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Maghreb

Une longue nuit d'absence, Yahia Belaskri

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 13 Septembre 2013. , dans Maghreb, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Vents d'ailleurs

Une longue nuit d’absence, mars 2012, 158 pages, 15,20 euros . Ecrivain(s): Yahia Belaskri Edition: Vents d'ailleurs

 

C’est un roman pour ainsi dire plein d’Histoire(s), c’est-à-dire d’idéaux, de larmes, de sang, de douleurs, d’exils et de volonté humaine. Un roman en va-et-vient entre les deux rives de la Méditerranée, et entre deux guerres civiles, celle d’Espagne et celle d’Algérie.

Yahia Belaskri, ambitieux, empoigne trois ou quatre décennies de feu, retrace la vie de populations entières, et éclaire avec une belle maîtrise de son sujet deux conflits majeurs dont le fond commun est la quête de justice et de liberté.

Francisco, dit Paquito, puis Paco, est né en Andalousie autour de 1920 ; il mourra en 2006. Entre ces deux dates, que de choses ! Un engagement à l’âge de seize ans dans les rangs des républicains qui combattent Franco (un… enfant-soldat), la clandestinité quasi permanente, le déchirement d’une vie familiale impossible, la défaite et l’exil dans l’Algérie française, la suspicion des autorités (il est militant du Parti communiste espagnol), les camps d’internement, l’activisme et les incursions téméraires dans l’Espagne franquiste, puis, alors qu’il veut s’apaiser un peu dans le bonheur conjugal, une autre guerre, de décolonisation, où il est pris comme dans un étau par le FLN et l’OAS, l’indépendance sanglante, un autre exil, en France… métropolitaine.

Vies voisines, Mohamed Berrada

Ecrit par Stéphane Bret , le Samedi, 20 Avril 2013. , dans Maghreb, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Sindbad, Actes Sud

Vies voisines, février 2013, 189 pages, 20 € . Ecrivain(s): Mohamed Berrada Edition: Sindbad, Actes Sud

Peut-on associer des modalités de narration issues de traditions littéraires différentes ? C’est à cet exercice que s’emploie Mohamed Berrada dans son roman Vies voisines. Ce roman s’articule autour de la vie de trois personnages : une femme en recherche d’émancipation, Naïma Aït Lahna, hôtesse de l’air, banquière, et trafiquante de drogue au final, un jeune homme en mal d’évasion et de dépaysements, le fils de H’Nia, et Abdel Moujoud-al-Wariti, vieux politicien roué.

Tous ces personnages ont pour point commun d’avoir participé, chacun selon son parcours, à l’histoire du Maroc contemporain, d’en être un échantillon parfois très représentatif. La vie de chaque personnage y est décrite. Mohamed Berrada y ajoute le récit de ce qu’il appelle le narrateur-narrataire, sorte de dépositaire de l’authenticité de chaque récit. L’auteur du roman y superpose la voix d’un conteur, le râwî, figure centrale de la littérature populaire arabe.

Ce qui frappe dès les premières pages de l’ouvrage c’est l’omniprésence de l’histoire du Maroc depuis l’Indépendance. Ainsi, Naïma évoque-t-elle les idéaux – ou la naïveté ? – d’une certaine jeunesse marocaine : « Notre jeune âge conjugué aux échos de la révolte mondiale nourrissait notre volonté de détruire l’ancien pouvoir qui s’était ravivé après l’Indépendance. Nous avions l’ambition d’imposer les valeurs du changement pour affranchir les gens de l’esclavagisme ».

Le dernier Juif de Tamentit, Amin Zaoui

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 01 Novembre 2012. , dans Maghreb, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman

Le dernier Juif de Tamentit. Ed. Barzakh (Alger). Octobre 2012. 142 p. . Ecrivain(s): Amin Zaoui

 

 

Amin Zaoui écrit de gauche à droite – pour reprendre une des expressions qu’il aime à manier dans ses chroniques hebdomadaires « Souffles » du journal « Liberté » en Algérie. De gauche à droite, en français donc. Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est en apparence seulement. Même s’il écrit la langue française avec un art étincelant, Zaoui sait que l’outil linguistique n’est pas la pâte culturelle que l’on rencontre à chaque page de ce livre.  La pâte culturelle vraie, elle s’écrit de droite à gauche. En arabe sûrement. En hébreu aussi et c’est là le fil rouge, la basse continue de cette oeuvre.

