravine, ode au désert glacial où vivent des malheureux paysans russes de la Taïga. On retrouve, dans la chaleur étouffante du Nordeste brésilien, la même Nature impitoyable qui frappe les hommes, les fait ployer, les écrase. On pense aussi, bien sûr, au chef-d’œuvre d’Euclides da Cunha, Hautes Terres, au prodigieux roman de João Guimarães Rosa, Diadorim et au magnifique Le Llano en flammes de Juan Rulfo.

Léviathan, Julien Green (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 01 Octobre 2025. , dans La Une Livres, En Vitrine, Les Livres, Critiques, Roman, Le Livre de Poche

Léviathan, Julien Green, Le Livre de Poche, 2005, 344 pages Edition: Le Livre de Poche

 

Le morne ennui de la Province il y a un siècle est le décor des romans de Julien Green. Dans une topographie qui semble figée dans l’éternité, la petite ville bourgeoise, ses placettes, ses arbres ordonnés en triangle, la morosité tranquille de ses jours sans fin, ses habitants enfoncés dans des rituels immuables, Green déroule des histoires terribles, qui frisent les limites des comportements humains. Déjà Adrienne Mesurat nous avait conduits vers ces frontières où la raison vacille, où l’horreur fait surface. Mais avec Léviathan, Green franchit toutes les limites du cauchemar et, dans un cauchemar, tout est effroi, lieux sinistres, personnages monstrueux, événements terrifiants.

La fascination de Julien Green pour la topographie se retrouve dans son regard sur cette petite ville de Province. Tout y est lignes et angles, tout y est droites et coins.

Assurance sur la mort (Double Indemnity, 1937), James M. Cain (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 24 Septembre 2025. , dans La Une Livres, En Vitrine, Les Livres, Critiques, Polars, Roman, USA, Gallmeister

Assurance sur la mort (Double Indemnity, 1937), James M. Cain, éd. Gallmeister, 2017, trad. américain, Simon Baril, 157 pages, 8,60 € Edition: Gallmeister

 

Depuis quelques années, il est d’usage et de bon ton chez les experts en polars de chanter la louange des romans policiers qui « bousculent les codes » du genre. Effets de l’air du temps – on déconstruit à tour de bras – ou de la recherche de modernité à tout prix qui ont eu pour résultat de produire une profusion de polars déjantés, de plus ou moins bon goût, dont le seul objectif est visiblement de « bousculer les codes » justement.

Avec James Cain, on ne risque rien. C’est lui, avec quelques autres comme Chandler, Goodis, Hammett, entre autres, qui a établi ces codes, à notre grand bonheur. Assurance sur la mort est l’un des piliers de la grande littérature noire et, comme il se doit de celle-ci, du cinéma noir : Billy Wilder a signé en 1944 un film remarquable tiré du livre.

Donc, tous les codes y sont. Non seulement ceux du polar classique, mais ceux des polars écrits par James Cain. On retrouve en effet, deux ans avant le célébrissime Le Facteur sonne toujours deux fois, le triangle funeste du mari victime, de la femme et de l’amant meurtriers.