Assurance sur la mort (Double Indemnity, 1937), James M. Cain (par Léon-Marc Levy)
Assurance sur la mort (Double Indemnity, 1937), James M. Cain, éd. Gallmeister, 2017, trad. américain, Simon Baril, 157 pages, 8,60 €
Edition: Gallmeister
Depuis quelques années, il est d’usage et de bon ton chez les experts en polars de chanter la louange des romans policiers qui « bousculent les codes » du genre. Effets de l’air du temps – on déconstruit à tour de bras – ou de la recherche de modernité à tout prix qui ont eu pour résultat de produire une profusion de polars déjantés, de plus ou moins bon goût, dont le seul objectif est visiblement de « bousculer les codes » justement.
Avec James Cain, on ne risque rien. C’est lui, avec quelques autres comme Chandler, Goodis, Hammett, entre autres, qui a établi ces codes, à notre grand bonheur. Assurance sur la mort est l’un des piliers de la grande littérature noire et, comme il se doit de celle-ci, du cinéma noir : Billy Wilder a signé en 1944 un film remarquable tiré du livre.
Donc, tous les codes y sont. Non seulement ceux du polar classique, mais ceux des polars écrits par James Cain. On retrouve en effet, deux ans avant le célébrissime Le Facteur sonne toujours deux fois, le triangle funeste du mari victime, de la femme et de l’amant meurtriers.
Cain pose là les figures fondatrices du roman noir et va compléter ces fondations par une galerie de personnages que l’on retrouvera non seulement dans ses autres romans mais aussi dans ceux des autres monstres du polar. Il emprunte ainsi à Raymond Chandler, à Dashiell Hammett, mais il prête aussi à David Goodis et à tant d’autres, dans une sorte de farandole de personnages intertextuels qui sont devenus les modèles indépassables du genre.
Et en tête de farandole, bien sûr, l’incontournable femme fatale, celle qui va hanter le roman noir à jamais. Elle est blonde, elle est belle, sensuelle, cynique jusqu’à la cruauté, manipulatrice comme le Diable. En fait, elle est le Diable incarné puisqu’elle est mensonge, ruse, Mal. Comme Satan, elle use de la séduction pour précipiter ses proies dans l’horreur. La misogynie qui irrigue les romans noirs du milieu du XXe siècle est… biblique, elle est directement héritée de la fable du péché originel.
L’amant est aussi destiné à devenir un stéréotype du polar : dégourdi, sûr de lui, il se parle à lui-même comme Philip Marlowe ou Sam Spade, dans des termes toujours laudatifs, « J’avais tout prévu », « ça aussi je l’attendais », « je l’ai roulé dans la farine »… Il est profondément misogyne – époque oblige – là encore comme tous les grands détectives du roman noir.
Ça mettait en lumière un drôle d’aspect de la nature humaine, et surtout de la nature féminine.
Tous les autres personnages sont des figures du Destin qui scellent le narratif tragique. Le jeune assureur qui se croit malin mais ne l’est pas, la jeune fille délurée et amorale, le mari pataud et stupide…
La grande force et l’originalité de ce roman, et de l’art de James Cain, tiennent dans la structure narrative et le minimalisme de l’écriture. Le plan machiavélique imaginé par l’amant – expert des méandres procéduraux des assurances – est une véritable mécanique, à la fois complexe et limpide. On trouve là les sources du polar moderne, la précision d’une Patricia Highsmith par exemple. L’ingéniosité millimétrée du meurtre est fascinante et elle est portée par l’écriture sèche de Cain, neutre comme un constat d’événement. Tout est analysé, projeté, prévu. Même l’imprévisible.
Il reste bien sûr l’imprévisible de l’imprévisible, le grain de sable qui grippe la machine et précipite les personnages dans une descente aux Enfers digne des tragédies antiques.
Un roman noir exemplaire, teinté de tragédie et porté par les syntagmes éternels du genre. Un joyau.
Léon-Marc Levy
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