Cette pâte est d’abord algérienne. Ce livre n’est pas vraiment un roman, pas une narration, c’est plutôt un conte polymorphe et en cela il rejoint une tradition ancienne du conte algérien, voire arabe. Conte philosophique, moral, spirituel, érotique : le lien millénaire avec la grande littérature arabe est évident, il porte en fait cet opus.

Nulle part dans la maison de mon père, Assia Djebar

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 17 Octobre 2012. , dans Maghreb, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Babel (Actes Sud)

Nulle part dans la maison de mon père, 452 p. 9,50 € . Ecrivain(s): Assia Djebar Edition: Babel (Actes Sud)

 

Peut-on prendre congé de son existence, dire adieu à sa propre personne, à son passé ? C’est la voie apparemment décrite par Assia Djebar dans un roman, autobiographique, Nulle part dans la maison de mon père. Ce père, instituteur, seul indigène de son village ayant accédé à cette fonction, est immensément sévère, rigoriste. Il élève l’héroïne en l’entourant d’une protection qui entraîne, bien vite, l’apparition de toutes sortes d’interdits : vestimentaires, relationnels. Le puritanisme est de rigueur.

Pourtant, l’héroïne du récit parvient à échapper, un peu, à cette atmosphère familiale pesante ; elle est admise dans un internat, y fait la connaissance de camarades musulmanes comme elle, et de pensionnaires européennes. Elle y découvre les joies de la lecture, de la complicité intellectuelle avec Mag, Jacqueline, Farida. Elle goûte à la liberté de mouvement, ayant la faculté de retourner dans son village à chaque fin de semaine.

Cette jeune femme est torturée par toutes sortes d’interrogations : l’émancipation intellectuelle va-t-elle de pair avec l’émancipation des mœurs si étroitement contrôlés dans cette Algérie coloniale ? Que représente son père, censeur omniprésent dans sa conscience d’enfant, dans sa vie : un protecteur ou un castrateur impitoyable ?

Ouatann, Azza Filali

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 15 Juin 2012. , dans Maghreb, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman

Ouatann, Azza Filali, Editions Elyzad (Tunis), mai 2012, 391 pages, 19,90 € . Ecrivain(s): Azza Filali

 

Dans son chef-d’œuvre Une maison pour Monsieur Biswas, V. S. Naipaul décrit un personnage obstinément désireux d’avoir sa propre maison où il sera libre et indépendant des autres. Idée et envie extraordinaires au regard de ses conditions de vie misérables dans une petite île des Caraïbes. Mr Biswas s’effondrera littéralement en accomplissant cet effort exceptionnel. La maison dans le roman est aussi une métaphore ; celle du pays ; du pays à créer sur une terre issue de l’esclavage. Dans Ouatann, le roman de la Tunisienne Azza Filali, c’est également d’une maison qu’il s’agit ; au sens propre et au sens figuré. Une maison construite à l’époque coloniale par un Français, monsieur Jacques, dont la tombe occupe un petit coin du jardin luxuriant. Tout tourne autour de cette construction située sur la pointe d’une corniche, un endroit a priori idyllique, face à la méditerranée dont on ne décrit plus la beauté. Cette maison, grande, belle, confortable, est pleine de trappes et de remises, ce qui n’est pas préjudiciable en soi, tout dépendant de l’usage qu’on en fait. Rachetée par Si Mokhtar, vieux commerçant de Tunis, elle n’est ni à l’abandon ni tout à fait habitée. Si Mokhtar pensait à son fils en l’achetant ; mais celui-ci a émigré au Canada où il s’est marié et s’est installé définitivement – ne revenant au pays qu’en coup de vent, pour une ou deux semaines tout au plus.