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La Une Livres

Je vais, je vis, Hubert Lucot

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mardi, 19 Novembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, P.O.L

Je vais, je vis, octobre 2013, 672 pages, 25 € . Ecrivain(s): Hubert Lucot Edition: P.O.L

 

Bien sûr quand on écrit on peut toujours affirmer : « C’est trop tôt, c’est trop tard ». Mais pour le lecteur, il n’est jamais trop tard pour voyager dans les mots de l’autre.

Ceux qui l’aiment monteront dans ce train, un train qui vous emportera, vous lecteurs, dans un long trajet de plus de deux ans et de plus de six cents pages. Vous accepterez de suivre Hubert Lucot dans une pérégrination consignée dans un journal de voyage qu’il a intitulé Je vis, je vais qui est une reprise d’une phrase prononcée par sa femme. En fait, l’auteur fait dans ce volume le récit de la maladie et de la mort de celle-ci qui survient alors qu’elle a soixante-quinze ans et lui soixante-seize. Il l’appelle A.M. (que l’on peut entendre comme « Amour et Mort ») et lui, se nomme H.L. Parfois leurs deux noms sont accolés comme s’ils ne formaient plus qu’un bloc, un « Nous » indissociable qui scande une longue vie d’amour. Parfois, ils se découpleront. Il déroulera cet épisode de son existence comme une pelote, narrée jour après jour ou presque, heure après heure ou presque, dans une écriture qui vous surprendra, qui vous dérangera, qui vous troublera mais qui finira par vous conquérir et vous enthousiasmer.

Pourquoi j’ai construit une maison carrée, Jean Guilaine

Ecrit par Cathy Garcia , le Samedi, 16 Novembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Babel (Actes Sud)

Pourquoi j’ai construit une maison carrée, juin 2013, 333 pages, 8,70 € . Ecrivain(s): Jean Guilaine Edition: Babel (Actes Sud)

 

On prend plaisir à lire cette histoire qui prend place au Proche-Orient, il y a 10.000 ans, on peut la considérer comme un divertissement agréable, mais c’est aussi une intéressante source de réflexion. Elle pose surtout un questionnement qui reste d’actualité : le progrès est-il toujours un progrès ?

Nous plongeant dans cette période néolithique qui fut un grand tournant de l’histoire humaine, elle met en scène en version accélérée et avec humour les diverses étapes de la transition entre le mode de vie multimillénaire du chasseur-cueilleur nomade et celui de l’agriculteur-éleveur, la naissance des premiers villages, l’abandon de la tente, puis de la maison ronde pour les bâtisses carrées à une, puis plusieurs pièces, la découverte de nouvelles techniques comme le tissage, la terre cuite. A chaque pas en avant, outre un confort bien réel, correspond aussi l’apparition de problèmes inconnus jusque-là : avec l’entreposage de céréales, l’invasion de rongeurs et en contrepartie la domestication du chat ; avec la concentration de bêtes, des maladies ; avec la découverte du tissage, le souci de l’apparence ; avec le sédentarisme, la propriété et la convoitise, donc le besoin de se protéger ; avec les premiers villages fortifiés, la guerre, et avec la vie en société de plus en plus organisée, le goût du pouvoir, du luxe et de la luxure…

Le charme des penseurs tristes, Frédéric Schiffter

Ecrit par Arnaud Genon , le Vendredi, 15 Novembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Flammarion

Le charme des penseurs tristes, août 2013, 165 pages, 17 € . Ecrivain(s): Frédéric Schiffter Edition: Flammarion

 

Triste drille

Le bonheur, nous disent les philosophes antiques, est le souverain bien, le but ultime de nos actions. La joie, selon les uns, en est un degré inférieur ou, selon les autres, constitue une forme d’existence supérieure au bonheur. En conséquence de quoi, la mélancolie, qui s’y oppose, s’en trouve généralement dépréciée. Cependant, la mélancolie mène à l’art, elle est considérée pour beaucoup – pensons à Proust – comme « la mère des muses » et le mélancolique, qui se caractérise par « un ralentissement de son être », a le pouvoir de mettre la réalité à distance, ce que ne peut le joyeux « dont la conscience s’oublie dans le présent ». Si les livres des penseurs tristes n’offrent « aucune consolation ou espérance », exercent-ils tout au moins un pouvoir de séduction, un véritable charme capable d’aérer notre esprit « en en chassant le Sérieux ». Car contrairement à ce que nous fait croire la doxa, « les penseurs tristes […] ne sont pas pour autant des penseurs de la tristesse [et] nous rendent le sourire ». Et c’est sur dix d’entre eux que Frédéric Schiffter se penche dans le présent essai, de Socrate à Roland Jaccard, figures qui « forment une aristocratie transhistorique de l’ennui – montrant par là l’éternité de la maladie du temps ».

La belle, Mathieu Terence

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 15 Novembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Grasset

La belle, février 2013, 105 pages, 12,50 € . Ecrivain(s): Mathieu Terence Edition: Grasset

 

Mathieu Terence s’attache, dans le beau récit La belle (qui entretient de secrètes et plus apparentes liaisons avec son Petit éloge de la joie), à rendre compte de la façon dont il a cherché à « élucider la vie par les mots ».

Sans jamais distraire la vie, dans sa beauté, de son cours. De son élan. Musical élan.

En somme, écrire non pour seulement épouser les frémissements de la vie, mais pour, en en épousant les détails (jusque dans l’impalpable), et les inflexions sonores (jusque dans l’inaudible), parvenir à les vivre, à les vivre tels qu’ils sont, dans leur force, leur évidence. Leur mystère, aussi.

« La vie prodigue à chaque instant le miracle qui la prodigue ».

D’où les voyages, incessants, sur le dos desquels l’homme et la femme doivent se hisser – c’est la « leçon » de Terence –, pour pouvoir voir sans ciller l’horizon qu’ils portent en eux. Et dont ils ne prennent jamais soin avec suffisamment d’ardeur et de douceur mêlées.

Rouge Alice, Sylvie Huguet

Ecrit par Anne Morin , le Vendredi, 15 Novembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles

Rouge Alice, La Clef d’Argent, collection KholekTh, octobre 2013, 103 p. 6 € . Ecrivain(s): Sylvie Huguet

 

Un recueil de nouvelles peut se lire de la première à la dernière, mais tout aussi bien on peut en débusquer une par surprise, en fonction du titre, du temps qu’on a devant soi, ou de façon plus ou moins intrusive, en laissant faire, en se laissant faire, porter.

Ainsi, le titre de la deuxième nouvelle, Le renard bleu, s’est-il imposé et, de fait, il donne le ton : la cruauté, la barbarie de l’homme face au juste retour des choses : l’animal ne sait ni sacrifier, ni se venger mais il se souvient… et la porte s’entrouvre où tout se confond. Le fantastique atteint un monde différent, un univers parallèle où règles et raison s’inventent d’autres codes, d’autres noms, et où le lecteur est d’abord et au sens propre dérouté pour ensuite adhérer, faire corps :

« La sensation de chaleur est devenue trop vive. Il faut ôter cette fourrure, rafraîchir un peu cette figure rouge avant de soigner son maquillage. Chantal ne remettra le manteau qu’au moment d’ouvrir à Charles-Henri. Mais à présent les agrafes résistent, glissent entre ses doigts en sueur. Elle sent un fourmillement sous sa peau et soudain une piqûre à la nuque » (p.67).