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Critiques

Élise ou l’abri de lettres, Isabelle Pouchin (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 15 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Élise ou l’abri de lettres, Isabelle Pouchin, Gaspard Nocturne, 2017, 180 pages, 19 €

 

Le titre de ce livre nous met sur la voie de la musicalité : comment ne pas penser à la Lettre à Élise devant cet abri qui nous est proposé ?

C’est d’abord dans sa forme que ce texte s’affirme : il suffit de feuilleter quelques pages pour découvrir qu’il s’articule autour des lettres de l’alphabet, ce qui donne à penser qu’on cherche là à retrouver le sens ou l’essence de certains mots, voire à leur donner un nouveau sens. Et pourquoi une telle intention ? Par-delà cette forme qu’on pourrait apparenter à un dictionnaire intime, nous sommes bel et bien confrontés à la situation d’un roman : depuis cinq ans, plusieurs hommes et femmes survivent tant bien que mal dans un endroit des Cévennes, après une Catastrophe (systématiquement écrite avec une majuscule) qui a décimé un grand nombre de leurs congénères. Ils sont passés par des étapes de cruauté qui les ont subjugués eux-mêmes. Revenus à un âge de pierre qu’ils assument comme ils peuvent, ils n’en ont pas moins le souvenir de la civilisation passée : c’est parce qu’elle a retrouvé un dictionnaire qu’Élise se met à écrire un journal à partir des mots qu’elle croise.

Les Infiltrés, L’histoire des amants qui défièrent Hitler, Norman Ohler (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 15 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Histoire, Payot

Les Infiltrés, L’histoire des amants qui défièrent Hitler, Norman Ohler, mai 2020, trad. allemand, Olivier Mannoni, 424 pages, 22 € Edition: Payot

 

Les sociologues ont montré depuis longtemps que le prénom constitue un marqueur social (en y réfléchissant un peu, cette « découverte » ressemble, comme souvent en sociologie, à un enfoncement de portes ouvertes). Se peut-il qu’un prénom soit également une figure du destin ? Femme libre dans tous les sens du mot, elle portait le prénom rare et peut-être unique de Libertas. Son mari, Harro Schulze-Boysen, incarnait à lui seul une page de l’histoire allemande : on trouvait dans son arbre généalogique l’amiral Alfred von Tirpitz (le plus grand navire de la marine de guerre allemande porta son nom) et Ferdinand Tönnies, un des fondateurs de la sociologie. Le grand-père de Libertas, le prince Philipp zu Eulenburg, fut l’ami intime du Kaiser Guillaume II et même davantage, faisant partie du cercle masculin qui se réunissait autour de l’Empereur manchot pour des séances de spiritisme et des parties fines.

Douze palais de mémoire, Anna Moï (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 12 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Douze palais de mémoire, février 2021, 204 pages, 19 € . Ecrivain(s): Anna Moï Edition: Gallimard

 

La mémoire, nous dit-on fréquemment, est essentielle pour la transmission, la cohésion d’une communauté, le maintien de valeurs morales indispensables au bon fonctionnement d’une société équilibrée. Dans les pays de tradition bouddhiste, où le culte des ancêtres joue un rôle dans la mémoire de chacun, les mécanismes de la mémoire peuvent faire appel à d’étranges associations.

Anna Moï a beaucoup traité dans ses précédents romans le thème de l’exil des Vietnamiens, comme par exemple Nostalgie de la rizière. Dans Douze palais de mémoire, Anna Moï décrit la fuite, à bord d’une embarcation de fortune, d’un groupe de Boat People, ces réfugiés qui ont décidé de quitter le Vietnam après la victoire des communistes et la chute de Saïgon en avril 1975. L’auteure s’attache plus particulièrement à Khanh, et à sa fille Tiên, âgée de six ans. Khanh, dont le père a exercé les talents d’astrologue, a reçu de ce dernier les grandes lignes directrices de son thème astral : la configuration de ses douze palais, le palais désignant un domaine précis, « Finances, Immobilier, Carrière, Amis, Parents, Voyages, Destinée, Santé, Fratrie, Mariage, Enfants, Mathématiques ».

Quatuor, Emmanuel Moses (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 12 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Quatuor, éditions Le Bruit du temps, mars 2020, 80 pages, 16 € . Ecrivain(s): Emmanuel Moses

 

Romancier (pensons à l’étonnant Monsieur Néant), poète (voici le 21e opus), Emmanuel Moses, né en 1959, délivre ici « quatre » longs poèmes sur des thèmes qui lui sont chers : l’amour, la rencontre mystérieuse, la mémoire des gens et des époques, Jérusalem (la foi de ses ancêtres, la Shoah). Le titre donc, bien choisi, est aussi musique des mots, instrument poétique pour dire, en de très longues laisses, ce qui lui tient à cœur.

En termes d’amitié, d’amour, la rencontre insolite est un fervent ferment ; elle vivifie toute relation ; elle instaure en soi, en l’autre, le mystère doux de vivre :

L’inconnu avec qui on discute dans le compartiment

la salle d’attente ou le salon de coiffure

Le chien, le lapin et la moto, Kate Hoefler, Sarah Jacoby (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 12 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Jeunesse

Le chien, le lapin et la moto, Kate Hoefler, Sarah Jacoby, éditions des Éléphants, février 2021, trad. Ilona Meyer, 48 pages, 14 €

Road movie

C’est à quatre mains que cet album-jeunesse inédit a été conçu. Kate Hoefler, diplômée d’un Master de poésie à l’Université du Michigan et qui vit dans l’Ohio, et Sarah Jacoby, autrice et illustratrice, qui collabore au New York Times et vit à Philadelphie, ont confectionné ce précieux livre cartonné, au format de 28 x 23 cm, qui porte un titre intrigant : Le chien, le lapin et la moto. Sur la couverture, l’on y voit un chien fou et son passager lapin agrippé à son dos tracer la route à travers champs. Un grand arc-en-ciel bleu, jaune orange, mauve et rose s’élève de derrière le véhicule à deux roues, comme si la moto était magique, pot d’échappement-pinceau dévidant de la couleur.

En ouvrant le bloc des pages de garde, l’on pénètre dans un champ de blé mûr, à perte de vue, comme si l’on dormait à même le sol, champ qui deviendra printanier, vert tendre. C’est donc dans la vie de Lapin que nous entrons. Ici, le léporide est libre, possède de longues oreilles sensibles et une ouïe fine. Il est sans doute américain, du genre Sylvigalus. Lapin est anthropomorphisé, comme celui de John Tenniel des Aventures d’Alice, dont il est plus proche en comparaison de Bugs Bunny ou de Roger Rabbit