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Roman

Tout ce qui brûle, Lisa Harding (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 13 Mai 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Joelle Losfeld

Tout ce qui brûle, mars 2022, trad. Irlandais, Christel Gaillard-Paris, 331 pages, 22 € . Ecrivain(s): Lisa Harding Edition: Joelle Losfeld

Tout ce qui brûle est le roman d’un personnage féminin en combustion dans le contexte volontairement flou d’une Irlande moralisatrice, socialement conservatrice et structurellement patriarcale.

Sonya, après des débuts prometteurs sous les feux des projecteurs dans une carrière de comédienne interrompue dans des circonstances qui ne sont pas communiquées de façon précise, vit seule avec ses deux « garçons » : son fils, Tommy, à qui elle voue un amour fusionnel, âgé d’un peu plus de quatre ans quand commence le récit, et le chien Herbie, qui est, de jour comme de nuit, compagnon de toutes les activités (jeux, promenades, sieste, repas, télévision). Mais Sonya est alcoolique. Son comportement de plus en plus anticonformiste, antisocial, épié par une voisine « qui lui veut du bien », ouvertement réprouvé par les bien-pensants du village, finit, estiment les quelques témoins de ses transes éthyliques, par mettre en danger tant sa propre vie que celles de son fils et de leur compagnon canin. Sur intervention de son père, avec qui elle a peu de contact mais qui semble la faire perpétuellement surveiller, Sonya est placée dans une institution religieuse spécialisée dans la désintoxication, et Tommy et Herbie sont envoyés séparément dans des lieux d’accueil dont on refuse de dévoiler la localisation à l’actrice privée momentanément, à son profond désespoir, de ses droits parentaux et de sa liberté de mouvements.

Les Saisons et les jours, Caroline Miller (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 11 Mai 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Belfond

Les Saisons et les jours, Caroline Miller, mars 2022, trad. de l’anglais (USA) Michèle Valencia, 437 pages, 14 € Edition: Belfond

Paru un an avant Autant en emporte le vent, Les Saisons et les jours (1933) avait une réputation à tout le moins flatteuse, mais souffrait d’une singulière absence en librairie : un roman dont on entendait parler bien plus qu’on ne le lisait, malgré son succès colossal aux Etats-Unis durant plus de trente ans – puis un oubli lié probablement à l’arbre qui cachait la forêt : Autant en emporte le vent. L’ironie de la chose est que Margaret Mitchell fut découverte suite au succès du roman de Caroline Miller, qui reçut en 1934 le Prix Pulitzer : le roman du Sud des Etats-Unis, ce Sud perdant de la guerre de Sécession, c’est elle qui l’a inventé (ou presque), elle qui naquit en Géorgie et mourut en Caroline du Nord.

Ces lieux se retrouvent dans Les Saisons et les jours, mais inversés : la famille de Cean Carver est partie de Caroline pour arriver en Géorgie avant sa naissance, et sa mère qui « était née dans les collines rouges […] ne s’habituait pas aux bancs de sable, aux plaines boisées, immenses et solitaires, chichement ombragées par des pins aux longues aiguilles, qui soupiraient sans cesse, gémissaient par temps orageux et que les forts vents d’automne déracinaient et laissaient se dessécher au fil des saisons ».

Les braves gens ne courent pas les rues (A Good Man Is Hard to Find), Flannery O'Connor (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 10 Mai 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Nouvelles, Folio (Gallimard)

Les braves gens ne courent pas les rues (A Good Man Is Hard to Find, 1953), trad. américain, Henri Morisset, 231 pages, 8,60 € . Ecrivain(s): Flannery O'Connor Edition: Folio (Gallimard)

La signature de Flannery O’Connor est reconnaissable entre toutes : dans un style proche de la langue des paysans du Sud, dans des situations qui frisent le burlesque, avec des personnages éminemment drôles, elle nous raconte des histoires terribles, proches de l’épouvante parfois. Comment lire le massacre d’une famille entière – de la grand-mère aux jeunes enfants – par des psychopathes sanglants, tout en ne cessant de rire ou sourire ? Eh bien en lisant la première nouvelle de ce recueil, éponyme du recueil, Les braves gens ne courent pas les rues. Le burlesque macabre accompagne toute l’œuvre de O’Connor, comme il accompagne les profonds de la culture sudiste, faite de haine et d’amour dont on ne sait quoi de l’un ou de l’autre est le pire. Faite aussi d’un rapport débile et violent à Dieu, à la religion, dans lequel les cœurs se perdent sans trop savoir où est le bien, où est le mal. Ajoutez à cela les freaks, inévitables dans les pratiques consanguines et incestueuses largement répandues dans le Delta et ses environs : corps malingres, difformes, esprits idiots, égarés, et vous aurez le tableau complet qui fait fond à ces nouvelles. Une mise en scène d’un Sud miséreux, vaincu, perdu.

Carnets secrets du Boischaut, Catherine Dutigny (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 05 Mai 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions Maurice Nadeau

Carnets secrets du Boischaut, mai 2022, 275 pages, 19 € . Ecrivain(s): Catherine Dutigny Edition: Editions Maurice Nadeau

 

 

Sur un village rural ordinaire du Berry profond plane dans les années cinquante la menace diffuse et permanente de la révélation d’une vérité fort dérangeante pour les uns ou les autres du rôle qu’aurait joué un membre de la communauté villageoise quant à la dénonciation calomnieuse de collaboration avec les Allemands, au moment de l’épuration, du mari de Marthe, la propriétaire d’une exploitation agricole dont les terres sont avidement convoitées par certains de ses voisins. Ledit époux, dont l’innocence ne sera reconnue qu’après qu’il aura été fusillé, avait le tort, pour nombre de villageois, d’être Alsacien, donc étranger à la région, marqué comme proche des Teutons par son fort accent germanique, et d’avoir marié, à la place d’Untel qui ne l’aura pas digéré, la belle et riche Marthe.

La déchéance d’un homme, Osamu Dazai (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 03 Mai 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard, Japon

La déchéance d’un homme (1948), Dazai Osamu, Ed. Gallimard/Unesco, 1990, trad. japonais, Georges Renondeau, 159 pages, 10,50 €

 

Le malaise permanent qui sourd de cette lecture est propre à la littérature quand elle touche aux fondements du monde des hommes. Le héros ne ressemble à personne, ou presque, frôlant de près l’exclusion du genre humain. Il fonde son être sur une dissociation radicale de son désespoir intérieur et de sa jubilation extérieure, qui fait de lui, selon ses propres mots, « un bouffon désespéré ». Il est drôle, il amuse sa famille, ses amis, ses condisciples, et il nourrit un désespoir suicidaire permanent, quoi qu’il arrive d’événements heureux ou malheureux.

Quand on comprend que ce personnage est évidemment Osamu lui-même, on est saisi d’effroi tant la vie de cet auteur – condensée et déplacée dans ce roman – comporte de faits terribles et de désastres. On ne peut parler de ce roman sans s’imprégner de la biographie d’Osamu.

Obsédé dès l’âge de 18 ans par l’idée de suicide, il fait en 1930 une tentative par noyade sur le lac de Nakamura, en compagnie de sa jeune amoureuse. Il survit. Elle meurt.