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Nouvelles

Sur un roman d’André Dhôtel (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Lundi, 17 Décembre 2018. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

1) La scène se passe à Charleville, place Ducale, un matin de printemps. Ciel grisâtre. Une terrasse presque vide. LUI est propriétaire d’un vaste appartement rue du Moulin. Profession libérale. Aisance financière. MOI est venu pour régler un héritage. Profession indéfinissable.

MOI (posant un livre sur la table) : C’est un bien beau roman, cher ami, que Bonne nuit Barbara. Oui, merci, mademoiselle, un grand café avec un verre d’eau.

LUI : D’André Dhôtel ? Un café aussi. Et le journal s’il est disponible.

MOI : D’André Dhôtel. Gallimard. Février 1978.

LUI : J’ai lu un peu Dhôtel dans ma jeunesse. Et je l’ai aperçu assez souvent aux environs d’Attigny.

MOI : Il y possédait une maison où il séjournait régulièrement, je crois. Ah, Dhôtel ! Arland ! Follain ! Ils étaient très liés et, aussi différentes soient-elles, il y a comme un air de famille dans leurs œuvres. Le quotidien dans son ahurissante banalité, dans sa fabuleuse et inépuisable évidence. Paulhan, qui les éditait, les appréciait beaucoup.

Nouvelles brésiliennes (IV) - Adriana Sydor, Avarice (traduction Stéphane Chao)

, le Jeudi, 13 Décembre 2018. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

Pecuniae obediunt omnia

Toutes les pièces de monnaie tombent de ma poche

se brisent sur ce sol dur

où se posent les frêles oiseaux

qui n’attendent que les miettes

de ma bonne foi

 

je découvre mes pieds et offre au monde

cette couverture déchirée,

élimée, déchiquetée

à l’instar de ce

qui conspire contre moi

Nouvelles brésiliennes (III) - Hector Bisi, Les paons albinos boivent du champagne

, le Vendredi, 07 Décembre 2018. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Pete Doherty descend du black cab à Tite Street avec ce style mou-titubant qui ne permet jamais de savoir s’il est ivre ou à moitié et il se rend dans un sous-sol où le doorman est en soutane violette et confirme son nom sur la liste. Oh Mr Doherty, notre seul invité de la soirée. Il est rare que nous ayons cet honneur. C’est un Borsalino ?, j’aime les chapeaux de votre phase Libertines, enjoy your night, et Pete Doherty entre par un tunnel rouge où les murs sont couverts d’une flopée de selfies tous encadrés, Whatahell is this ? Attends, celui-là c’est pas Oscar Wilde ?, bordel, comme il est jeune sur cette photo, et il y a une lumière rouge à la fin du tunnel et des mecs avec des manteaux en fourrure par-dessus leur costume Paul Smith ou Gareth Pugh ou McQueen ou Saint-Laurent ou Gucci voire Saville Row, Ah non, encore un de ces clubs anglais ennuyeux à mourir, j’espère qu’il y a quelque chose de bon à boire au moins, et le salon est décoré avec des sièges Chesterfield cliché des lambris cliché et des étagères cliché prouvant que l’Angleterre victorienne n’était pas un pays mais une bibliothèque monster, On gèle, la clim est à zéro ?, où est donc ce putain de serveur ?, et Pete-Doherty-Esquimau titube en direction de types qui sont debout au milieu de la grande pièce et qui ont tous ce bronzage crevettesque d’anglais en liberté sur la plage et voilà qu’arrive la crevette en chef,

Nouvelles brésiliennes (II) - Hector Bisi Où dorment les trains ?

, le Vendredi, 30 Novembre 2018. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Hector Bisi

Où dorment les trains ? (2)

 

À Julio Cortázar.

Le souterrain est la vie après la vie.

Un corps par terre, un corps par terre dans un wagon de métro, un corps par terre dans un wagon de métro et une femme qui le regarde, Are you OK ?, le corps par terre c’est moi et fais-moi le plaisir d’enlever de mon visage la lumière de ton téléphone portable putain, on ne peut plus se réveiller en paix après une bonne cuite, attends, excuse-moi, on se connaît, non ?, c’est pas possible, 1990 métro Green Park c’est ça ?, ça me revient, je t’ai vue sur le quai et je suis entré dans le wagon, je revenais du chantier de construction avec une chemise moitié blanche moitié bleu marine que mon ami d’enfance anglais m’avait prêtée, ingénieur tout juste diplômé qui travaillait comme manœuvre dans un chantier à London, family chocked haha, c’est toiiii putain t’as pas changé,

Nouvelles brésiliennes (I) - Rafael Mendes, Amnistie (traduction Stéphane Chao)

, le Vendredi, 23 Novembre 2018. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

Pleins d’appréhension, nous regardions le journal télévisé, un après-midi de septembre 1979. À côté de moi sur le canapé, Angela me tenait la main, en tremblant un peu. Le silence pesait dans la salle à manger, comme si ce silence devait précéder le cri que nous pousserions à l’unisson, un hurlement motivé par la bonne nouvelle qui viendrait de la télévision, croyions-nous.

À l’écran, le reporter désignait un avion posé sur la piste de l’aéroport Santos Dumont. Les passagers débarquaient, heureux d’être de retour au Brésil après des années d’exil. Artistes et politiciens, certains célèbres, d’autres non, mais tous avec la même pensée, la même cause à défendre. Nous fixions l’image déformée de l’appareil dans l’espoir de reconnaître, parmi la foule des passagers, le fils que nous n’avions pas vu depuis bien longtemps.

Lorsque le gouvernement avait décrété l’amnistie pour les prisonniers et les exilés politiques, Angela s’était déjà habituée à l’absence de Paulo. Elle ne s’asseyait plus sur son lit, elle n’embrassait plus son oreiller en pensant toute seule à quelque chose d’indicible, à quelque chose qu’elle ne révèlerait jamais. Elle ne s’irritait plus à tout propos, comme elle le faisait juste après ma dispute avec notre fils. Le jour où l’on a appris à la télé le retour des exilés, elle s’était accommodée de l’état de chose, mais ne l’avait jamais accepté, jamais compris.