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Critiques

Russies, Dominique Fernandez (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 26 Avril 2021. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Philippe Rey, Voyages

Russies, mars 2021, 208 pages, 9,90 € . Ecrivain(s): Dominique Fernandez Edition: Philippe Rey

 

Avec son sens consommé de la formule, Churchill définissait (mais était-ce vraiment une définition ?) la Russie comme « une devinette, enveloppée dans un mystère, au cœur d’une énigme » (a riddle, wrapped in a mystery, inside an enigma). Mais, autant on pouvait à la Renaissance ou au XVIIe siècle se permettre de négliger l’énigme en question ou se contenter de savoir qu’il existait quelque part un pays plutôt froid et peu hospitalier nommé Russie, autant depuis le Siècle des Lumières et l’ouverture (forcée) sur l’Occident européen, il n’est plus possible d’ignorer cette immense nation, qui a en grande partie dominé l’histoire du XXe siècle, grâce à (ou à cause de) l’utopie communiste. Pendant des siècles, et sans que l’Europe s’en rendît compte, la Russie lui servit de glacis, la protégeant des invasions asiatiques qui, sans le courage des peuples russes, eussent atteint Lisbonne en moins de temps qu’il n’en aurait fallu à l’Europe pour comprendre ce dont il s’agissait (les rêves insensés de Napoléon et de Hitler se brisèrent sur le bouclier russe, aussi imperméable dans un sens que dans l’autre). De nos jours, une grande partie des décisions prises par les États-Unis en matière de politique étrangère visent la Russie.

Tainaron, Leena Krohn (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Vendredi, 23 Avril 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Editions José Corti

Tainaron, Leena Krohn, trad. finnois, Pierre-Alain Gendre, 192 pages, 19 € Edition: Editions José Corti

 

Dans sa simple prononciation, le titre Tainaron est empreint de sévérité et d’étrangeté. Il nous rappelle aussi qu’il peut désigner une ville figurant dans la mythologie grecque, ville auprès de laquelle une caverne était considérée comme une entrée des Enfers (ce qu’on situe aujourd’hui au cap Ténare).

Dans ce roman, la narratrice, exilée dans la ville imaginaire de Tainaron, écrit des lettres à un ancien amoureux, qui restent sans réponse. Elle y décrit son quotidien, au sein d’un monde habité par ce qui ressemble à des insectes anthropomorphisés : elle y est guidée par un Capricorne, plus professeur qu’ami. Les liens qu’elle tente de créer avec son nouvel entourage sont insatisfaisants, voire périlleux. Et quand une coutume ou un événement la rend perplexe, désirant mieux le comprendre, elle s’en sort avec des explications qui accentuent son étonnement quand elles ne l’effrayent pas. Le séjour oscille constamment entre terreur, comique et émerveillement, tel l’exemple des plantes gigantesques présentes dans le jardin botanique, dont certaines gobent sans scrupule les visiteurs.

La brodeuse de Winchester, Tracy Chevalier (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 22 Avril 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Quai Voltaire (La Table Ronde)

La brodeuse de Winchester, juin 2020, trad. anglais, Anouk Neuhoff, 352 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): Tracy Chevalier Edition: Quai Voltaire (La Table Ronde)

 

Neuvième roman de Tracy Chevalier, La brodeuse de Winchester, relève du même genre romanesque que ses succès précédents : La Jeune fille à la perle, et La dernière fugitive. La romancière souhaite évoquer une période historique, bien documentée, et y greffer une histoire à l’intrigue disons modérément romanesque. Le talent de romancière historique convient bien à cette plume qui, de manière fluide, selon une narration riche en événements, conte des parcours de femmes, dignes d’intérêt et révélateurs sans doute de pans d’histoire à découvrir. Ce nouveau roman, tout axé sur le personnage de Violet Speedwell, célibataire de trente-neuf ans, secrétaire de son état, décrit une période bien précise. On est en 1932, 1933, en Angleterre, et l’époque est grave puisqu’on parle sans cesse d’un nouveau chancelier et de son parti nazi en Allemagne.

Une mort dans la famille, James Agee (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 21 Avril 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Titres (Christian Bourgois)

Une mort dans la famille (A Death in the Family, 1957) James Agee, traduit de l’américain par Jean Queval, 443 p. 8,10 €

James Agee, assurément l’un des grands de la littérature sudiste, constitue un cas à part : on le connaît au moins autant par ses reportages – il était journaliste avant de devenir scénariste et écrivain – magnifiquement accompagnés des photographies de paysans de condition précaire de Walker Evans (qui serviront, entre autres, de couvertures aux éditions Folio pour l’œuvre de William Faulkner) que par son œuvre littéraire.

Et pourtant. Un trésor encore, enfoui dans la terre du Sud, mine inépuisable de chefs-d’œuvre littéraires. Un récital stylistique, alternant, à la manière du Faulkner de Moustiques, les dialogues du quotidien et les flux de conscience imparables, sublimes. Un petit garçon regarde la vie, apprend à aimer, à perdre, à pleurer.

La lecture de Une mort dans la famille est une plongée dans la précarité de l’âme et du cœur. L’enfant Rufus – le prénom vient signer le caractère autobiographique du roman, James Agee s’appelait James Rufus Agee – voit, du fond de son cœur d’enfant, un monde doux, aimant, heureux, se briser en une annonce tragique et apprend ainsi la nature même de l’humaine condition, sa fragilité, la fatalité qui l’accompagne comme une ombre. En plongeant son doigt dans le cendrier abandonné de son père sur le bras d’un fauteuil, Rufus découvre « le goût des ténèbres » nous dit Agee.

Manon Lescaut, Abbé Prévost (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 20 Avril 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Manon Lescaut, Abbé Prévost, Folio+Lycée, mars 2021, dossier de Guillaume Duez, 272 pages, 3,05 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Quasi trois siècles après sa publication à Amsterdam, le huitième tome des Mémoires d’un homme qualité, intitulé, en 1731, L’Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, est à nouveau réédité – encore et toujours, peut-on constater, et dans une édition destinée à des lycéens, dossier pédagogique à l’appui. C’est la vertu d’un classique, associée au rôle de l’école : celle-ci rappelle la présence de certains ouvrages dans l’imaginaire collectif. D’un autre côté, on peut ressentir une douce mélancolie à l’idée que les romans, pièces de théâtre et autres recueils de poèmes autrefois disponibles dans de simples éditions de poche, comme part du tout-venant dans la société, soient aujourd’hui siglés « pour l’école » de façon spécifique, comme si l’école était désormais leur seul lieu d’existence – puis on les oublie, puis on les met de côté, puis on retourne à la frénésie du monde moderne.