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Le Juif errant est arrivé, Albert Londres (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 26 Mars 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Histoire, Arléa, Récits

Le Juif errant est arrivé. 224 p. 9€ . Ecrivain(s): Albert Londres Edition: Arléa

 

L’entreprise d’Albert Londres n’a pas d’équivalent connu. En 1929, en pleine « prospérité » de l’antisémitisme partout en Europe, il entreprend – en tant que journaliste – une vaste enquête-reportage sur les communautés juives d’Europe centrale et de Palestine. Ces choix sont parfaitement ciblés : Londres veut mesurer le chemin qui mène des ghettos misérables de Pologne par exemple à la genèse de la réalisation de l’idéal sioniste. « Ses » Juifs sont juifs. Pas « Israélites », terme qui désignait alors – pour les détacher du vilain Juif tout noir – les Juifs occidentaux, de France, d’Angleterre ou d’Italie entre autres, intégrés, prospères et propres sur eux.

Dans sa quête, Albert Londres va plonger au fond du gouffre sombre qu’est alors la vie juive des Shtetls (villages juifs) et des Ghettos de Varsovie ou de Prague. Son témoignage est hallucinant. A la représentation antisémite du Juif riche, puissant et influent, Londres va opposer, visite après visite, presque maison après maison, la réalité terrible d’une misère juive proche de la condition animale. Londres a tout pourtant pour dormir sur ses lauriers – son livre, Au Bagne, vient d’être joué sur la scène, tous ses livres sont des best-sellers – mais non, il va « s’embarquer » dans une aventure-reportage longue et difficile. Albert Londres ne connaît rien au sujet. Pour lui, c’est une raison de plus. Pour nous, un étonnement de plus.

Le langage des cactus, O. Henry (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 19 Mars 2015. , dans La Une Livres, Rivages, Les Livres, Critiques, Nouvelles, USA

Le langage des cactus, traduit de l’américain par Jean-Paul Gratias, 153 p. 7,65 € . Ecrivain(s): O. Henry Edition: Rivages

 

Attention, ce petit recueil peut vous faire mourir. De rire. Huit petites nouvelles, écrites à l’aube du XXème siècle, d’une modernité saisissante et d’une drôlerie de chaque instant vous attendent dans ce recueil. Encore une fois, Rivages est allé dénicher une pépite en la plume de O. Henry, journaliste et écrivain dont le talent de nouvelliste était tel qu’en 1919, neuf ans après sa mort, le plus prestigieux prix de la nouvelle américain a pris son nom, le « O. Henry Award ».

Les univers de O. Henry sont très souvent ancrés dans New-York, son dynamisme, son expansion foudroyante, sa modernité unique au monde en ce temps. Les personnages de ces nouvelles sont journalistes, malfrats, hommes d’affaires (c’est souvent la même chose ici), écrivains (encore la même chose ?). Tous rêvent de réussite, de gloire, d’argent. L’American Dream en est à ses palpitants débuts post-industriels. Mais chez O. Henry, ce rêve n’est jamais pris au sérieux et ses personnages s’y empêtrent, s’y débattent comme ils peuvent, à leur grand dam et à notre grande joie de lecteurs.  Le dérisoire le dispute au pathétique et tout y passe : la réussite, la richesse, même les étranges nouveaux statuts sociaux :

Les Variations Sebastian, Emily St. John Mandell

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 12 Mars 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Rivages/Thriller, Canada anglophone, Polars, Roman

Les Variations Sebastian (The Lola Quartet), Traduit de l’anglais (Canada) par Gérard de Chergé, février 2015. 309 p. 20 € . Ecrivain(s): Emily St. John Mandell Edition: Rivages/Thriller

 

La Floride, son soleil, ses plages, ses résidences pour retraités milliardaires ? Les publicités d’agences de voyages ou immobilières en prennent un coup mortel dans cet opus de Emily Saint John  Mandell. Air suffocant, quartiers pauvres et sales, bicoques immondes, canaux infestés d’une faune inquiétante, dans et hors de l’eau. En effet, que dire des humains ? Venimeux, rancuniers, impitoyables. Ce roman est une plongée au fond d’une Floride létale et de pensées humaines qui ne le sont pas moins.

