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Maghreb

Le règne de barbarie, Abdellatif Laâbi

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 29 Octobre 2015. , dans Maghreb, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Pays arabes, Seuil

Le règne de barbarie, 1980 (Préface de Ghislain Ripault), 160 pages, 13 € . Ecrivain(s): Abdellatif Laâbi Edition: Seuil

 

Ce recueil de poèmes est un long cri de souffrance et de révolte. Publié en 1972 alors que son auteur, le poète marocain Abdellatif Laâbi, fondateur de la revue Souffles, dépérissait et pourrissait au secret des cellules de la prison de Kenitra, livré au bon vouloir sadique des tortionnaires de Hassan II, en pleines années de plomb, Le règne de barbarie se lit avec les tripes, avec les poings serrés, avec des saccades de sanglots, durs comme du fer, qui vous montent, ligne après ligne, exploser à la gueule.

Ce recueil de colères est un long hurlement de loup blessé, aux chairs prises dans les crocs de l’arbitraire du traqueur de liberté.

Préfacé par Ghislain Ripault, autre poète, qui en 1972 était coopérant français au Maroc, Le règne de barbarie ne se lit pas, mais se vit, se chevauche, se galope comme la noire monture de l’apocalypse, annonciatrice de la fin des temps des sombres seigneurs et de l’époque des vengeances éclatantes et justes des peuples : « Il est temps de dire pourquoi je dégueule ce monde ».

La dernière nuit du Raïs, Yasmina Khadra

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Samedi, 03 Octobre 2015. , dans Maghreb, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La rentrée littéraire, Julliard

La dernière nuit du Raïs, août 2015, 216 pages, 18 € Edition: Julliard

Les personnages de dictateurs attirent particulièrement les écrivains car ils constituent un terrain d’investigation psychologique sur trame historique tout à fait intéressant. Yasmina Khadra prend ici la plume à la première personne du singulier pour entrer dans l’intimité du Raïs Mouammar Khadafi, dirigeant libyen de 1969 à 2011, au cours de sa dernière nuit de pouvoir et de vie.

Au cours de la nuit du 20 novembre 2011, le « Frère Guide » est assassiné par les rebelles dans les environs de Syrte au terme d’une guerre civile sanglante. Ces dernières heures sont l’occasion pour le Bédouin paranoïaque, le militaire névrosé, le tyran mégalomane, de faire un bilan rétrospectif de sa vie et de clarifier pour le lecteur les origines d’une barbarie que, aveugle à lui-même, il ne s’avoue jamais, sauf peut-être à demi-mot dans les dernières pages du livre. « Mais il est trop tard ».

Sont ainsi révélés quelques-uns des secrets essentiels qui fondent les besoins pathologiques dont cet homme, en tant qu’incarnation prototypique du Dictateur, est pourvu : besoin de séduire et de posséder les femmes – toutes les femmes, du moins toutes celles qu’il voit et qui lui plaisent, quel que soit leur statut –, besoin de dominer les hommes, tous les hommes, jusqu’à faire peur à l’ensemble du monde, debout et tapotant sur son pupitre à l’ONU pour faire taire les dirigeants.

2084, Boualem Sansal (2ème article)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 14 Septembre 2015. , dans Maghreb, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard, La rentrée littéraire

2084, août 2015, 288 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Boualem Sansal Edition: Gallimard

 

De la lecture de l’excellent essai Dans les Laboratoires du Pire (1993) d’Eric Faye, on peut déduire que la contre-utopie fut un moment littéraire aussi intense que limité dans le temps : à partir du moment où les régimes totalitaires ont failli, écrire des récits montrant que le bonheur commun obligatoire mène au malheur individuel (pour faire très bref…) n’a plus guère de sens. Certes, tant au cinéma qu’en littérature, la contre-utopie continue pourtant de vivoter, mais on sent bien que les récits les plus récents (d’Equilibrium à Hunger Games) ne sont que des variations sur 1984, Fahrenheit 451 ou Un bonheur insoutenable : paradoxalement, il manquerait à la littérature et au cinéma comme un cruel rappel à l’ordre de la réalité politique pour avoir envie d’en découdre. Enfin, ça, c’est si on est occidental, même hongrois : certes s’agitent des ombres, des fantômes, mais rien de vraiment sidérant. Rien de nouveau, en somme, que des redites en mode mineur. Idem pour la littérature issue des régimes totalitaires : certes, il y a eu La Vie Volée de Jun Do, sur la Corée du Nord mais par un auteur nord-américain ; à part ça, rien d’aussi percutant pour l’esprit que Le Pavillon des Cancéreux ; encore une fois, le réel n’est pas assez violent que pour faire bouger l’art.

2084 La fin du monde, Boualem Sansal

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 09 Septembre 2015. , dans Maghreb, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard, La rentrée littéraire

2084 La fin du monde, août 2015, 274 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Boualem Sansal Edition: Gallimard

 

2084 La fin du monde est un pamphlet, un récit utilisant la trame romanesque et les rebondissements d’un conte pour éclairer le lecteur et le mettre face à des vérités désagréables et bien dérangeantes : par exemple, celle qui est énoncée en exergue du roman : « La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité ».

Le roman a pour cadre l’Abistan, un immense empire conquis autrefois sur les infidèles, les ennemis de la Foi. Le système de cette contrée repose sur la soumission à un dieu unique, Yölah, dont le prophète, Abi, est le délégué sur terre. Toute idée personnelle, toute pensée originale ou manifestant le moindre commencement de déviance y est bannie. L’écriture révérée est le Gkabul, dont les habitants de cet empire doivent s’imprégner sans cesse, le psalmodier à de nombreuses reprises dans la journée dans les mockbas, lieux de culte. Cet environnement doit rappeler quelque chose aux lecteurs contemporains, mais Boualem Sansal dans sa préface nous avertit avec force humour et ironie : toute ressemblance avec une réalité existante est fortuite, le récit se déroulant dans un futur lointain naturellement sans rapport avec l’actualité.

Un pays pour mourir, Abdellah Taïa

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 17 Avril 2015. , dans Maghreb, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Seuil

Un pays pour mourir, janvier 2015, 164 pages, 16 € . Ecrivain(s): Abdellah Taïa Edition: Seuil

 

Zahira, marocaine, immigrée en France, sans papiers, depuis dix-sept ans, se raconte, dans la majeure partie de ce roman rude, à la première personne, en mettant bout à bout, sans ordre linéaire, des fragments disparates, comme autant de morceaux épars d’un miroir brisé, de sa vie de prostituée envoyant régulièrement des mandats à sa famille qui, restée au pays, ignore la source véritable de cet argent.

Aziz, algérien, un des rares amis de Zahira, prostitué lui aussi à Paris, économise sou à sou sur ses prestations jusqu’à pouvoir se payer ce dont il rêve depuis son enfance : l’intervention chirurgicale qui fera de lui une femme.

Mojtaba, iranien, réfugié politique clandestin, erre dans Paris jusqu’à sa rencontre avec Zahira, qui le prend en charge, l’héberge, le nourrit, l’entretient et l’aime. S’ouvre alors dans la pauvre vie de Zahira et dans celle, chaotique, de Mojtaba, une parenthèse de bonheur qui se referme brutalement le jour où Mojtaba disparaît sans prévenir vers un possible vrai pays d’asile.