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Brise, Bernard Grasset (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 08 Mars 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Brise, Bernard Grasset, éditions Jacques André, septembre 2020, 50 pages, 13 €

Vers une poésie cumulative

Ce recueil de poèmes de Bernard Grasset est accessible grâce à des mots simples, une prosodie que l’on dirait pauvre parce que dénuée d’apparats et d’ornements, mais écrit sous la lumière faîtière d’une lecture de la Bible, à la fois utilisant la métaphore, dans son registre spirituel, et composant une musique humble qui tremble au-dedans du texte. Simplicité donc, cherchant dans la locution verbale, celle du croyant sans doute, plus que désignant des hauts faits moraux, idéologiques, quêtant en son propre sein le rituel poétique voulu. Et comme je considère que la patrie des hommes c’est le livre, je dirais que cette brise, ce vent doux, nous rapproche de l’homme, de celui-là qui espère et demande à s’augmenter de son humanité, brillante sous le feu solaire de la foi, du sacré, ou de la mort peut-être.

Cette langue retenue s’articule sur peu de verbes et agit plus sur le mode de l’accumulation de mots devenant des épithètes, construisant en cumulant, à l’image des énumérations par exemple des ordres sacramentels, de la disposition du temple dans l’Ancien Testament. Les substantifs nous ouvrent un chemin qui nous conduit plus loin que nous-mêmes, dans une expérience de l’espoir, expérience de l’espérance si chère à Péguy.

Dernières répliques avant la sieste, Jean-Pierre Bobillot (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 01 Mars 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Tinbad

Dernières répliques avant la sieste, Jean-Pierre Bobillot, éditions Tinbad, janvier 2021, 88 pages, 14 €

Invention/Intention

Aborder un auteur que je ne connais pas, par un simple de ses livres, lequel est peut-être la continuité d’une écriture susceptible de se développer sur un ensemble plus vaste, laisse un goût d’incomplétude. Cependant, il est possible de tirer certaines conclusions dans telles conditions, propos évidemment à demi-véridiques. Mais, là est le goût pour tout critique : jeter une sorte de fil capable de se saisir d’un poisson soluble. Et ici, au sein d’une composition graphique inventive et en suivant quelques intentions de l’auteur, j’ai distingué une démarcation nette avec toute tentative historique (hormis en relation à Dada).

L’ouvrage se développe selon deux axes : inventer, parce que la langue a subi et subit une inertie qui la leste, et que toutes les littératures du passé ne se conçoivent en définitive que pour être défaites par une autre littérature remplaçant son aînée, écrivain cadet qui s’expose à être lui aussi dépassé par un autre cadet ; ainsi, il faut défaire, pour reconstruire. Puis intentionner, viser par la pensée les structures, les scories accumulées par le temps et les scolastiques, qui gênent l’accès au vif du langage.

Œuvres Tome II, Victor Segalen en La Pléiade (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 22 Février 2021. , dans La Une CED, La Pléiade Gallimard, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Œuvres Tome II, Victor Segalen, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, novembre 2020, 1312 pages, 62,50 €

 

Écrire puis disparaître

Si l’on embrasse la totalité des textes de l’édition de La Pléiade des deux tomes de l’œuvre écrite de Segalen, l’on croise des registres différents : romans – parfois un peu hybrides –, poèmes – qui dépassent le genre en ajoutant par exemple des mises en page nouvelles –, essais – où court sur plusieurs années l’épiage d’un seul mot –, travaux de biographe – sur des sujets où c’est davantage l’absence que la présence de l’auteur biographié qui sous-tend la démarche du poète – ou pages de dossiers non finies, journaux parfois détruits, donc un univers polygraphique d’importance.

Pour moi, ce qui compte davantage encore, c’est que l’on se trouve devant une littérature instable, où la sensibilité est telle qu’elle oblige à une attention plus grande, en partie à cause de cette impression d’un texte plein d’angles, de coins de toits ou de murs, d’arêtes comme celles de pierres votives, de points de fuite qui toujours rappellent que le poète voyage.

Œuvres I, Victor Segalen en la Pléiade (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 11 Février 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Œuvres I, Victor Segalen, NRF, Bibliothèque de La Pléiade, novembre 2020, 1232 pages, 62,50 €

 

Un art de l’approche

Je dois d’abord dire combien la lecture de l’œuvre de Segalen, en tout cas pour le présent du 1er tome que la bibliothèque de La Pléiade lui consacre, en cette édition savante qu’édite Christian Doumet, ouvre des perspectives sur la production textuelle du poète-voyageur, ainsi que sur l’intrigue si vivante et toujours mystérieuse du fonctionnement d’un créateur, et plus largement sur l’esprit créateur. Venant d’achever cette traversée qui suit le parcours chronologique des travaux de Segalen, depuis son Journal des Îles jusqu’aux Odes, dans un premier temps – provisoirement, bien sûr, car je compte poursuivre ma (re)découverte à travers le second tome – mon idée s’est étayée au fur et à mesure, pour buter en dernier lieu sur le texte majeur des Stèles, qui ferme presque le livre. J’ai donc vu nettement comment il devenait poète. À mes yeux, il s’est construit poète, un langage, une forme, une écriture, en allant plus loin à chaque texte, vers la création, création poétique personnelle tendue vers une silhouette, un contour, une architecture nouvelle et novatrice.

Dans les roues, Bruno Fern (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 08 Février 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Editions Louise Bottu

Dans les roues, novembre 2020, 66 pages, 8 € . Ecrivain(s): Bruno Fern Edition: Editions Louise Bottu

 

Possibles et impossibles de l’écriture

Ce qu’aborde ce court recueil de Bruno Fern, tient à une question centrale de la poétique contemporaine. Elle consiste à mettre en crise la représentation du réel. Ou plutôt, cherche à déterminer comment la réalité entre dans l’expression littéraire. Ainsi, une littérature qui pourrait se pencher vers une forme hermétique, qui même si elle n’abolit pas dans son ensemble les principes de certaines écoles, questionne ce qui lui fait son support matériel, cette littérature donc, cherche une place de la chose dite dans le dit, un dit sujet au soupçon dorénavant.

Pour le cas présent, ce texte s’appuie non pas sur une réalité, fût-elle celle d’une course cycliste, mais sur une déambulation au sein du langage lui-même, ce qui pousse l’activité de la bicyclette vers une simple ossature nerveuse. Désormais, avec le bris, l’à-coup, le choc de la coupure, une espèce de caviardage, des ruptures au milieu des strophes, nous allons dans la périphérie, le terrain vague, la banlieue de la littérature savante, là où la prosodie de l’auteur se refuse à la poétisation, à l’effet de discours.