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Nouvelles

Tout autre chose que la nuit (2), par Joëlle Petillot

Ecrit par Joelle Petillot , le Samedi, 01 Juillet 2017. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Il est bien, dans son premier été d’homme, Emmanuel. Quand la femme pâle revient, il entrouvre les yeux. Elle lui prend la main, le poignet, se penche un peu. Quand son visage est assez près, il la regarde et lui dit simplement : « Laissez-moi ».

Elle lui sourit et dit « ok », vérifie la perfusion, tripote quelque chose sur la table de chevet. Elle sort, il n’a pas réalisé qu’il s’endort. Aucune importance, il est retourné là-bas.

Quand il se réveille le jour a baissé. Il a demandé les volets ouverts quelle que soit l’heure. Même la nuit. Tant que l’obscurité est celle d’un vivant, aucune raison de s’en priver. Il sait aussi qu’il lui en reste, de cette nuit à venir. C’est à l’aube qu’on prend le Train pour Nulle part. La femme pâle vaque dans la maison, il entend son pas, des voix étouffées. Le mot qui lui vient à l’esprit, à peine un œil jeté au crépuscule dehors est « deuxième ». Deuxième quoi ?

Le Cadeau, par Clément G. Second

Ecrit par Clément G. Second , le Jeudi, 29 Juin 2017. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

À peine entendit-elle la sonnette depuis le salon où elle lisait, qu’elle courut jusqu’à la porte d’entrée et l’ouvrit violemment. Mais sur le palier, personne. Ce devait être quelqu’un de bien agile : pas un bruit, pas de mouvement perceptible dans l’escalier. Elle courut à la fenêtre ouverte du salon et se pencha : la rue n’offrait à voir que sa tranquillité vide.

Cette fois encore, « on » s’était évanoui après avoir déposé un paquet de plus sur l’essuie-pieds. « On » avait dû dévaler l’étage puis sortir en vitesse de l’immeuble et tourner à angle droit pour s’engouffrer dans la courte ruelle qui menait au bas de la ville. Trop tard pour la poursuite. Elle alla ramasser le paquet, qu’elle posa sur une étagère de l’entrée en attendant de le ranger avec les autres.

Cécile n’y comprenait rien et s’en tourmentait depuis la première fois, quelques semaines auparavant, où une sorte de petit colis sur lequel était écrit « Cadeau » l’attendait sur le palier sans personne pour le lui offrir.

Tout autre chose que la nuit (1), par Joëlle Petillot

Ecrit par Joelle Petillot , le Mardi, 27 Juin 2017. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Il rêvait éveillé pour profiter de la vie comme on la distille. Parfois la femme pâle ouvrait la porte, jetait un coup d’œil : il fermait les yeux, contrôlant sa respiration. Il savourait plusieurs chances : avoir eu une vie acceptable, s’acheminer vers la sortie sous son toit et sans souffrance majeure, faire semblant de dormir comme à huit ans, quand une mère angoissée – pléonasme –, au point de le garder à la maison avec 37°7 de température, venait dans sa chambre toutes les heures afin de déposer sur le front de son Prince un baiser transparent comme sa propre conscience.

Le présent étréci relevait de la même imposture : je ne dors pas vraiment, laisse-moi rêver.

La femme pâle n’était pas maternelle, on la payait pour s’occuper de lui. Mais il aimait son visage. Elle sortait de la chambre comme on s’envole, s’évaporant dans un parfum de sauge, une odeur miellée de tisane proche de celle de l’oubli. Après quoi il reprenait les berges paresseuses du fleuve-mémoire, sans s’épargner les grands trous de vase douce, les herbes masquant le fond, les rides de l’eau, les reflets. Il s’installait dedans malgré des peurs fugaces, en homme sûr de ses pas qui ne s’en laisse pas conter. Il perdait parfois des choses, mais lui ne se perdait jamais.

Passage des innocents, par Joëlle Petillot

Ecrit par Joelle Petillot , le Samedi, 17 Juin 2017. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Rouler la pente en caillou jeté, se préserver de l’éclat pour arriver entière.

L’obscurité griffe la peau comme un lierre noir.

Mais une figure de rayons sourit, sa voilette de nuages chassée par un vent insoucieux, si haut qu’il ne ferait voler aucune feuille, aucune chevelure.

Il dévoile en toute impunité la belle inconnue du ciel, rêveuse dans son insoumission.

 

Les nuits ne se valent pas.

Chacune d’elle appelle un matin qui ne portera que son nom.

 

Les nocturnes cisaillent l’obscurité de leur note filée, ce cri si lourd de douleur que la peur humaine les crucifiait aux portes des églises.

Hommage à Baudelaire XVIII - (Baudelaire à Calcutta - Histoire contrefactuelle), par Patrick Abraham

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 14 Juin 2017. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

1) Comme nous l’apprennent ses notices biographiques, Baudelaire n’alla jamais en Inde, mais il en eut le projet. Ou plutôt sa mère et son beau-père, le futur sénateur et ambassadeur Aupick, conçurent ce projet, le Paquebot-des-Mers-du-Sud qui l’emportait loin de la France en juin 1841 ayant pour destination finale Calcutta. On peut rêver à ce que serait devenue son œuvre s’il était arrivé au terme de son voyage. Il y a dans Les Fleurs du Mal de nombreuses réminiscences travaillées des paysages de l’île Maurice et de l’île Bourbon où il débarqua en septembre et où il s’arrêta environ deux mois. Quelles plantes plus bizarres ou plus simples eussent éclos s’il avait poursuivi sa route ou si la fragile goélette avait pu repartir à temps ? Le recueil lui-même eût-il été édité ? Probablement. Encore que si Baudelaire fût parvenu à Calcutta et ne se fût pas contenté d’une visite superficielle de la ville déjà fourmillante ; s’il l’eût parcourue, en fût sorti et eût découvert en elle et en-dehors d’elle une Inde non anglaise, diurne et nocturne, si différente du Paris bourgeois ou bohème qu’il connaissait ; s’il eût fourni l’effort d’étudier le bengali ou l’hindoustani, de lire en traduction les deux grands poèmes épiques et de se rendre à Bénarès ou aux sources du Gange ;