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Critiques

Paris-Berry Nouvelle Vague, Thomas Morales (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 09 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Paris-Berry Nouvelle Vague, La Thébaïde, juin 2020, 109 pages, 12 € . Ecrivain(s): Thomas Morales

 

« Le lecteur n’attend pas une leçon de morale vaseuse ou un tirage à la ligne fainéant. Il veut que les mots s’entrechoquent, que la phrase ne soit pas en salle de réanimation, que l’article suspende le temps, durant juste quelques minutes. C’est trop demander, j’en conviens, nous sommes à l’ère du formatage en cascade et des réciteurs subventionnés. Longtemps dans nos journaux, il y eut des feuilletonistes qui piquaient notre curiosité à vif, ils nous prenaient à rebours et nous aimions ça ».

Thomas Morales, grand lecteur de Vialatte, de Bernard Frank, de Jules Renard, s’est retiré le temps du confinement dans sa campagne berrichonne. Il s’est mis au vert, le temps d’écrire ce petit livre intempestif, au style affûté comme celui de Serge Blanco, que l’on surnommait le Pelé du rugby quand il portait le numéro 15 de l’équipe de France de Rugby. Et comme l’ancien joueur du Biarritz Olympique, il possède l’art de l’évidement, du contre-pied, l’art de s’intercaler, de prendre de la vitesse et de laisser ses adversaires perdre pied, devant sa vélocité lyrique.

Le Labérynthe, Mireille Huchon (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 09 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Le Labérynthe, Mireille Huchon, éd. Droz, décembre 2019, 300 pages, 22,80 €

Le petit milieu des spécialistes universitaires du XVIe siècle abrite la même proportion de génies, de crapules, de bons, de brutes, de justiciers, de traîtres et de saints que n’importe quelle autre communauté professionnelle. Il se livre aux mêmes activités que tous les universitaires du monde : enseigner (ou essayer de le faire), publier, organiser des colloques, chercher des financements, se chamailler par revues interposées. C’est également un milieu savant où (à l’instar des études grecques, par exemple), le temps des grandes découvertes est passé. La probabilité de découvrir un roman inconnu de Rabelais ou des essais inédits de Montaigne est virtuellement nulle. Exhumer ne serait-ce qu’un quatrain de Ronsard qui eût échappé aux investigations antérieures relève déjà de l’exploit.

Auteur de la remarquable édition de Rabelais dans La Bibliothèque de la Pléiade, Mireille Huchon a, voici quelques années, brisé un tabou – au sens anthropologique du mot – en affirmant que Louise Labé n’a pas existé (Louise Labé, Une créature de papier, Droz, 2006) ou, en tout cas, que si une nommée Louise Labé, qu’elle eût ou non été prostituée de luxe, a réellement parcouru les rues du vieux Lyon, elle n’est pas l’auteur du très mince recueil (662 vers) paru sous son nom en 1555.

L’absence intérieure, Thierry Pérémarti (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 09 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Gros Textes

L’absence intérieure, Thierry Pérémarti, 122 pages, 8 € Edition: Gros Textes

 

146 courts poèmes tricotent les pelotes du temps dans ce corpus de Thierry Pérémarti, L’absence intérieure, dont il nous est précisé à l’entrée du livre que « les huit premiers poèmes (…) furent initialement publiés dans la revue Décharge (n°170, juin 2016) », que le poème d’ouverture le fut « également dans la revue Ecrit(s) du Nord des Editions Henry (n°31-32, octobre 2017) et sur le blog du poézine Traction-Brabant (novembre 2017) ». Entre juillet 2015 et juin 2016, ces incises impressionnistes du quotidien se sont écrites, au fil du temps chaotique ou étale modulé selon les inconstances des états intérieurs creusés, parfois, jusqu’à attaquer l’absence. Comme nos navigations nous jettent parfois dans les errances du doute et nous voient à notre insu attaquer la falaise, ici ce qui était au départ « quiétude » attaque « l’absence intérieure » au courant de « l’entassement / des heures en marge », d’une « lumineuse pénombre », dans le « silence pesant » de « l’attente » tendue vers « le foudroiement des certitudes ». Quelque chose s’est rompu de l’éternité augurale de l’amour, « rosée première », qui laisse advenir l’ombre autour du « Je nous » initial

Les Marches de l’Amérique, Lance Weller (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 08 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Gallmeister

Les Marches de l’Amérique (American Marchlands), trad. américain, François Happe, 354 pages, 10,20 € . Ecrivain(s): Lance Weller Edition: Gallmeister

 

A la construction erratique et violente des frontières Sud-Ouest des États-Unis d’Amérique, les Marches (Marchlands) progressives de la conquête, fait écho dans ce livre magistral la marche (walk), tout aussi erratique et violente, de trois personnages qui tracent, à leur manière, les nouvelles frontières. Le roman de Lance Weller s’étend de 1815 à 1846, à peu près dans l’âge de vie de Tom Hawkins, Pigsmeat et Flora. Leur destin commun s’inscrit dans la toile de fond historique américaine. C’est, chez Weller, un mode de narration déjà utilisé dans Wilderness : tresser l’histoire individuelle et l’Histoire (dans Wilderness l’action se situait plus tard, après la Guerre de Sécession). A la manière des historiens de l’école des Annales, ce qui intéresse l’auteur – qui n’est pas historien mais romancier – ce sont les gens plus que les faits. On est loin du point de vue d’un Shelby Foote qui, dans Shiloh, se rapproche plus du travail historique pur. La marche des trois héros traverse et retraverse l’Histoire : les guerres indiennes, l’établissement des frontières avec le Mexique, le destin du Texas longtemps disputé. Mais c’est bien l’histoire, magnifique et terrible, de ces deux hommes maudits par le destin et de cette femme, superbe et forte, qui constitue la matière du roman.

Activer les possibles, Isabelle Stengers (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Mardi, 08 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Activer les possibles, Isabelle Stengers, Esperluète, Coll. Orbe, 2018, 144 pages, 12 €

 

Singulier singulière. Étonnement. Blanc.

Souffle. Sève. Deuil. Plaisir. Contrainte.

Résister. Retournement. Traduction.

Nommer. Tissu. Secret. Aspérité.

Perception. Fiction. Intriquer. Effet.

Ces mots, ce sont ceux que Frédérique Dolphijn a choisi de proposer à Isabelle Stengers pour Activer les possibles, un entretien paru aux éditions Esperluète dans la Collection Orbe, qu’elle dirige avec Anne Leloup et qui présente des rencontres dialoguées entre un écrivain, un artiste… et elle-même. L’objet de ces entrevues est le rapport de ces artisans à lecture et à l’écriture : ce que ces activités engagent, requièrent, accomplissent en, pour et par eux. Le modus operandi est le suivant : les mots retenus par Frédérique Dolphijn jouent le rôle de déclencheurs. L’invité les pioche à l’aveugle l’un après l’autre, et le propos se tisse au gré de leur succession hasardeuse.