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Smile, Roddy Doyle

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Vendredi, 31 Août 2018. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Joelle Losfeld, Iles britanniques, Roman

Smile, août 2018, trad. anglais (Irlande) Christophe Mercier, 256 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Roddy Doyle Edition: Joelle Losfeld

 

Ce roman venu d’Irlande va vous offrir quelques heures de délicieuse addiction. Le narrateur, Victor, jeune homme qui vient de vivre une séparation douloureuse avec sa compagne – la très belle et brillante Rachel – fait son nouveau foyer dans un troquet médiocre où il rencontre des gens qu’il ne connaît pas. A l’exception de cet étrange Fitzpatrick, qui se présente comme un ancien camarade de classe, mais dont Victor n’a gardé aucun souvenir. Ou presque.

Et Victor va dérouler – au compte-gouttes – ses souvenirs intimes. Ceux de son enfance auprès de ses parents, au collège, sa vie avec Rachel.

Dans un style frôlant l’épure tant le parti pris de sobriété est flagrant, Roddy Doyle nous emmène sur les pas de Victor qui s’installe dans son petit (et laid) appartement de célibataire désormais. Le contact avec la vie d’homme seul est douloureux, un peu halluciné, comme si Victor se regardait vivre dans un film noir.

Made in Trenton, Tadzio Koelb

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 30 Août 2018. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Buchet-Chastel

Made in Trenton, août 2018, 254 pages, 19 € . Ecrivain(s): Tadzio Koelb Edition: Buchet-Chastel

 

Dans l’après-guerre immédiat dans le New Jersey, Abe Kunstler est ouvrier dans les aciéries. Il sort à peine des affres de la guerre qu’il a faite en Europe et dont dit-il il garde une phrase qu’il répète à l’envi : « J’ai été mutilé pendant la guerre ». L’homme est petit, plutôt malingre, mais on ne sait pas en quoi consiste la « mutilation » dont il parle. Aucun de ses compagnons d’usine ne semble remarquer la moindre anomalie : Abe est costaud, bon buveur, bon danseur les soirs de sortie, et bon raconteur d’histoires drôles. Il est tendre avec les filles, en particulier avec les filles paumées, à qui il donne un coup de main chaque fois que l’occasion se présente. Abe est loin du comportement machiste et vulgaire de ses compagnons.

C’est donc autour de cette énigmatique « mutilation » que Tadzio Koelb construit le début de son intrigue et nous propose un formidable voyage dans la classe ouvrière de la Côte Est à la fin des années quarante. La pauvreté est endémique, les rapports entre les hommes rudes, parfois violents, les dancings de la fin de semaine restent la seule distraction – on paye un ticket pour avoir droit à une danse avec une femme. Danse n’est pas le mot exact, disons plutôt contact rapproché avec le corps d’une femme.

Le bruit du dégel, John Burnside

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Vendredi, 24 Août 2018. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Métailié

Le bruit du dégel, août 2018, trad. anglais Catherine Richard-Mas, 362 pages, 22 € . Ecrivain(s): John Burnside Edition: Métailié

 

Burnside continue son exploration des recoins de l’âme. Dans un récit qui n’en est pas vraiment un, mais plutôt un enchâssement de récits multiples recueillis par la narratrice auprès de personnes choisies au hasard, dans le cadre d’une mission que lui a confiée son compagnon cinéaste : poser des questions aux gens, faire du porte-à-porte, afin d’entendre les histoires de chacun(e). Et Kate va ainsi rencontrer Jean, une femme vieillissante, avec laquelle elle va se lier et qui va lui raconter, bribe par bribe, son vécu. Son vécu ? Là est toute la matière de ce roman : pas tout à fait ; un vécu, passé au crible de la narration, devient autre chose, une histoire.

Laurits, le compagnon cinéaste de Kate, est fasciné par la narration et peu importe en fin de compte son contenu. La narration en tant que telle, véhicule d’une histoire, d’une médiation par le narrateur, d’un réel intime qui souvent s’éloigne, involontairement, du réel vécu. Il est convaincu que les lieux, le moment, les circonstances où se tient une narration sont plus importants que ce que raconte cette narration. L’Amérique n’a pas d’Histoire mais pullule d’histoires.

Tuer Jupiter, François Médéline, par Léon-Marc Levy

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 23 Août 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Tuer Jupiter, François Médéline, La Manufacture de Livres, août 2018, 220 pages, 16,90 €

 

Médéline assassine Macron avec des tablettes de chocolat empoisonné. Dans une fiction enlevée, intelligente et fort habile. Le lecteur marche sans rechigner dans ce court roman des plus divertissants.

La structure du récit est inversée : on va des obsèques du Président assassiné jusqu’aux prémices de l’attentat qui va le tuer, quelques mois plus tôt. Ce choix narratif est particulièrement addictif : on veut savoir quel enchaînement d’événements, de décisions, de complots extérieurs, a pu conduire DAESH – car c’est d’eux qu’il s’agit – à choisir cette cible plutôt que n’importe quelle autre.

François Médéline connaît son affaire : il a fréquenté de près et longtemps les cabinets de responsables politiques et la politique en général. Ses portraits – certes imaginaires, on est dans le romanesque – sont saisissants de justesse. Gérard Collomb, notre ministre de l’intérieur, est croqué avec une plume affutée et drôle, et doit se ressembler plus encore que dans la vie réelle. Edouard Philippe, Gérard Larcher (qui est, en tant que président du sénat, Président de la république par intérim) sont « visibles » tant ils sont réalistes.

L’Eveil, Kate Chopin

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Vendredi, 13 Juillet 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Editions Liana Levi

L’Eveil (The Awakening, 1899), trad. américain Michelle Herpe-Voslinsky, 210 pages, 9,50 € . Ecrivain(s): Kate Chopin Edition: Editions Liana Levi

 

Ce court roman de Kate Chopin brille comme un joyau français au sein de la littérature du Sud des Etats-Unis. L’auteure d’ailleurs, parfaite francophone comme l’aristocratie créole en comptait un grand nombre alors, aurait pu l’écrire en français. Elle y a même pensé un temps, imprégnée qu’elle était de la lecture de Maupassant et de Flaubert. L’influence de ces deux écrivains est d’ailleurs omniprésente dans ce livre, le premier pour le style narratif, le second pour l’ombre portée d’Emma Bovary sur Edna, l’héroïne de L’Eveil. Comme pour Flaubert justement, Kate Chopin dut subir l’hostilité du public à la parution de son livre. Edna fait scandale, comme Emma.

Comme Emma aussi, c’est une provinciale du Sud, grande bourgeoise mariée à un homme d’affaires, vivant dans une superbe maison à colonnades de style sudiste, avec deux enfants intelligents et en parfaite santé. Le bonheur ? Presque, car Edna connaît beaucoup d’ami(e)s, passe les vacances avec eux et sa famille en bord de mer, reçoit beaucoup dans sa demeure, aime la musique et les fins repas. Contrairement à Emma Bovary, elle ne s’ennuie pas et semble filer un parfait bonheur. Mais. Kate Chopin tisse son roman sur le « mais », bien sûr.