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Les Chroniques

Prix de la Vocation 2018, les livres en lice (2) : Ça raconte Sarah, Pauline Dalabroy-Allard et Mauvaise passe de Clémentine Haenel (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Mardi, 18 Septembre 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

 

Ça raconte Sarah, Pauline Delabroy-Allard, Les Editions de Minuit, septembre 2018, 192 pages, 15 €

 

C’est un roman bouleversant qui nous emporte, construit en deux parties antinomiques, l’une comme un hymne à l’amour, l’autre comme le récit d’une descente aux enfers. L’auteure s’est essayée à deux types d’écriture. C’est d’abord le portrait élogieux, dynamique, dans lequel Sarah apparaît dans toute sa fraîcheur, sa vivacité, sa fougue, sa fantaisie, telle une héroïne de Goldoni : « Ça raconte ça, ça raconte Sarah l’inconnue, Sarah l’honnête fille, Sarah la dame prudente, Sarah la femme fantasque, Sarah la femme bizarre. Sarah la femme seule ». Et cette première partie s’écrit sous le signe de la musique et du théâtre, comme Les Quatre Saisons de Vivaldi, La Tempête et Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare : Sarah est premier violon dans un quatuor de musique de chambre, elle a bientôt 35 ans, elle est gaie, elle est belle, elle est forte, enthousiaste, exaltée, elle respire la santé, « Elle veut tout tout de suite ».

Une nouvelle édition des Misérables dans La Pléiade : un événement (2 sur 2) (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 14 Septembre 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Les MisérablesVictor Hugo, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, n°85, février 2018, édition Henri Scepi, Dominique Moncond’huy, 1824 pages, 65 € (prix de lancement jusqu’au 30 juin 2018)

 

Court en silence – et il faut être à l’écoute de cette course silencieuse –, sous la plume de Hugo, dans la courte préface des Misérables, le terme d’Anankè. En écho de ce mot grec gravé par Claude Frollo en lettres capitales sur la muraille au cœur de Notre-Dame de Paris [1]. Hugo nous le répète, la mort est toujours une échéance redoutée et infiniment douloureuse dans la façon qu’elle a, aura, de séparer, délier les êtres, les êtres et les choses, les regards et le visible. Face à la fragilité de la terre, de l’innocence (ainsi l’enfance), face aux morsures (crocs apparents, pour qui sait voir) des sociétés, et face à l’inéluctabilité de la mort, il y a les liens, les liaisons plutôt (Les Misérables nous le signifie, au fil des pièces d’étoffes diverses qui constituent, cousues ensemble, le grand ensemble noir et de fête de ce roman)…, les liaisons que l’on peut reconnaître – plus que tisser – avec les choses, avec les êtres. Hugo oppose à la pesanteur qui écrase et aliène les hommes l’envol de l’amour. C’est une façon de s’extraire de l’enfer de la fatalité. Une manière qui consiste à dénouer la clôture constrictive de l’Anankè au profit « d’une nouvelle espèce d’enchaînement, qui vaut libération », ainsi que le résume Henri Scepi dans sa stimulante préface.

Une immense sensation de calme, Laurine Roux (par Carole Darricarrère)

Ecrit par Carole Darricarrère , le Vendredi, 14 Septembre 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Une immense sensation de calme, Laurine Roux, Les éditions du Sonneur, mars 2018, 121 pages, 15€

 

ENCRE MIRACULEUSE, d’une sensation de calme, pour ainsi dire : atemporelle, comme il en existe, en émane, en surgit, autour des chats, à l’approche des cabanes, à la vue d’un livre (parfois), dans le halo cireux des cierges, à fleur un rai de pénombre, au pied des arbres fruitiers, aussi, dans le mûrissement amène d’une journée d’été, en lisière des forêts, le bruissement sismique d’une croissance ininterrompue ; sensation lacustre, que procure la lecture furtive, d’une traite, d’« Une sensation de calme » -, premier roman rédigé d’une plume frémissante, féminin palpable trempé de peauésie, qui jamais ne vacille, d’une seule flamme pourrait-on dire, pure et humble et scintillante et concrète depuis le cœur sans l’ombre d’une mièvrerie, « c’est ainsi » (dit-elle) « c’est bien », refrain ponctuant un livre de sagesse, livre de concorde de l’ivresse et du renoncement, de la vie et de la mort, perle brute essaimant ses sortilèges lents de rivière aux mains de Laurine Roux.

Socrate et Jésus. Passeurs d’universel, Anne Baudart, par Gilles Banderier

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 13 Septembre 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Socrate et Jésus. Passeurs d’universel, Anne Baudart, Le Pommier, février 2018, 364 pages, 10 €

 

Deux innocents condamnés à mort et exécutés. Quelle que soit la manière dont on scrute et retourne les textes qui nous sont parvenus, on ne peut résumer autrement la mort de Socrate et celle de Jésus. Des morts aux modalités différentes : Socrate absorbe dans sa cellule un poison insidieux, entouré de ses fidèles (l’absence de Platon, qui n’est pas sans évoquer les reniements de Pierre, est troublante) ; Jésus meurt seul, à la vue de tous mais abandonné de tous et dans des souffrances indicibles : la crucifixion, que les Allemands ont redécouverte dans les camps de la mort, avant que l’État islamique ne la pratique à son tour, est, avec le bûcher et la pal, un des plus monstrueux supplices inventés par l’être humain, dont l’imagination en ce domaine (comme en d’autres) est fertile. L’agonie sur la croix durait plusieurs heures, voire plusieurs jours, et si celle de Jésus fut relativement brève (quelques heures), ce fut parce qu’il avait été réduit à l’état de loque sanguinolente par les tortures qui avaient précédé la mise en croix. Deux morts dont l’ombre s’est étendue sur toute l’Histoire à venir. Des bibliothèques ont été remplies de commentaires sur les moindres faits et propos qui nous ont été rapportés, en particulier les derniers mots de Socrate et de Jésus.

Marches III, Bernard Fournier, par Murielle Compère-Demarcy

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 13 Septembre 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Marches III, Bernard Fournier, éd. Aspect, 2017, 113 pages, 14 €

 

Après Marches en 2005 et Marches II en 2009, le poète Bernard Fournier signe ce troisième volet composé de IV parties dont les titres résonnent déjà comme peuvent résonner des marches entreprises au sein du monde naturel ou au cœur d’un univers à la fois étrange et familier, mi-onirique mi-fantastique, tel qu’on en trouve l’atmosphère dans la poésie de Jean Joubert, ou Michel Cosem (pour ne citer qu’eux).

La première partie semble, ainsi que l’annonce son titre, attester d’une quête de « Réponses » correspondant à une écoute de la part du poète. Écoute du monde naturel qui l’environne, dépositaire de voix enfouies auxquelles l’on ne prête pas toujours attention et que l’on évoque parfois sans les connaître, dans notre « monde interprété » pour reprendre l’expression de Rilke dans les Élégies deDuino. Ces Réponsesse lèvent à l’unisson des voix de l’aube, que le regard et le langage cherchent, depuis les premières lignes des aurores, dans la brume et les « brouillards (préalables) de mai ».Et ce rendez-vous, poétique en ses postes d’affût, constitue une « entreprise » (« La premièreentreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom »), à l’instar de celle du poète Rimbaud dans ses Illuminations, dévoué à la rencontre de l’Aube. Le poète Bernard Fournier écrit ainsi :