« Le quartier avait été conçu, à la fin des années 50, pour être la Venise de la Floride, un paradis tropical où on pourrait se rendre en bateau chez son voisin pour un barbecue, mais les canaux qui passaient derrière les maisons avaient fini par rejoindre les marécages, en conséquence de quoi ils abritaient aujourd’hui une population de serpents et de lézards géants aux yeux scintillants. Les résidents voyaient parfois des pythons nager dans les canaux, ondoyants rubans dotés de crocs. A la lisière des jardins, lézards et varans observaient le monde des humains. Une habitante du coin jurait avoir vu un anaconda (…) »

Quand vient le temps d’aimer, William Nicholson

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 05 Mars 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Editions de Fallois

Quand vient le temps d’aimer (All the Hopeful Lovers). Traduit de l'anglais par Anne Hervouët février 2015. 332 p. 22 € . Ecrivain(s): William Nicholson Edition: Editions de Fallois

 

William Nicholson retisse sa toile – après nous y avoir pris dans « L’intensité de la vie quotidienne »*. Et c’est avec délice que nous nous y retrouvons captivés, captifs. Nicholson possède un art exceptionnel de faire du moindre sentiment humain, du moindre acte, de la moindre douleur, un événement notable, voire majeur, et d’en extraire ainsi le matériau d’une véritable « aventure ». Aventure ici est à prendre dans sa polysémie en langue française : procès incertain et qui engage et aventure sentimentale bien sûr, comme annoncé par le titre.

Belinda, Chloe, Meg, Jack, Alice, comme les billes d’un jeu de flipper, vont ainsi tracer des trajectoires erratiques, phalènes hallucinées par le feu, par le jeu de l’amour. Et, comme il se doit aux jeux de l’amour, ils vont s’y brûler les ailes. Passions, mensonges, oublis, trahisons, William Nicholson est un maître pour associer les ingrédients du tourbillon amoureux. Il est cinéaste et scénariste d’abord (il s’agit réellement de ses métiers premiers) et son écriture – à la fois linéaire et palpitante – en est évidemment le produit. Il possède l’art consommé du scénariste pour passionner avec peu de chose, pour faire une histoire avec des bribes – brûlantes certes – de la vie amoureuse.

Roland Barthes nous manque

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 19 Février 2015. , dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques, Côté Philo

 

En cette année anniversaire, il nous faut bien constater que Roland Barthes nous manque. Terriblement. C’est là un manque qui fait béance, tant notre époque – disons celle qui débute avec ce XXIème siècle qui s’annonce chaotique et illisible – aurait un besoin immense des outils de sa pensée et de l’acuité de son regard. Les outils, on peut penser que nous les avons. Mais que sont-ils sans son regard ?

C’est là le propre de la pensée de Roland Barthes : ce n’est pas un prêt-à-porter. Ce n’est pas non plus un « système » de lecture. C’est une myriade de pistes, de directions, de méthodes pour voir le monde, le langage et les analyser. La genèse linguistique du travail de Barthes a laissé le champ ouvert aux syntagmes, paradigmes, morphèmes d’une œuvre polymorphe et éclatante d’inventivité. Il n’y a pas de pensée-Barthes, il y a une intelligence-Barthes et c’est à la fois sa grandeur et sa difficulté.

Quand on lit S/Z ou Mythologies ou Fragments d’un discours amoureux, on sent bien que l’on n’a pas à faire à des œuvres de « philosophe », c’est-à-dire de faiseur de monde clos. L’écriture de Barthes est traversée par l’élégance poétique, par des illuminations littéraires, par un souffle qui se situe bien au-delà de la raison raisonnante.