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Articles taggés avec: Abraham Patrick

Venise : trois ouvrages littéraires (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 10 Octobre 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

 

Un rêve fait à Venise

Dans le chapitre V et dernier de La Mort à Venise, le personnage principal, Gustav von Aschenbach, tandis que le choléra s’étend dangereusement sur la ville, masqué par les autorités pour ne pas compromettre le tourisme, et que son amour interdit, destructeur et lumineux à la fois pour l’adolescent polonais Tadzio (qu’on ne peut imaginer aujourd’hui, hélas, après le film de Visconti, que sous les traits de Björn Andrésen…) le conduit par-delà les limites de la décence bourgeoise, par-delà le bien et le mal donc, fait « un rêve épouvantable ». Il entend « un tumulte, un fracas, des bruits de chaînes » qu’accentuent bientôt « des cris aigus de jubilation » et des « chants de flûte » dans lesquels il reconnaît la manifestation du « dieu étranger », c’est-à-dire de Dionysos, d’origine indienne comme j’y reviendrai.

Archibald Ney, La vérité vingt-quatre fois (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 03 Octobre 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Archibald Ney, La vérité vingt-quatre fois, éditions du Vol à voile, avril 2025, 171 pages, 18 euros.

Sur La vérité vingt-quatre fois d’Archibald Ney

 

L’essai et premier livre d’Archibald Ney, La vérité vingt-quatre fois, dont le titre renvoie, en la détournant, à une phrase fameuse de Godard placée en épigraphe (« La photographie, c’est la vérité, et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde »), repose sur un principe simple et stimulant : choisir vingt-quatre scènes marquantes tirées de vingt-quatre films et expliquer en quoi elles ont été importantes pour l’auteur, en quoi elles ont changé sa vie ou du moins l’ont embellie et revivifiée.

Archibald Ney ne prend pas ici la pose d’un cinéphile professionnel et c’est tant mieux si l’on pense avec Gilles Deleuze que les philosophes et les écrivains sont les mieux qualifiés pour parler des films qu’ils ont aimés (mais Archibald Ney est bien un cinéphile puisqu’il cherche à nous transmettre une succession d’engouements) et en dire ce qu’un spécialiste, justement, avec son jargon, n’aurait pas dit.

Entracte, Deepankar Khiwani (Par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 13 Juin 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Asie, Poésie

Entracte, Deepankar Khiwani, traduit de l’anglais (Inde) Nina Cabanau, bilingue, éditions Banyan, février 2025, 128 p. 19 €

« J’ai mis du temps à comprendre que cette douleur était la mienne » : sur Entr’acte de Deepankar Khiwani

Entr’acte (titre original) est le seul recueil publié de son vivant, en 2006, par le poète indien anglophone Deepankar Khiwani, né en 1971 à Delhi et mort prématurément en 2020. Les éditions Banyan nous en proposent une traduction française par Nina Cabanau, agréable et suggestive. Une riche introduction par Anand Thakore, ami de l’auteur et poète lui aussi, permet de situer Khiwani sur un plan biographique et littéraire.

Le mot « recueil », dans son acception courante, ne convient pas tout à fait à ce livre (à ce beau livre au sens mallarméen du mot) : en effet, si les poèmes choisis couvrent une dizaine d’années (1995-2005), l’ouvrage, concerté, est construit avec rigueur avec un « Premier acte » ouvert par un « Prologue » et comportant sept sections, chacune étant introduite par un vers tiré de ce « Prologue » (p. 2-109), et un « Deuxième acte » beaucoup plus court constitué d’un unique poème en quatre séquences (« Une étape à Shiroshi ») et aboutissant à un « Épilogue » (p. 110-123).

Mercurio, Philippe Mezescaze (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 14 Mai 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Mercure de France, Roman

Mercurio, Philippe Mezescaze, Mercure de France, avril 2025, 192 pages, 19 €

 

Mercurio, le personnage éponyme du dernier roman de Philippe Mezescaze, c’est Monsieur de Bougrelon. Je m’explique : dans le roman de Jean Lorrain publié en 1897 et chroniqué dans cette revue en octobre 2024, nous sommes à Amsterdam à une date indéterminée, une Amsterdam hivernale, puritaine et dévergondée à la fois. Le narrateur anonyme et son ami y font la connaissance d’un singulier compatriote, de souche normande comme eux, qui semble avoir pour préoccupation première, à travers ses discours et sa gestuelle, et en dépit de son allure décatie, d’imposer de soi et de son passé, de ses conquêtes, de sa relation de jadis avec Monsieur de Mortimer, son double embelli, une image fastueuse. Des doutes naissent sur la véracité des propos du « vieux fantoche », que l’épilogue confirmera : Monsieur de Bougrelon subsiste péniblement en tenant un humble rôle de violoniste dans un cabaret minable.

Dirty dandy, Benjamin Berton (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 07 Mai 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Biographie, Roman

Dirty dandy, Benjamin Berton, éditions Page à Page, Coll. écho(s), février 2024, 201 pages, 18 € . Ecrivain(s): Benjamin Berton

 

Benjamin Berton, écrivain, n’est pas un adepte du confort. Benjamin Berton a le goût du risque, des structures narratives audacieuses, des télescopages. On en a la preuve avec Dirty dandy, sous-titré Quand Jean Lorrain ébranle Marcel Proust. Benjamin Berton semble ici poursuivre un double but : rendre hommage à l’auteur de Monsieur de Bougrelon, le faire sortir de l’oubli (tout relatif) où il a été relégué, et, en le confrontant à une Figure quasi inattaquable de notre patrimoine, à l’un des saints les plus vénérés de notre ciel littéraire (vénération toute relative elle aussi car, en vérité, qui lit vraiment Proust ?), tenter, sans illusion, de remettre en cause une hiérarchie unanimement acceptée. Remy de Gourmont, il y a bien longtemps, avec ses « dissociations d’idées », dans Le Chemin de Velours, mais avec des moyens différents, s’était engagé sur un tel terrain.