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L’Amour du monde, Charles-Ferdinand Ramuz (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 09 Janvier 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Zoe

L’Amour du monde (1925), 200 pages, 10 € . Ecrivain(s): Charles Ferdinand Ramuz Edition: Zoe

 

Il y a toujours quelque chose d’étrange, de décalé dans les romans de Charles-Ferdinand Ramuz. Cela tient à ses univers dépouillés, ses récits d’une simplicité biblique, ses personnages frustes et surtout à son style si particulier, fait d’un mélange de sophistication et d’expression élémentaire. Il faudrait imaginer un Giono en plus épuré encore pour se rapprocher de l’écriture ramuzienne. Il faut cependant dire clairement que ce livre dépasse dans l’étrangeté tous les romans de Ramuz.

Ici encore, on retrouve son éternelle bourgade suisse – ici au bord du Léman – et ses personnages archétypiques, qui s’occupent au petit négoce, aux travaux domestiques, aux enterrements et aux amours des jeunes gens. Le monde de Ramuz – celui d’Aline* – fermé sur lui-même, coupé du temps et de l’espace environnant, un microcosme de passions simples et de drames privés.

« Il faut dire que nous sommes ici une petite ville de 4 ou 5000 habitants, pas plus, et qui s’était toujours tenue en dehors de la circulation. Nous sommes bien sur la ligne des grands rapides internationaux, mais ils passent sans s’arrêter.

Djamilia, Tchinghiz Aïtmatov (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 19 Décembre 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman, Russie

Djamilia, Tchinghiz Aïtmatov, trad. kirghiz, A. Dmitrieva, Louis Aragon, 125 pages, 3 € Edition: Folio (Gallimard)

Ce court roman nous vient du Kirghizistan. Autant dire du bout du monde, en particulier en matière de littérature. Aïtmatov a écrit dans une langue qui n’a cessé d’être bousculée tant à l’oral qu’à l’écrit. Surtout à l’écrit, jugez-en : 1924, instauration de l’alphabet arabe (premier système à faire naître la langue kirghize à l’écrit). 1928, l’alphabet latin s’installe. 1941, arrivée de l’alphabet cyrillique, encore en vigueur aujourd’hui.

Quant à la littérature kirghize, on compte ses écrivains sur les doigts d’une main ou deux, Aïtmatov étant assurément le plus « connu » en France, grâce à Aragon qui a traduit ce roman (avec A. Dmitrieva) et surtout a dit de lui qu’il était « la plus belle histoire d’amour du monde ».

Sans être d’accord avec Aragon – les plus belles histoires d’amour sont depuis toujours les histoires d’amour impossible (Héloïse et Abélard, Tristan et Yseut, Roméo et Juliette, …) – on peut néanmoins dire que l’histoire d’amour que raconte ce livre est d’une rare beauté. On parle souvent de minimalisme en littérature. Avec ce roman on frise le… silence. Les moyens déployés, la structure narrative, l’épaisseur des personnages, tout y est d’un dépouillement total, à l’image du cadre de vie, la campagne glacée du Kirghizistan. A l’image aussi d’une société quasi primitive, aux travaux de la terre et à l’activité nourricière.

Les étoiles s’éteignent à l’aube, Richard Wagamese (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 12 Décembre 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, 10/18

Les étoiles s’éteignent à l’aube (Medicine Walk), Richard Wagamese, trad. anglais Christine Raguet, 308 pages, 7,50 € Edition: 10/18

Un titre français affligeant de banalité pour (mal) commencer ce roman. Medicine Walk – le titre original – est tellement meilleur.

Le (mauvais) père, le fils abandonné mais quand même aimant. Les retrouvailles à l’approche de la mort du père, malade et ravagé par l’alcoolisme. Le voyage à travers la nature sauvage – les esprits des ancêtres Indiens demandant que les vieux meurent à un endroit précis, sur une montagne. Le bilan (désespérant bien sûr) de la vie du père raconté au fils. Et – est-il besoin de le dire ? – la rédemption avant le dernier souffle.

Voilà.

Ce roman, plutôt bien écrit, aurait pu être un plutôt bon roman s’il n’y en avait pas cent vingt mille du même tabac. L’usine à livres américaine – depuis une bonne dizaine d’années – raconte presque toujours la même histoire père-fils-faute et rédemption, à l’envi, jusqu’à plus soif. Ajoutez-y quelques beaux paysages, quelques scènes de violence, une pointe de mysticisme et vous avez la recette du cocktail.

Cavalerie rouge, Isaac Babel (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 05 Décembre 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Russie, Gallimard

Cavalerie rouge, Isaac Babel, février 2019, trad. russe Maurice Parijanine, 224 pages, 9,50 € Edition: Gallimard

 

La prose incandescente de Babel introduit sa braise jusqu’au fond de l’âme. Nouvelliste fabuleux – on connaît ses contes d’Odessa – Babel reste nouvelliste dans ce qui ici se présente comme un roman. Le narrateur en effet est toujours le même personnage (largement autobiographique) et le « roman » raconte des épisodes de la guerre révolutionnaire qui conduisit les régiments de partisans au front, pour la défense de la jeune patrie socialiste, sous le commandement de Boudienny, contre les assauts des Blancs, les contre-révolutionnaires.

C’est donc du cœur de l’Armée Rouge que le soldat Babel nous raconte ces récits de guerre. Ce sont de véritables nouvelles, comportant chacune un thème, une histoire, une fin. Le narrateur se fait l’écho d’une Russie en pleine révolution. Pas seulement la révolution que l’Histoire nous rapporte, celle d’Octobre 1917, mais la révolution qui bouleverse les hommes et les femmes de Russie, change leur vision du monde, efface radicalement la faiblesse et l’asservissement pour laisser place à un homme nouveau, avec ce que ça induit de bien et de mal, de progrès et de régression, de Diable et de Bon Dieu.

L’aveuglement, José Saramago (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 28 Novembre 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue portugaise, Roman, Points

L’aveuglement (Ensaio sobre a Cegueira), trad. portugais Geneviève Leibrich, 366 pages, 7,80 € . Ecrivain(s): José Saramago Edition: Points

 

Si vous cherchez un roman confortable, qui entre dans les codes du genre, passez votre chemin. Il est sans doute peu de livres aussi profondément dérangeants, qui suintent autant le malaise, le mal-être, que ce roman du premier Nobel lusophone de littérature. Le flux d’écriture, serpentant et serré, étreint le lecteur, le fascine jusqu’à l’hypnose. Saramago ne pratique pas vraiment la phrase longue, il invente plutôt une ponctuation inédite, préférant la virgule au point, mais une virgule suivie d’une majuscule. La scansion de la phrase est ainsi à la fois très nette et complètement fluide. On se laisse mener par ce rythme. Comme un aveugle par son chien.

« Vous avez peur d’être seul, voilà tout, des fois qu’un ogre, de ma connaissance, vous tomberait sur le paletot, Ça suffit, s’écria le médecin avec impatience, Hé, ho, petit docteur, gronda le voleur, dites-vous bien qu’ici nous sommes égaux, vous n’allez pas me donner d’ordre, Je ne vous donne pas d’ordre, je vous dis seulement de laisser cet homme en paix, D’accord, d’accord, mais il ne faut pas me chercher des poux dans la tête, la moutarde me monte vite au nez et je deviens méchant comme un âne rouge, je peux être bon garçon comme tout le monde mais je suis un ennemi qui ne fait pas de cadeaux ».