La Colline des Potences, Dorothy M. Johnson
La Colline des Potences, juin 2015, trad. de l’américain par Lili Sztajn, 301 pages, 10 €
Ecrivain(s): Dorothy M. Johnson Edition: GallmeisterRegardez une photo de Dorothy M. Johnson (1905-1984) : il s’agit d’une honorable et américaine grand-mère à lunettes, dont la chevelure est sculptée d’impeccable façon, comme ça se faisait durant les années cinquante ou soixante ; on l’imagine auteur de romans à l’eau de rose. Ouvrez un livre de Dorothy M. Johnson, et voici qu’apparaît un tout autre univers narratif : la sauvagerie de l’Amérique de la Frontière se révèle, vous entrez de plain-pied dans un monde d’hommes rudes habiles avec un Colt ou un lasso à la main, et pourtant disposés à déposer leur cœur aux pieds d’une femme assez courageuse pour mener la vie des pionniers ; vous avez l’impression de lire les romans des films diffusés le mardi soir sur FR3 durant La Dernière Séance chère à Eddy Mitchell. D’ailleurs, ce n’est probablement pas qu’une impression : la longue nouvelle La Colline des Potences, extraite du recueil du même titre (1957), fut adaptée pour le cinéma en 1959, avec Gary Cooper dans le rôle masculin principal, et rien n’interdit de supposer que ce film eut les faveurs d’Eddy Mitchell durant les années quatre-vingt. D’ailleurs, pour en finir avec les rapports entre Dorothy M. Johnson et le cinéma, il n’est que d’ajouter qu’elle co-écrivit le scénario d’Un Homme Nommé Cheval (1970) et qu’une autre de ses nouvelles s’intitule The Man Who Shot Liberty Valance (1953), et on a plus ou moins fait le tour de la question.
A ce stade de la critique, tout qui frémit d’horreur à l’évocation du seul mot « western » a déjà cliqué ailleurs. Tant pis : le meilleur reste à venir. Car comme le sait l’amateur, même dilettante, du genre, il y a « western » et « western » ; il y a le genre cliché au possible, où les bons cow-boys défendent la veuve et l’orphelin face aux vilains peaux-rouges, avec comme visée idéologique la justification des Etats-Unis tels qu’ils sont aujourd’hui (ça, Hollywood en a produit à la chaîne, la rumeur voulant même que le nombre d’Indiens tués dans les films excède celui de ceux vivant effectivement au dix-neuvième siècle), et il y a le genre qui raconte des histoires d’hommes (et de femmes) confrontés à la dureté, des éléments ou des autres hommes, voire le tout ensemble, et qui pourtant conservent une part d’humanité, durant l’époque où se construisent les Etats-Unis, pour le meilleur et pour le pire.
Une des meilleures illustrations de ce second genre, le seul qui mérite qu’on s’y attarde, est ici la nouvelle Journal d’Aventure, dont les premières pages pourraient avoir inspiré Jeremiah Johnson si ce film n’était déjà adapté d’un autre roman. Dans la nouvelle de Dorothy M. Johnson, un homme parti à l’aventure dans le Montana sauvage se retrouve isolé sous une souche, la jambe cassée et son cheval mort, après que les Crows auxquels il s’était joint ont été attaqués par des Cheyennes ; il ne survit que grâce à l’aide d’une squaw Crow, à laquelle il s’unit en suivant le précepte familial : « Comportons-nous avec dignité ». Ce pourrait juste être une histoire de survie, à ceci près que Johnson alterne avec finesse les passages du « journal d’aventure » annoncé par le titre et sa propre narration, transformant ce journal en une série de commentaires adressés par le personnage principal à une lectrice idéale, afin qu’elle comprenne la voie qu’a prise son existence. De surcroît, l’histoire va bien au-delà du sauvetage et du mariage avec la squaw Crow, donnant un aperçu de la vie sur la « Frontière » et ouvrant la possibilité à une fin heureuse…
Car les histoires de Dorothy M. Johnson, racontant avant tout des épisodes mettant en scène des personnages aussi humains que complexes, s’apparentent parfois en toute logique à des histoires d’amour (la magnifique Histoire de Charley), ou à des histoires sur la famille ou sur la fidélité (l’exemplaire Une Sœur Disparue, qui valut d’ailleurs à Johnson le Spur Award, la plus haute distinction parmi les écrivains de western). Quel que soit le sujet primaire de la nouvelle (et on parle de tout ici, du banditisme à la ruée vers l’or en passant par les relations parfois fraternelles avec les Indiens), Johnson n’en oublie donc jamais la composante humaine, en jouant même parfois avec humour (le ton décalé de la nouvelle Au Réveil, J’Etais Hors-La-Loi).
Mais le plus intéressant dans les nouvelles de Johnson, c’est lorsqu’elle joue de la distance temporelle, évoquant un épisode, une anecdote au travers des souvenirs d’un personnage, comme pour rappeler à l’Amérique à qui elle propose ses nouvelles que l’époque qu’elle évoque n’est pas si lointaine que ça. C’est le cas dans Une Squaw Traditionnelle et, surtout, dans L’Homme qui Connaissait le Buckskin Kid : dans cette nouvelle, un vieillard évoque devant un journaliste, à l’époque des « avions à réaction », une autre époque, celle où un homme pouvait embarquer sur un cheval ses « quarante ans de bric-à-brac », pour reprendre l’expression usuelle parmi les cow-boys, même les plus jeunes, et partir plus loin s’inventer une nouvelle vie.
Au total, une lecture à recommander aux amateurs de western en priorité, mais aussi à tout qui est curieux de récits dont les personnages, bien construits et ayant de l’épaisseur, vivent tout simplement l’aventure humaine, parfois confrontés à des conditions extrêmes, mais toujours à la recherche d’une forme d’accomplissement personnel, ce qui, chez Dorothy M. Johnson, passe souvent par l’amour. L’amour au temps d’OK Corral, dès lors ?
Didier Smal
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