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Assurance sur la mort (Double Indemnity, 1937), James M. Cain (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 24 Septembre 2025. , dans USA, Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Roman, Gallmeister, En Vitrine

Assurance sur la mort (Double Indemnity, 1937), James M. Cain, éd. Gallmeister, 2017, trad. américain, Simon Baril, 157 pages, 8,60 € Edition: Gallmeister

 

Depuis quelques années, il est d’usage et de bon ton chez les experts en polars de chanter la louange des romans policiers qui « bousculent les codes » du genre. Effets de l’air du temps – on déconstruit à tour de bras – ou de la recherche de modernité à tout prix qui ont eu pour résultat de produire une profusion de polars déjantés, de plus ou moins bon goût, dont le seul objectif est visiblement de « bousculer les codes » justement.

Avec James Cain, on ne risque rien. C’est lui, avec quelques autres comme Chandler, Goodis, Hammett, entre autres, qui a établi ces codes, à notre grand bonheur. Assurance sur la mort est l’un des piliers de la grande littérature noire et, comme il se doit de celle-ci, du cinéma noir : Billy Wilder a signé en 1944 un film remarquable tiré du livre.

Donc, tous les codes y sont. Non seulement ceux du polar classique, mais ceux des polars écrits par James Cain. On retrouve en effet, deux ans avant le célébrissime Le Facteur sonne toujours deux fois, le triangle funeste du mari victime, de la femme et de l’amant meurtriers.

Nous serons tempête, Jesmyn Ward (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Mercredi, 10 Septembre 2025. , dans USA, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Belfond

Nous serons tempête, Jesmyn Ward, Traduit de l’anglais par Charles Recoursé, Belfond (21 août 2025), 240 pages, 22 euros Edition: Belfond

 

Les romans mettant en scènes esclaves africains et maîtres blancs dans les grandes plantations coloniales sont innombrables. Celui-ci tranche, rompt avec la tonalité générale des aventures romanesques du genre.

Annis, esclave dite « de maison », donc membre de la domesticité affectée aux travaux quotidiens de cuisine, d’entretien, de service, est la fille naturelle du maître et fruit du viol répété de sa mère elle-même esclave. Cette filiation ne lui confère aucun statut particulier. Elle fait partie des meubles, comme ses consœurs, comme sa mère qui n’a jamais été considérée par le maître autrement que comme pièce de valetaille tout juste bonne à servir ponctuellement d’objet sexuel et à exécuter sans relâche les tâches épuisantes qui lui sont dévolues.

« Ma mère m’a raconté le jour où mon maître l’a violentée. Comment il s’est planté devant elle, seule dans un des couloirs de l’étage, à la porte d’une pièce vide. Comment il l’a poussée dans cette pièce et l’a forcée à s’allonger sur le plancher ».

Un rêve américain (An American Dream, 1966), Norman Mailer (par Leon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 20 Août 2025. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Grasset

Un rêve américain (An American Dream, 1966), Norman Mailer, Cahiers Rouges Grasset, trad. américain, Pierre Alien, 336 pages, 10,40 € Edition: Grasset

 

Un rêve américain, sous la plume de Mailer, est évidemment un effroyable cauchemar. La violence du propos n’a d’égale que celle de l’écriture, conçue comme une lapidation avec des mots, une logorrhée brutale et morbide. Mailer érige dans ce roman un monument à la gloire de sa propre œuvre, faite de bruit et de fureur, mais il déploie aussi une machine de guerre contre son pays hypocrite qui masque sa violence originelle dans les oripeaux de la liberté et de la réussite. La lecture de cet ouvrage aujourd’hui résonne d’une puissante évocation prophétique de l’Amérique de Donald Trump, furieusement individualiste et libertarienne.

Rojack, le héros du roman, est l’incarnation de cette Amérique : Mailer crée un personnage ambivalent, intelligent et brutal, prototype des contradictions d’une Amérique écartelée entre son vernis de respectabilité et ses pulsions les plus sombres. Il navigue entre culpabilité et autojustification, baigne dans l’hypocrisie morale et l’obsession du pouvoir sous toutes ses formes.

Une merveilleuse arithmétique de la distance, Audre Lorde (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mercredi, 04 Juin 2025. , dans USA, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Audre Lorde, Une merveilleuse arithmétique de la distance (The Marvelous Arithmetics of Distance), trad. Noémie Grunenwald, Providence Garçon, 152 p., 2025, Bilingue, Gallimard, 26€

 

Entre adieu et lutte

 

Audre Lorde, née en 1934 à New York de parents immigrés de la Grenade, élève brillante, en dépit de difficultés familiales, obtint un diplôme en sciences de l’information et des bibliothèques. Après avoir exercé différents emplois, elle travailla comme bibliothécaire à la Town School de New York. Poétesse, son recueil Charbon, daté de 1976, lui apporta une reconnaissance plus large. Elle a écrit des essais féministes et queer, des romans, ainsi qu’un Journal du cancer. Elle est devenue une figure influente du Black Arts Movement et fut Poète lauréat de New York. Mariée deux fois, mère de famille, elle partagera la fin de sa vie avec Gloria Joseph. Elle a mis à profit son talent littéraire afin de lutter contre le racisme et pour les droits LGBTQ+. Comme nous le confie Fatou S., dans sa préface, « les écrits de Lorde, dont Sister Outsider, m’ont aidée (…) en tant que gouine, noire, malade ».

Le Portrait de Jennie, Robert Nathan (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mardi, 20 Mai 2025. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Joelle Losfeld

Le Portrait de Jennie, Robert Nathan, Editions Joëlle Losfeld, 2000, trad. anglais (USA) Germaine Delamain, 144 pages, 5,10 € Edition: Joelle Losfeld

 

Un passage de ce livre résume la quête, somme toute absolutiste, de son personnage principal : « N’existe-t-il peut-être qu’une seule âme entre toutes – entre toutes celles qui ont vécu, à travers les nouvelles générations, d’un bout du monde à l’autre – et qui doit nous aimer ou mourir ? Que nous devons aimer à notre tour, que nous devons espérer toute notre vie, aveuglément, avec nostalgie, jusqu’à la fin » (p.92).

Eben Adams est un peintre de vingt-huit ans, qui vit dans un profond dénuement. Nous sommes en 1938 : New York est une ville qui résiste durement au talent d’Eben. Celui-ci ne parvient pas à vendre les toiles qu’il compose et il s’interroge, les déceptions répétées le plongeant dans un très grand désarroi. La « faim » qu’il a de s’accomplir est, cependant, plus dévorante que la faim du corps elle-même ou que le froid. Un soir de cet hiver-là, revenant d’une journée à nouveau stérile, il erre dans ce qu’il appelle « le Mail », tout à fait déserté :