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Nouvelles

Les enfants de Rodrigues, par Sandrine Ferron-Veillard

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Mercredi, 07 Février 2018. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Cette sensation a commencé un 13 novembre, le lendemain de mon arrivée à Rodrigues. L’île Rodrigues. Par un petit-déjeuner d’abord sur une nappe bleue cousue de rubans rouges. Du riz, des lentilles, du potiron cuisiné avec soin, les soins de mon hôte dont le prénom aurait dû déjà m’éclairer. Héloïse. Son sourire d’abord, au téléphone, depuis l’aéroport de Port-Louis, à l’île Maurice. Un premier retard, un problème technique, un problème d’appareil, un problème de pilote malade, des passagers absents, des bagages à débarquer, cinq heures de retard. Par chance pas de vents violents, ce jour-là, je me souviens avoir regardé le ciel, je crois que le ciel était clair. Ses bras ouverts à mon arrivée, elle sur le seuil de son gîte, la terrasse entre nous, moi sur mes gardes. Où déjà ?

Rodrigues.

L’homme abstrait, par Jean-Paul Gavard-Perret

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 06 Février 2018. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Quoique manifestement indifférent à tout ce qui pouvait s’apparenter à une relation amoureuse et vraisemblablement aussi à toute relation humaine, une sorte de grand-mère – que je connaissais à peine sinon par ses prénoms (Le Fouèse et La Blonde des Maisons) – m’a légué tout ce qu’elle possédait. Elle y joignit une lettre où elle me traitait de tous les noms. Au lieu de vous les énoncer je vous listerai – en mon propre héritage – ce que fut son legs. Ayant reçu ses clés, je suis allé dans sa remise. Il y avait un bric-à-brac de boîtes. Je les ai ouvertes une à une… Il y avait la boîte à rire, la boîte à sourire, la boîte à pleurer et celle à pleurer de rire. La boîte à ouvre-boîte (j’aurais dû commencer par elle, encore aurait-il fallu qu’elle soit bien rangée). La boîte aux lettres d’amour et celle aux lettres de rupture. La boîte à chaussettes et celle aux godemichés sur laquelle était écrit « boîte à promesse ». Bref la boîte à trancher les problèmes ou à parer au plus pressé. Il y avait aussi la boîte aux taciturnes burnes, la boîte à blancs de poulet. La boîte à plumes et celle à défauts que je trouvais au poil. La boîte à lune nommée sur le côté « boîte de nuit ».

Une Vie poétique – Histoire zénithale, par Patrick Abraham

Ecrit par Patrick Abraham , le Lundi, 05 Février 2018. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

(Un matin, tu trouverais sa chambre vide. Aucun mot n’aurait été scotché sur le frigo. Il ne répondrait pas à tes appels. Abîmé, tu froisserais l’inexistant papier sombre et soyeux dont son image aurait été faite.)

*

Tu aimais la façon dont il laissait traîner ses vêtements sales partout dans la maison, les fourrait en boule dans son sac après les avoir sortis de la machine à laver mais, dans un magasin, remettait impeccablement dans leurs plis ceux qu’il avait essayés. Tu aimais l’élégance de ses gestes quand il fumait ou tapotait sur son téléphone portable : quelle rage, quelle humiliation pour lui si tu lui avais dit qu’ils étaient pour toi, dans leur perfection désinvolte, leur légèreté, leur inachèvement – la Grâce ! Tu aimais sa démarche très droite et un peu voûtée avec les bras le long du corps, les mains jamais dans les poches mais les paumes ouvertes vers l’arrière – si bien qu’au bout de quelques mois sans l’avoir cherché tu l’imitas. Tu aimais ses positions dans le sommeil : comme il se levait tard, bien après toi, tu le regardais dormir et le parcours de son corps sur le lit d’heure en heure, sa gymnastique immobile, avaient à tes yeux un mystère quasi théologique.

Ecoute-moi mon fils…, par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Lundi, 29 Janvier 2018. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

En cette heure solennelle de l’aurore bienfaitrice, ouvre bien tes oreilles hermétiques à la grâce de l’Amour et à beauté de la vie ! Ferme tes yeux qui s’écarquillent de stupeur devant le spectacle de la mort qui s’impose à nous avant même le lever du rideau de la tragédie humaine ! A l’heure où je te parle, des êtres sans tendresse, ni amour, regagnent les rives solitaires, de l’autre côté de nos vies orphelines ! Sois attentif à ma parole, cette herbe folle et clairvoyante qui raconte la légende heureuse des esprits libres et rebelles !

Ta naissance ?

Ah, ce jour béni par les astres flamboyants neufs ! Cette nuit-là, belle et magique, la lune noire avait été vaincue par les éclairs imprégnés par la couleur bleutée des feux follets. Aux confins de l’univers, les étoiles folâtres s’acoquinèrent avec le ciel bleui par les meurtrissures divines. Cette nuit de l’Amour, des oiseaux blanc-pureté, envoyés en éclaireurs, entonnèrent l’hymne de la « Joie Retrouvée » ; puis ils disparurent dans le mystère de l’obscurité lucide. Aussitôt ! Les notes de musique de ce chant aux sonorités allègres subjuguèrent nos sentiments bruts. Béatitude ! La vie frémissante de Beauté encore fragile re-naquit !

Le mystère parfois nous effraie, par Marc Ossorguine

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 22 Décembre 2017. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Il sort de la maison. Il ou elle ? A vrai dire ce n’est pas si évident. Dans cette ombre entre chien et loup, tous les chats sont gris et toutes les silhouettes sont floues, incertaines. La démarche semble plutôt féminine. La carrure, masculine. A moins que ce soit les vêtements qui la transforment. Ce que l’on devine des cheveux pourraient être l’un ou l’autre. De toute façon, les femmes aux cheveux courts sont aussi fréquentes que les hommes aux cheveux longs, non ? Alors, homme ou femme, on ne peut vraiment se décider.

Une silhouette sort de la maison. Quelle maison ? Une maison. Une parmi d’autres. Pas très différentes de celles qui sont en amont ou en aval dans la même rue. Assez semblable à celles qui sont de l’autre côté de la rue. Et même de celles qui sont dans les autres rues.

A quoi ressemblent ces maisons ? Difficile à dire, dans le clair obscur qui s’est installé on ne distingue en fait que des ombres de maisons. Des masses indistinctes que l’on a peine à séparer les unes des autres. Des blocs d’obscurité claire vaguement rythmés sur le ciel.