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Critiques

Bonheur / Le Bazar de l’hôtel de vie, Christian Laborde (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 23 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

. Ecrivain(s): Christian Laborde

Bonheur, Christian Laborde, éditions Cairn, février 2021, 120 pages, 12 €

Le Bazar de l’hôtel de vie, Christian Laborde, Le Castor Astral, avril 2021, 160 pages, 16 €

 

« Le portail s’ouvre sur une vaste cour en cailloux, des cailloux de taille identique, serrés les uns contre les autres, des cailloux qu’on ne pourrait arracher bien qu’au ciment ne les scellât, des cailloux lisses et luisants que l’Adour et les gaves ont charriés dans leurs eaux bourlingueuses. Ils donnent à la cour l’apparence du lit asséché d’une rivière » (Bonheur).

Bonheur fut d’abord un feuilleton de La Nouvelle République des Pyrénées, un feuilleton qui deviendra un roman, un roman qui n’est pas à l’eau de rose, mais à l’eau du Gave, un roman dont les mots roulent comme des galets. Bonheur est l’histoire de Julien Beausonge – un beau rêve, une belle chimère –, qui s’installe à Ossun dans les Hautes Pyrénées, le dernier repos de sa mère, à quelques roues de Tarbes. Ce n’est pas un retour aux sources, les sources elles jaillissent de la plume de Christian Laborde, mais une plongée dans le Sud : c’est-à-dire la douceur, les nuages qui freinent, les fantaisies du vent.

Une dame perdue, Willa Cather (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 22 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Rivages poche

Une dame perdue (A Lost Lady, 1923), trad. américain, Marc Chenetier, 190 pages, 7,20 € . Ecrivain(s): Willa Cather Edition: Rivages poche

 

Willa Cather est une incomparable portraitiste de femmes. Nous l’avions pointé déjà à propos de Mon ennemie mortelle (My Mortal Enemy, 1927), où le personnage de Myra Driscoll éclaboussait le lecteur de sa beauté, de son intelligence et de sa séduction. C’est une autre dame splendide qui est le personnage central de ce roman, Marian Forrester. Elle règne sur la propriété familiale, quelque part à l’Ouest, sur la ligne de chemin de fer Burlington qui ouvre le chemin des Nouvelles Frontières. Sa beauté parfaite, son élégance vestimentaire et morale, sa générosité et son attention envers les autres, en font une femme d’exception. Le bon capitaine Forrester, son vieil époux – ils ont 25 ans d’écart – débonnaire et au grand cœur, la rend parfaitement heureuse.

Une ombre cependant : ils n’ont pas eu d’enfant mais Marian sait attirer autour d’elle ceux du village, des gamins pauvres pour la plupart et éblouis par leur bonne « déesse », qui s’intéresse à eux, les invite à jouer sur ses terres et au bord de son étang, leur offre des goûters délicieux.

L’Unique goutte de sang, Arnaud Rozan (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 22 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Plon

L’Unique goutte de sang, Arnaud Rozan, août 2021, 265 pages, 18 € Edition: Plon

 

Peut-on radiographier la haine, disséquer les mécanismes du racisme avec une rigueur quasi scientifique ?

C’est à ce voyage, lugubre, à travers l’histoire du phénomène du racisme que nous convie Arnaud Rozan. Dans le roman, Sydney, un jeune adolescent noir, commet l’erreur fatale de céder à son désir pour deux jeunes filles blanches ; celles-ci provoquent sans scrupules ni le moindre regret le massacre de sa famille en l’accusant de viol. Ce qui frappe tout au long des pages de ce roman, c’est la précision des descriptions, la décomposition des actes et gestes, la distanciation avec le côté dramatique et cruel des situations décrites. Ainsi, Arnaud Rozan évoque-t-il la pendaison de deux jeunes filles, Ella et Eulma, par un rappel historique : « Certaines contrées sont maudites par le sort. Le sang s’y verse à doses régulières, comme une rivière sort périodiquement de son lit et se transforme en coulée de boue. La fureur des hommes revenait faire trembler cette terre, où avaient déjà succombé des milliers de soldats dans un fracas de sabots ».

Madame, Gisèle Berkman (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 21 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Arléa

Madame, Gisèle Berkman, éditions Arléa, Coll. 1er mille, août 2021, 392 pages, 20 € Edition: Arléa

 

Est-elle ange ou démon ? Persécutée, spoliée ? Ou malade, paranoïaque, invasive ? Cachée au monde par peur du scandale, de l’aveu d’une faute ? Personne ne le sait, pas plus elle, au service de « Madame », patronne tyrannique et blessante, aux divers visages, que les personnages gravitant autour de ces deux vestiges perdus dans le grand appartement parisien. Madame et la bonne, son souffre-douleur, son faire-valoir, son repoussoir :

« Rencontre-t-on les yeux de Madame, que l’on se retrouve hameçonné de terrible manière, fretin et qui doit résister ferme pour ne pas se trouver sorti de l’eau par cette canne à moulinet qu’est son regard. A peine sortie de l’eau, elle vous y rejette – c’était juste pour montrer son pouvoir, conseiller de ne pas s’y frotter, ne pas affronter. Désormais, on se présentera à elle tête baissée. Avec le temps, je me fortifie, préparant le moment où je pourrai moi aussi la soulever de terre » (p.122).

Le Purgatoire, Pierre Boutang (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 20 Septembre 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Le Purgatoire, Pierre Boutang, éditions Les Provinciales, mars 2021, 430 pages, 30 €

La plupart de ceux qui connaissent le nom de Pierre Boutang l’ont appris grâce aux deux émissions – et au souvenir lumineux qu’elles ont laissé – du magazine télévisé Océaniques, diffusées en octobre 1987. Peu habitué à ce genre de prestation, Boutang y apparut comme un personnage bougon, concentré et ramassé en lui-même, sur la défensive, face à un George Steiner volubile et très à l’aise.

Au début de la première émission, l’animateur – Michel Cazeneuve (1942-2018), lui-même écrivain et spécialiste de C. G. Jung – demanda à ses invités de se présenter réciproquement (ce passage ne figure pas dans la transcription publiée chez Lattès, Dialogues. Sur le mythe d’Antigone, sur le sacrifice d’Abraham, 1994). Steiner qualifia Boutang de « maître d’une certaine solitude, très altière, et qui de temps à autre permet la provocation d’un intérêt passionné ». De son côté, préfaçant la mise en livre de ces entretiens, Boutang écrira : « Le dialogue avec George Steiner, initié dans les années quatre-vingt, comment pourrait-il cesser ? Il m’arrive d’imaginer qu’il se prolonge, et s’accomplit, au Purgatoire, sans que j’aie à prouver l’existence de ce lieu ultime, ni en quel sens c’est un lieu, autrement que par l’étrangeté et la pérennité de notre rencontre ». L’allusion théologique n’est pas gratuite et les termes employés par Steiner – solitude altière – définissent à merveille Le Purgatoire ; non le dogme, mais le livre qui porte ce titre.