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Nouvelles

Aucune raison d’aller ailleurs, Héloïse Simon

Ecrit par Arnaud Genon , le Lundi, 24 Août 2015. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Paul & Mike

Aucune raison d’aller ailleurs, juin 2015, 230 pages, 14 € . Ecrivain(s): Héloïse Simon Edition: Paul & Mike

On est toujours ailleurs, même quand on est ici, toujours ici, même quand on est ailleurs. Il y a, dans les douze nouvelles que contient le présent recueil, une dialectique à l’œuvre du loin et du près, de là où on est et de là où on va, un appel constant à la fuite ou au retour, des choses qui nous éloignent et d’autres qui nous retiennent. On trouve ceux qui attendent, ceux qui viennent de loin ou encore ceux « qui arrivent à bon port ». On traverse les continents, les états, les états d’âme, on assiste à des rencontres, des séparations, des retrouvailles…

« Y’a aucune raison d’aller ailleurs. Y’a jamais aucune raison d’aller ailleurs ». Cette phrase, qui donne au livre son titre, est extraite de la première nouvelle, Sélénite. C’est Ed Bullard qui la prononce, cet agriculteur du Midwest que le narrateur est venu rencontrer en vue d’un reportage pour un magazine français. Ed n’a jamais rien connu d’autre que du plat, que les carrés et rectangles d’orge, de maïs et d’avoine qui l’entourent depuis sa naissance. Et pourtant, rien d’autre – à part la Lune « avec ses volcans, ses mers ses montagnes » – ne lui fait envie. Ed, inculte, ayant quitté à 12 ans l’école se fait savant et poète dès qu’il évoque notre satellite. Mais un savant du 19e siècle, puisqu’il a tout appris d’un livre datant de 1880, alors que personne n’avait encore mis un pied sur la Lune. Lui, d’ailleurs, ne le sait pas qu’un homme y a marché… Alors même qu’il habite la petite ville d’Armstrong.

Les eaux troubles du mojito, Philippe Delerm

Ecrit par Victoire NGuyen , le Mercredi, 19 Août 2015. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Seuil, La rentrée littéraire

Les eaux troubles du mojito, août 2015, 110 pages, 14,50 € Edition: Seuil

 

Impressions fugaces

La prose de Philippe Delerm relève d’une volonté particulière de s’intéresser à des instants de vie. Dans cet opus d’une poésie manifeste, l’auteur offre à son lecteur un vrai plaisir de lecture. En effet, Les eaux troubles du mojito est un ouvrage qui condense quarante deux récits très brefs à la thématique surprenante et teintée de la couleur de l’été. L’approche de Philippe Delerm est originale à plus d’un titre. D’abord, il valorise les petites choses de la vie quotidienne en objets littéraires. Ainsi, la pastèque se voit le protagoniste d’un récit de deux pages dans lequel ses qualités gustatives et sa couleur « rouge-rose » à « la solide écorce vert profond » sont mises en valeur. Il y a aussi ce petit navet qu’on oublie tant de citer ! L’auteur, quant à lui, s’y intéresse et lui redonne de la noblesse. Ecoutons son chant sur le navet, le mal-aimé :

« Il est toujours le parent pauvre, réduit à quelques unités précieuses et menacées. Couronné de mauve, il avait un petit côté vieillot et rondouillard, idéalement conçu pour l’idée de la soupe. Mais passé à l’épreuve de l’épluche-légumes, il a gagné une blancheur immaculée… »

La mer couleur de vin, Leonardo Sciascia

Ecrit par Stéphane Bret , le Lundi, 22 Juin 2015. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Denoël, Italie

La mer couleur de vin, traduit de l'italien par Jacques de Pressac mai 2015, 192 pages, 15,50 € . Ecrivain(s): Leonardo Sciascia Edition: Denoël

 

Le genre de la nouvelle est difficilement maîtrisable, dit-on, pour un écrivain ayant l’intention d’inclure dans ce type de récit autant de force de conviction et d’intensité que dans un roman, catégorie prétendument plus aisée pour l’atteinte de ce type de but. Leonardo Sciascia, dans un recueil de nouvelles intitulé La mer couleur de vin, contredit magnifiquement ce présupposé. Il parvient à y décrire pêle-mêle le mirage d’un voyage organisé par un passeur sans scrupules, monnayant ses services fort cher pour organiser un voyage vers l’Amérique… Las, la traversée se termine au point de départ : « Ils se jetèrent assommés sur le bord du fossé : il n’y avait pas urgence à porter aux autres la nouvelle qu’ils avaient débarqué en Sicile ».

