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Shining, le Labyrinthe du dedans

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Samedi, 15 Septembre 2012. , dans La Une CED, Les Chroniques, Côté écrans

 

Revoir, après des années d’abstinence, le « Shining » de Stanley Kubrick, a quelque chose du « déjà vu », bien sûr, mais surtout de la découverte absolue. Un peu comme si, de s’être détaché de la trame narrative depuis assez longtemps, de l’avoir intégrée dans sa mémoire inconsciente, nous libérait en quelque sorte de toute contrainte de lecture directe.

 

Fable onirique sur les entrelacs étranges de l’espace et du temps, conte pour enfants (dans son effroyable cruauté) tressé des fils de l’espoir et du malheur, « Shining » déploie les lignes parallèles d’une redoutable machine narrative et d’un conte symbolique à échos vertigineux. A la topographie centrale du Labyrinthe, métaphore hallucinée et hallucinante qui structure le film et son écriture, font pendants et miroirs les topologies croisées des relations entre personnages, du rapport d’un homme à son écriture (Jack Torrance se veut « écrivain ») et de la scansion alternée du temps et du désir humain.

Les désarçonnés, Pascal Quignard

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 12 Septembre 2012. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Recensions, Essais, Récits, Grasset

Les désarçonnés, 12 septembre 2012. 20 € . Ecrivain(s): Pascal Quignard Edition: Grasset

 

Comme d’habitude, la dernière œuvre en date de Pascal Quignard, Les Désarçonnés, va en désarçonner plus d’un. Et tant pis pour ceux qui tomberont de la monture ! Il s’agit de l’opus VII du cycle Dernier Royaume, ouvert en 2002 par « les Ombres errantes » couronné alors du Goncourt.

Quignard poursuit sa quête du sens possible – des sens possibles – de l’invraisemblable monde des hommes. A la manière des Anciens. Une manière inimitable qui mêle à la pure réflexion philosophique une culture classique impressionnante et surtout une écriture impeccable, ordonnée comme un langage en soi, comme un à-part-la-langue. C’est cette tresse énonciative qui élabore, livre après livre, une musique unique, fascinante, celle de Quignard dont on connaît la passion pour la Folia et ses phrases éternellement les mêmes, éternellement autres. Opus VII dit-on, très justement. Variations sur les thèmes de la guerre, de la violence, de la faim, du pouvoir, de la décomposition morbide et du sexe bien sûr, de la différence sexuelle et de sa syntaxe, qui est au fond la grande affaire de Quignard.

Léon et Louise, Alex Capus

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 04 Septembre 2012. , dans La Une Livres, Actes Sud, La rentrée littéraire, Les Livres, Recensions, Langue allemande, Roman

Léon et Louise, 5 septembre 2012. 313 p. 22,50 € . Ecrivain(s): Alex Capus Edition: Actes Sud

 

Cliché. Dans le champ lexical de la critique littéraire, ce terme est des plus péjoratifs. Il implique le manque de créativité, la répétition d’images éculées. Et pourtant. Ce joli livre d’Alex Capus, nostalgique et attachant, évoque de bout en bout l’idée et le mot de « clichés ». Pratiquement au sens propre : photographies. Pour être plus précis, cartes postales anciennes, sans image, en une sorte de collection affichée sur 313 pages. Et ce parti pris de chapelet de clichés donne un charme particulier à ce roman.

Les clichés commencent par le propos même du livre : un jeune homme et une jeune femme se rencontrent au printemps 1918. Ils ont 17-18 ans, s’aiment, se perdent, se retrouvent, se reperdent, se retrouvent sur quelques décennies. Le « tourbillon de la vie », d’une guerre mondiale à une autre et après. Ce livre est hanté par les films de François Truffaut, une sorte de « Baisers volés » et de « Domicile conjugal » saupoudrés de « Jules et Jim ». On se prend sans cesse à fredonner la chanson de Jeanne Moreau au cours de la lecture, on se prend aussi à donner aux deux héros les traits de Jean-Pierre Léaud et ceux de Claude Jade ou de Marie-France Pisier.

Autour de moi, Manuel Candré

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 30 Août 2012. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Recensions, Joelle Losfeld, Roman

Autour de moi, 31 août 2012.102 p. 11,90 € . Ecrivain(s): Manuel Candré Edition: Joelle Losfeld

Ce petit livre – par la taille – constitue une véritable découverte littéraire. Manuel Candré, pour son premier roman, s’inscrit d’entrée dans ce que la littérature nous réserve de temps en temps, trop rarement, la révélation d’un talent explosif.

Autour de moi est structuré comme un journal intime asynchrone puisque relatant des événements et des affects vécus quelques décennies auparavant, rédigé entre le 4 juillet 2007 et le 9 septembre 2010. Nous sommes conviés à la rude visite de l’enfance du narrateur. Evénements intimes qui ont pour cadre la cellule familiale et donc pour héros le père, la mère, les grands-parents, le « autour de moi » d’un enfant qui, devenu adulte et mûr, se retrouve littéralement obsédé par ces images, ces souvenirs brûlants et douloureux d’une famille à la fois héroïque et banale, grande et pathétique, belle et indigne. Une famille. Dans l’hypothèse permissive qu’elle implique, dans les bassesses qu’elle génère, dans les moments magnifiques où se croisent les rêves de chacun, et dans les trous où échouent lamentablement les idéaux les plus beaux.

L’enfant souffre deux fois semble nous dire ce morceau d’enfance. Il souffre des malheurs, la mort de la mère, l’alcoolisme et la brutalité du père, la dureté de la vie. Mais il souffre aussi, une fois de plus, la plus âpre sûrement, de sa propre fragilité, de sa faiblesse d’enfant, de la palpitation de ses rêves profonds, de l’absurdité magnifique de ses espoirs.

Le Satan d'Amérique (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Lundi, 23 Juillet 2012. , dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

 

C’est avec un plaisir non mégoté que je viens de revoir, plusieurs fois, en version longue, « L’Exorciste » de William Friedkin. D’abord ça m’a rajeuni, ce qui n’est pas rien. La dernière fois c’était autour de 1995. Et puis ça m’a remis dans un questionnement sur une Amérique qui décidément m’obsède. Au moins autant que Satan – dirait quelque ayatollah.

Le nocturne refait surface à travers ce film, produit pur de la machine hollywoodienne. On se méfie donc, a priori, Hollywood nous en a fait tant voir dans son culte du couple culture/dollar. Autre raison de méfiance : le créneau de l’horrible nous a valu souvent de mémorables navets (j’ai souvenir des festivals du film d’hotteur, qui nous servaient régulièrement  des nuits à 3 navets pour le prix d’un !). Seulement voilà, la méfiance n’est jamais complètement innocente, elle ne peut l’être que partiellement. Ici encore, c’est le cas : d’une part un rejet louable d’une exploitation douteuse des fascinations troubles et perverses d’une époque et d’autre part un rejet, lui moins louable, de quelque chose qui interfère dans un champ bien clos et qui nous dérange au cœur même de l’affect.