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Articles taggés avec: Ferron-Veillard Sandrine

A hauteur d’enfant (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Jeudi, 24 Juin 2021. , dans La Une CED, Ecriture

 

Peut-être que ça commencerait comme cela. Un matin. Le vent viendrait du Nord, un merle se poserait sur le rebord de la fenêtre d’une école Montessori. Gazouillis et trilles. À proximité, un parc. Gaby.

Gaby arrive à huit heures et demie, voire davantage. Sa mère est encore en retard. Sa mère est essoufflée. Gaby ne pleure pas, ne pleure plus maintenant quand sa mère repart. Sa mère devant l’entrée de l’école. Sa mère derrière la grille qui n’est déjà plus derrière. Une grille qui grince. Devant l’éducatrice, dire Bonjour, c’est ainsi qu’elle s’appelle la dame qui s’occupe des vingt-six autres enfants arrivés avant huit heures et demie. Vingt-sept enfants âgés de trois à six ans. L’assistante, c’est la deuxième dame qui aide la première dans l’ambiance et l’ambiance c’est le nom de la salle de classe de Gaby.

Le Train des enfants, Viola Ardone (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Jeudi, 08 Avril 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Albin Michel, Italie, Roman

Le Train des enfants (Il Treno dei bambini, 2019), Viola Ardone, janvier 2021, trad. italien, Laura Brignon, 292 pages, 19,90 € Edition: Albin Michel

 

Les pieds dans des chaussures. L’odeur et la forme. L’empreinte. À hauteur d’enfant. Parce que les enfants voient d’abord les pieds des adultes. Amerigo Speranza a sept, presque huit ans. Une vie en cinquante-trois chapitres. Du Sud au Nord de l’Italie. Père inconnu. La mère, Antonietta, elle est belle. Une voix de contrebasse. Belle parce que les enfants entendent ce que disent les hommes d’elle. Et le père est parti, ou reparti en Amérique, une fois la seconde guerre mondiale terminée. Terminée. Ça, c’est l’histoire qu’elle raconte à Amerigo.

« Les femmes, elles, marchent sans honte et traînent deux, trois, quatre enfants par la main. Moi je suis fils unique, vu qu’avec mon frère Luigi on n’a pas eu le temps de se connaître. On n’a pas eu le temps avec mon père non plus, je suis né en retard sur tout le monde ».

Sa plus belle rencontre avait été un arbre (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Mercredi, 10 Mars 2021. , dans La Une CED, Ecriture

 

Françoise était née le 4 mai. Elle était morte le 24 décembre. Entre ces deux dates, elle avait vécu. Au Liban, en Syrie, au Maroc, au Sénégal, en Angleterre, en Espagne, en Italie. En France. En noir et blanc. Des milliers de photographies en désordre, dont les bords étaient dentelés, parfois tranchants, assez petites pour entrer toutes dans un coffret en marqueterie daté des années 50, tellement minuscules que je devais les regarder à la loupe. Des centaines de portraits sous la doublure du couvercle, autant de mosaïques décoratives, de pièces de bois d’ébène et de myrte, d’écaille et de nacre sur lesquelles je passais mes mains pour leur fermer les yeux. Nos ancêtres et nos descendants. Et quelques amis que la légende familiale célébrait. Des répliques.

Cinquante ans avant de mourir, les gènes de Françoise avaient sauté de son corps au mien, enjambant deux générations. Ses deux filles. Françoise était ma grand-mère. Son gène récessif de l’iris bleu dans les miens. Françoise m’avait transmis la vie par sa fille aînée. Et la promesse de sa longévité.

Les Vilaines, Camila Sosa Villada (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 12 Février 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Métailié

Les Vilaines, Camila Sosa Villada, Métailié, janvier 2021, trad. espagnol (Argentine) Laura Alcoba, janvier 2021, 208 pages, 18,60 € Edition: Métailié

 

À chaque nouvelle lecture, on se dit qu’un livre est une rencontre, la vraie celle-ci, l’objet littéraire que l’on n’attend pas, la rencontre qui détourne, transforme. La lecture en expérience. Pour changer son propre rythme et sa lecture du monde.

Ici, la lecture est un témoignage.

Aucun chapitre numéroté pour s’y tenir. Tel le tronc contre lequel les corps s’appuient dans le Parc, contre lesquels ils jouissent ou ils succombent. Elles tombent. Les incubes et les succubes. Ici, les Trans travaillent. La ville imprimée dans les lignes qu’elles forment en marchant dans le Parc, les lignes qu’elles prennent, les lignes qu’elles suivent. À Cordoba, avec un accent sur le premier « o », en Argentine. L’alignement des fenêtres, qui ne sont plus si blanches, toutes grillagées, et des portes condamnées comme autant d’alarmes pour se protéger des vols. Des viols. Des coups de feu, des coups de poing, des coups meurtriers dans les reins.

Tiramisu (par Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Mardi, 15 Décembre 2020. , dans Nouvelles, La Une CED, Ecriture

 

Cher ami,

Je réponds d’emblée à ton souhait, je m’en réjouis. Je t’apporterai le dessert. Un dessert. En réponse aussi à ta précédente invitation, ce dîner que nous avions volé aux circonstances. Tu avais si bien cuisiné ! Et ton tiramisu était exquis. Son onctuosité. La génoise et les grains de café dans la crème, un pied de nez assurément. Ce n’était plus un tiramisu, avais-je rétorqué, et qu’importe ! Nous avions trinqué à tout ce qui se transforme, ne se crée point, se transmute. Nous nous étions régalés. Nous avions bu, presque rien. Un Crozes-Hermitage 2011. De 2011 à 2020. Trois verres chacun qui me demandèrent une attention accrue à vélo. Par chance, nous vivons à un kilomètre l’un de l’autre, là notre distance. Notre respectable insouciance. Nos dîners tantôt chez l’un tantôt chez l’autre, toujours inédits, toujours différents, celui-ci et le nôtre. Nos deux intimités diluées ou dissoutes par une pandémie. L’univers entre nous.