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Critiques

La Constellation du Chien, Peter Heller (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 15 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Babel (Actes Sud)

Edition: Babel (Actes Sud)

 

Après la fin de toute chose. Il est étonnant que cette expression, toujours reprise dans la littérature dystopique, ne soit pas pointée comme un parfait paradoxe. La matière du roman même est la négation absolue de la Fin de toute chose, plus encore quand, sous la plume impeccable de Peter Heller, elle est pétrie d’humour et d’optimisme. C’est la fin assurément de toute chose connue – situation qui génère, au long des dystopies et en particulier de celle-ci, une nostalgie pénétrante, lancinante. Tout ce qui est perdu revient en assauts répétés et douloureux : les personnes aimées, les moments heureux, un ordre du monde plutôt harmonieux – au moins pour ceux qui avaient la chance de vivre dans des contrées favorisées – et même des objets, des livres, des médicaments, des véhicules.

Comme un dinosaure qui aurait survécu à la grande disparition, La Bête est là et miraculeusement fonctionne encore. Elle ronfle, gronde… et vole. C’est un vieil avion, un « Cessna 182 de 1956 », et Hig, le héros et narrateur du roman, parcourt à ses commandes le petit territoire qu’il a colonisé avec son acolyte Bruce Bangley, vieux bonhomme acariâtre.

Fille, Camille Laurens (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 15 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Fille, août 2020, 240 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Camille Laurens Edition: Gallimard

 

Camille Laurens et les mots

Le corps des femmes est souvent « dit » dans la littérature afin qu’il ne se voie pas ou mal. Il est issu de tous les archétypes divins que les hommes ont inventés de peur de n’être qu’un souffle provisoire, un courant d’air, de leur boîte crânienne aux orteils.

Camille Laurens se doit donc de jouer avec les signes qui « dopent » l’esprit « malin ». Son roman ouvre sur un espace de l’intime et de l’extime féminin, loin d’un grand guignol dont l’auteure dénonce les formes et tournures surannées d’un clafoutis anthropomorphique.

Elle a ainsi toujours un coup, un cran d’avance. Que demander de plus que cet envoûtement romanesque qui se définit d’emblée ainsi :

Cette maudite race humaine, Mark Twain (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Lundi, 14 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, USA, Babel (Actes Sud)

Cette maudite race humaine, mai 2020, trad. anglais (USA) Isis von Plato, Jörn Cambreleng, 80 pages, 5,80 € . Ecrivain(s): Mark Twain Edition: Babel (Actes Sud)

De la virulence dans l’écriture

En abordant un essai polémique, on s’attend à découvrir un opus radical, combatif, parfois violent dans ses propos, ou encore à suivre les sinuosités subtiles de l’ironie, ou bien à rencontrer un auteur qui s’adresse à nous, l’insulte à la bouche, un esprit brillant mais « vachard ». C’est comme si un virus entêté s’était introduit dans la littérature. On est loin d’une littérature tiède, fade et édulcorée, recherchant le consensus mou. Il y a un peu de tout cela en ouvrant le livre de Mark Twain, Cette maudite race humaine. On pense d’ailleurs à la grande tradition des polémistes et on a en tête des noms comme ceux de Bloy, Bernanos, Berl, tous des esprits qui ne s’en laissaient pas conter et aptes aux duels verbaux.

L’ouvrage de Mark Twain est modeste dans sa dimension, une soixantaine de pages, mais son intention est bien explicite, vu le titre ; l’auteur réprouve avec la plus grande force l’espèce humaine. Le livre comporte cinq essais (écrits à la fin de sa vie mais publiés d’une manière posthume) dont deux sont particulièrement intéressants, celui qui ouvre le recueil et celui qui le referme : Le monde a-t-il été fait pour l’homme ?, et L’animal inférieur.

Les après-midi d’hiver, Anna Zerbib (par Christelle Brocard)

, le Lundi, 14 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Les après-midi d’hiver, Anna Zerbib, mars 2020, 176 pages, 16,50 € Edition: Gallimard

 

Lorsque sa mère décède, la narratrice vit à Montréal avec son compagnon, Samuel. À cette perte s’arriment des sentiments de tristesse et de colère bien naturels et légitimes. Entre l’introspection et les souvenirs, la narration oscille entre l’évocation d’une femme souvent mélancolique et le constat d’une double absence : l’absence de la mère, bien sûr, mais aussi l’absence de la narratrice qui, endeuillée, se retrouve étrangère à elle-même et aux autres. C’est d’ailleurs principalement dans cette manière d’être au monde sans y être que la fille convoque la figure maternelle et analyse sa propre situation : « Je n’ai pas su quoi faire de tant d’absence ». Dès lors, elle s’engage sur le chemin long et éprouvant du deuil, suggéré par la métaphore du tunnel à traverser : « Je voudrais parler du tunnel, ce n’est pas ce que l’on croit […]. Ne pas laisser l’absence prendre toute la place, ne pas s’effacer dans la pâleur du manque. C’est au sujet de s’engouffrer là où l’on pense que ça ne passera pas ».

Ma Douleur, Mohamed Ghafir (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 11 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Récits, Histoire

Ma Douleur, Mohamed Ghafir, éd. Ressouvenances, 2019, 80 pages, 10 €

 

Journal de détention

Ma Douleur, livre au titre sobre, évoque l’arrestation de Mohamed Ghafir à Paris le 9 janvier 1958 par la DST. Cet Algérien né en 1934, qui ayant refusé d’effectuer son service militaire dans l’armée française, fut emprisonné plusieurs fois à Fresnes, à la Santé, à Châlons-sur-Marne et dans le camp de rétention du Larzac, en tant que responsable du FLN en France. Ce cahier de doléances, rédigé sous forme d’un journal, où sont reproduits deux fac-similés du manuscrit original, recoupe les « événements » d’Algérie par le biais d’un seul homme, et c’est cela qui est d’un grand intérêt. Les rendez-vous militants de Mohamed Ghafir sont inscrits avec précision. Les noms de famille des résistants sont systématiquement effacés et gommés du cahier, preuve de la grande honnêteté de l’homme, qui, par ailleurs, ne mange pas à sa faim. En plus de se trouver quotidiennement objet de brimades racistes, les Algériens étaient taxés d’« étrangers ». Les policiers, munis de règlements préfectoraux, usaient en toute impunité de la force afin d’entraver leur liberté de circuler, sous peine de « ratonnades ».