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La Une CED

Étrangère, Brankica Radić (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 14 Novembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Pays de l'Est, Poésie

Étrangère, Brankica Radić, éditions L’Ollave, Domaine Croate/Poésie, septembre 2023, trad. croate, Vanda Mikšić, 60 pages, 16 €

 

 

Écriture claire

La partie la plus évidente du recueil de Brankica Radić tourne autour de la question du territoire, du pays, des pays, des voyages, des routes, des villes. Et cette poésie ne cesse de cerner un territoire sans territoire – une nation coupée du territoire de l’ex-Yougoslavie (en 1991, la Croatie ainsi que la Slovénie ont déclaré leur indépendance, devenant ainsi deux états souverains) –, dans une langue sèche et presque ascétique, une langue claire. L’on voit quand même où réside la poétesse au pays de la poésie pour combattre l’exil. Cette présence verbale de la langue maternelle souligne son étrangeté justement par la coalescence des voyages et des villes.

Mes anticorps, Jean-Pierre Otte (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 08 Novembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Mes anticorps, Jean-Pierre Otte, éditions Le Temps qu’il fait, octobre 2023, avant-propos de Manuel Schmitz, 168 pages, 20 €

La fortune sourit aux audacieux, et le hasard aux curieux. Audacieux, Otte l’est naturellement. « L’âme serait-elle le bénéfice immatériel de l’audace ? », demande-t-il benoîtement, et c’est oui pour lui : ses excès de confiance réussis sont son capital spirituel. L’audace part vérifier dangereusement ce qu’elle a pensé possible, et cet auteur est cela même : avide de dangers, osant avancer, et ne décidant du bien et du mal qu’à l’intérieur du courage, jamais avant.

« Curieux », le mot est faible. Jean-Pierre Otte pousse (explicitement) plus loin le fameux mot de Pasteur (« Le hasard favorise les esprits préparés ») en un : prépare-toi, et le hasard te voudra du bien. Ne savoir que ce qu’on ne veut pas ne requiert aucune curiosité, mais « savoir inventer ce qu’on veut » (p.66), si : c’est un virtuose, non seulement de l’art de deviner les arcanes, mais de celui de renaître. Il semble y avoir de l’arrogance à estimer que « celui qui n’est pas en train de naître est occupé à mourir » (p.66), mais l’esprit humain ne choisit pas de devoir assumer tous les mystères, puisqu’il est le premier d’entre eux. L’activisme spirituel nous est un devoir, car il y a « nécessité pour nous de prendre présence dans le présent » (p.127), nécessité vitale, invitation indéclinable.

Florbelle, Jacques Cauda (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 07 Novembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Florbelle, Jacques Cauda, éditions Tinbad, Coll. Roman, octobre 2023, 96 pages, 17 €

Trois raisons incitent Jacques Cauda à être ici plus que jamais Sadien : trois raisons reliées à trois lieux : Vincennes, Saint-Germain et l’Atelier de Cauda Paris XXe. Le livre de Sade que Jacques Cauda recrée ici, après que le fils irrévérencieux du marquis l’a jeté au feu et d’après les reliques de l’œuvre laissées par les notes, ne nous arrive ni n’est survenu par hasard dans la vie de l’auteur. On connaît en effet l’intérêt fidèle de Cauda pour Sade.

En outre, trois signes manifestent que ces deux-là, Sade & Cauda, n’auraient pas pu ne jamais se rencontrer malgré la distanciation chronologique. Premièrement, Cauda est né non loin du zoo de Vincennes où l’auteur des Cent Jours de Sodome et des Crimes de l’amour fut emprisonné en 1794, dans le donjon du château alors prison d’État. Deuxièmement, un même patronyme relie les deux hommes, celui de « Saint-Germain », nom natif de notre peintre contemporain surfiguratif et nom de la précieuse amie du marquis. Troisièmement, l’atelier du peintrécrivain Jacques Cauda « se situe à l’emplacement d’une ancienne propriété de la famille de Sade ». Trois signes donc : Vincennes, Saint-Germain et l’Atelier Cauda situé dans l’ex-village de Charonne si riche de faits historiques brûlants surtout durant la Commune.

Ainsi parlait James Joyce (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 06 Novembre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Ainsi parlait, James Joyce, éditions Arfuyen, septembre 2023, trad. anglais, Mathieu Jung, 192 pages, 14 €

 

Définir l’artiste

De manière très générale, j’ai retenu de cette suite de Dits et de maximes de vie de James Joyce une réflexion pertinente sur l’artiste – car je fais pour ce qui me concerne une différence entre « homme de lettres » et « artiste », aimant surtout chercher l’art dans la littérature. Et cette définition sur laquelle revient souvent Joyce, l’a visiblement hanté toute sa vie. Et cela, par un effort violent pour rendre son inquiétude profonde, au sujet de son étantité, de sa foi pour continuer à écrire dans l’opiniâtreté d’un découvreur de formes. Ainsi Joyce considère le texte comme une expérience. Expérience soutenue chapitre après chapitre, strophe après strophe, phrase après phrase, mot après mot, l’œuvre devant être supérieure à l’être ; et cette perfection est stupeur.

La poésie, même lorsqu’elle est apparemment la plus fantasque, est toujours une révolte contre l’artifice, une révolte, en un sens, contre ce qui est.

Ainsi parlait, Eugène Delacroix, Dits et maximes de vie choisis et présentés par Marie Alloy et Jean-Pierre Vidal (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 20 Octobre 2023. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Ainsi parlait, Eugène Delacroix, Dits et maximes de vie choisis et présentés par Marie Alloy et Jean-Pierre Vidal, Arfuyen, septembre 2023, 176 pages, 14 €

Delacroix était, comme le souligne la remarquable introduction, un homme nerveux et courtois, compensant une très maigre mémoire par une extraordinaire imagination, un homme auquel son état maladif rendait tout effort difficile mais dont la discipline de vie était le premier et infaillible appui (« Cette vie est trop facile. Il faut que je l’achète par un peu de cassement de tête »), un homme que son génie – qu’il cachait trop selon ses amis, et trop peu selon ses ennemis – exposait à tous les malentendus et à la « panhypocrisiade universelle » fr. 270 (il n’apprécie pas que Baudelaire le comprenne si bien ; mais il ne s’étonne pas que Chopin, dont il admire la musique, apprécie si peu sa peinture ; il plaint Hugo de se prendre pour Dieu, et Dieu pour Hugo – sur ce dernier point, comme l’écrivent plaisamment les deux auteurs de l’ouvrage, « Il a conclu un concordat avec la religion, il la respecte, mais elle ne gouvernera pas ses actes et sa vie »). En toutes choses, comme on va voir, il est à la fois (comme l’écrit son amie George Sand), un passéiste et « l’oseur par excellence ». Comme le résument en une éclairante formule (p.31) Marie Alloy et Jean-Pierre Vidal, « Delacroix veut accompagner les intermittences de l’être pour mieux les combattre ». Voyons un peu comment :