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Critiques

Nuit close, Philippe Leuckx (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Jeudi, 25 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Nuit close, Editions Bleu d’Encre, février 2021 (sizains poèmes), 30 pages, 10 € . Ecrivain(s): Philippe Leuckx

 

D’emblée, avec son titre court, Philippe concise la nuit en une sorte d’évanescence très présente à l’état brut, tel un ciseleur ou un tailleur de pierre :

« On se rempare/ comme on peut/ on taille dans le noir/ la limite du cri/ l’offrande à peine sûre/ de ses poumons blessés ».

Là où la respiration se fait prise sur la matière à vouloir restituer les choses, les rendre prenantes, l’auteur saisit « à plein sang » la tourmente à l’affût d’un cœur qu’il écoute « en recel de visages ».

Philippe a cette intention de clore la nuit pour protéger le jour malgré qu’il ne sache « presque rien/ des promesses de l’aube ».

Kentukis, Samanta Schweblin (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mercredi, 24 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Gallimard

Kentukis, Samanta Schweblin, janvier 2021, trad. espagnol (Argentine) Isabelle Gugnon, 265 pages, 20 € Edition: Gallimard

 

C’est à la série Black Mirror que fait penser le nouveau roman de l’argentine Samanta Schweblin : les mignonnes peluches qu’elle invente, les kentukis, sont une manière de révéler les dérives et perversités de notre société technologique. Les kentukis, aux allures d’animaux kawaï, sont pilotés à distance via une interface logicielle. Chaque peluche met donc en relation deux humains, celui qui achète le kentuki, et celui qui achète le code permettant de le contrôler : celui qui « est » le kentuki, à l’abri derrière l’écran de son ordinateur, voit et entend ce qui se passe chez celui qui « a » le kentuki – qui peut, de son côté, plus ou moins dévoiler son intimité. Dans une succession de chapitres brefs, depuis le premier, qui donne le ton par sa noirceur, jusqu’à la surprise finale, l’auteure s’ingénie à explorer toutes les possibilités offertes par ces appariements à l’aveugle – puisque ni le possesseur du kentuki ni celui qui l’anime ne peuvent se choisir, et qu’ils ignorent tout l’un de l’autre.

Du rififi à Wall Street, Vlad Eisinger (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Mercredi, 24 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, Polars, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

Du rififi à Wall Street, Vlad Eisinger, janvier 2021, trad. Antoine Bello, 320 pages, 8,10 € Edition: Folio (Gallimard)

Vlad Eisinger rêvait d’écrire un jour le Grand Roman Américain. Alors, pour ce faire, il a passé la moitié des années 1990 à étudier à Columbia la littérature comparée. Puis, comme un Hemingway ou un Mailer, il a décidé pour élargir ses horizons de devenir journaliste. Engagé par le Wall Street Journal en 1997, il participa en 2001 à l’enquête sur l’entreprise Enron et ses pratiques délictueuses. La débâcle qu’ils semèrent à Wall Street lui valut le titre de senior reporter. Lassé du travail de journaliste et ayant mis un peu d’argent de côté après avoir frôlé le Pulitzer, il éprouva le besoin de changer de vie et se reconvertit comme auteur de fiction. Après avoir pris pour agent Lori Jacobson, il obtint un succès d’estime lors de la parution de son premier roman, Faux mouvement. Mais les livres suivants ne suivirent pas le même mouvement. Alors qu’il est obligé de faire des traductions afin de subvenir à ses besoins, il cherche un moyen de rebondir lorsque Kenneth Tar, patron de l’entreprise de câble Black, cotée en bourse, lui propose d’écrire un roman-vérité sur Black en échange d’un confortable revenu. Les clauses du contrat étant quasi léonines, il refuse ce travail et signe un autre contrat avec l’entreprise True fiction. En prenant le pseudonyme de Tom Capote, en hommage à l’auteur de De sang-froid, il va raconter l’histoire d’un magnat du pétrole aux combines très douteuses dans du Rififi à Wall Street. Mais cette histoire ressemble trop à celle de Kenneth Tar, il se trouve donc dans une très fâcheuse posture et poursuivi par les sbires de Tar.

Tourbillon, Shelby Foote (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 23 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Gallimard

Tourbillon (Follow Me Down, 1950), Gallimard, Coll. La Noire, trad. américain, Maurice-Edgar Coindreau, Hervé Belkiri-Deluen, révisée par Marie-Caroline Aubert pour la réédition mars 2021, 400 pages, 21 € . Ecrivain(s): Shelby Foote Edition: Gallimard


Avant de tenir le moindre propos sur ce roman, il faut relever l’étrange pénombre dans laquelle il est encore tenu de nos jours, alors que sa traduction en français – magnifique comme toutes les traductions de Maurice-Edgar Coindreau (ici assisté de Hervé Belkiri-Deluen) – date de 1978. Et bravo à Gallimard La Noire qui a aujourd’hui l’intelligence de conserver la traduction de Coindreau avec seulement une révision de Marie-Caroline Aubert. Tourbillon (Follow Me Down) est un absolu chef-d’œuvre de la littérature américaine, à placer au rang des plus grands Faulkner. Dans une écriture éblouissante de vie, de richesse idiomatique, Shelby Foote se hisse dans ce que l’acte littéraire porte de plus magique : transposer le réel des hommes, composer l’incantation quasi biblique des pauvres blancs du Sud profond, le chant de cette terre mythique du Mississippi, la langue inimitable des paysans miséreux et oubliés de ce bout de monde.

Tordre la douleur, André Bucher (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 23 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Le Mot et le Reste

Tordre la douleur, janvier 2021, 152 pages, 15 € . Ecrivain(s): André Bucher Edition: Le Mot et le Reste

 

C’est une voix bourrue, rude, brute, en accord avec le paysage de montagne et les rapides changements de temps, qui se fait entendre, qui s’élève et s’adoucit pour conter de petits faits, de petites existences brisées par le quotidien, par le cours des choses, ce qu’on n’attend pas, ce qu’on ne supporte plus… un trop-plein d’injustice, de minuscules gouttes qui font déborder le vase ou d’un raz-de-marée brisant une existence… la vie à vif, qui décape.

C’est une série de faits divers advenus à des personnages qui ne se connaissaient pas, et qui se rencontrent, un destin commun, comme on dit un pot commun, de brindilles ballottées.

La voix des hommes se mêle, sans la reconnaître, sans se reconnaître, à celle de la nature, la re-lisant, l’accompagnant parfois sans la déchiffrer : « La neige, cette douceur sourde surgie de la nuit assiégée, attisée par le vent, se durcissait à vue d’œil et en propulsant ses cristaux à l’horizontale, elle leur fouettait le visage » (p.122).