Dans la nouvelle la plus longue, La mer couleur de vin, ayant donné son titre à l’ouvrage, il est question du voyage en train d’un ingénieur quittant Rome pour Reggio de Calabre en Sicile. Cet homme, ayant choisi a priori une vie solitaire, est fasciné par les enfants de la famille dont il partage le compartiment. Comme si ces derniers ravivaient en lui le regret toujours vivace de n’avoir pas adopté une vie de famille, d’avoir configuré son existence autrement :

Un membre permanent de la famille, Russell Banks

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 27 Mai 2015. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Actes Sud

Un membre permanent de la famille, janvier 2015, traduit de l’américain par Pierre Furlan, 240 pages, 22 € . Ecrivain(s): Russel Banks Edition: Actes Sud

 

Le hasard des lectures permet parfois de belles collisions : ainsi, lire à quelques semaines de distance seulement Survivants, premier recueil de nouvelles signé Russell Banks, et Un membre permanent de la famille, permet d’à la fois mesurer la distance parcourue par l’auteur du point de vue narratif (la technique est ici maîtrisée à un point humiliant pour tous les auteurs incapables de cohérence), et constater à quel point il est ancré dans quelques thématiques, qu’il cultive et creuse au fil des décennies, comme pour montrer que l’humain a bien peu évolué en quarante ans (sous-entendu : rien de nouveau sous le soleil).

Les treize nouvelles recueillies ici relatent, comme à l’habitude donc chez Banks, l’insignifiance de petites vies banales, sans jamais céder à la tentation des auteurs imbéciles, cette sale manie consistant à vouloir « réenchanter le réel » ou toute autre tricherie narrative ; non, chez Banks, l’homme (et la femme) se distingue par sa banalité, oxymore apparent dont l’auteur tire toute la richesse possible, que ce soit dans le Nord-Ouest des Etats-Unis ou à Miami, lieux entre lesquels se partagent les présentes nouvelles.

La fête des corbeaux, Thomas McGuane

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Mardi, 26 Mai 2015. , dans Nouvelles, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Christian Bourgois

La fête des corbeaux, mai 2015, traduit de l’anglais (USA) par Éric Chédaille, 336 pages, 20 € . Ecrivain(s): Thomas McGuane Edition: Christian Bourgois

 

La fête des corbeaux, ce sont dix-sept nouvelles et autant de superbes pochades dans lesquelles Thomas McGuane déroule les fils emmêlés des rapports des liens du sang. Rapports dont la haute toxicité façonne des êtres qui subissent, se plient passivement aux désirs des figures parentales ou tentent de s’en échapper, le plus souvent en vain, par manque de confiance et surtout d’estime de soi. Une toxicité qui se transmet inéluctablement de génération en génération, empoisonne et emprisonne les couples, détruit les enfants, fait se dissoudre les rapports amicaux et conduit les anciens, faute de solidarité, vers l’asile ou la maison de retraite. Dix-sept tranches de vies déliquescentes.

La perversité à peine voilée des relations à l’intérieur des couples, l’absence de communication véritable, les jeux malsains de pouvoir au sein de ces binômes, s’exercent avec une saisissante acuité dans nombre de ces nouvelles. Prise à témoin ou plutôt comme otage, la descendance morfle et trouve des aménagements pour survivre. Ainsi dans la première histoire, Un problème de poids, le narrateur déclare : Je ne manque pas d’affection pour mes parents, mais ces deux-là sont enfermés dans quelque chose d’exclusif au point d’être hermétiquement clos à tous les autres, y compris moi-même (p.21).