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Roman

Sergent Getúlio, João Ubaldo Ribeiro (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 08 Février 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Gallimard

Sergent Getúlio (Sargento Getúlio, 1971), João Ubaldo Ribeiro, trad. portugais (Brésil) Alice Raillard, 181 pages, 7,50 € Edition: Gallimard

 

Dans les traces glorieuses de João Guimarães Rosa (Diadorim) et de Juan Rulfo (Le Llano en flammes), ce roman magistral nous emmène sur les pistes sèches et poussiéreuses du Sertão brésilien et les sentes verdoyantes du Sergipe et nous invite, comme ses illustres prédécesseurs, à partager la noirceur, la violence et le désespoir de la vie des damnés de cette terre. João Ubaldo Ribeiro élève un chant funèbre, une mélopée sombre entonnée par un narrateur unique, dont le flux de conscience constitue la totalité du roman. L’écriture de Ribeiro agit comme une mithridatisation sur le lecteur, comme un poison injecté par doses infimes et qui provoque une accoutumance totale. Plus le roman avance, plus le style et la musique particulière de Ribeiro prend son ampleur, sa puissance, sa force de pénétration.

Si l’on pense en premier lieu aux maîtres sud-américains cités, le flot ouvert par le sergent Getúlio, évoquant pêle-mêle souvenirs personnels, événements politiques et historiques brésiliens, considérations personnelles sur la vie, la mort, les hommes, Dieu et le Diable, nous rappelle aussi le chemin terrible de Méridien de sang de Cormac McCarthy.

Mémoires d’un aventurier juif, Du Shtetl de Lituanie au Soudan du Mahdi, Getzel Sélikovitch (par Paul Rodrigue)

Ecrit par Paul Rodrigue , le Jeudi, 03 Février 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Mémoires d’un aventurier juif, Éditions de l’Eclat, trad. yiddish Paul B. Fenton, 309 pages, 29 €

Un Juif francophone d’origine lituanienne écrivait-il en yiddish ses Sept Piliers de la Sagesse en même temps que Lawrence d’Arabie ? Les mémoires de Getzel Sélikovitch n’ont pas la dimension des autres grands récits du genre. De forme plus modeste, ils ont pour but, selon leur auteur, « d’enrichir la littérature juive de la fin du XIXe siècle en apportant des éclaircissements sur des aspects de la science du judaïsme et des événements historiques » (1). Ces mémoires survolent et dépeignent, de 1879 à 1885, diverses sociétés d’Europe, d’Afrique du Nord et du Levant, avec, toutefois, un regard, sinon unique, du moins singulier.

Un Sorbonnard, tout compte fait, fraîchement sorti du shtetl, se passionne de mythologie égyptienne. À Paris, il est aussi courtisan de cercles prestigieux : Ernest Renan, le baron Joseph Günzburg, Eliezer Ben-Yehuda, le baron Maurice de Hirsch. Des études parisiennes au journalisme hébraïque, il part enquêter à Londres, puis il devient interprète d’arabe pour l’armée britannique et s’engage en Égypte pour participer à la répression des forces rebelles soudanaises. Il combat aux côtés des Anglais quand Osman Dhiqna, principal général du Mahdi Muhammad Ahmed, chef des troupes insurgées, attaque son camp.

Le Cauchemar, Hans Fallada (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 02 Février 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande, Folio (Gallimard)

Le Cauchemar, Folio, octobre 2021, trad. allemand, Laurence Courtois, 336 pages, 8,60 € . Ecrivain(s): Hans Fallada Edition: Folio (Gallimard)

 

Der Alpdruck (1947), en allemand signifie le cauchemar, mais aussi le mauvais rêve, celui dont on s’éveille en priant qu’il n’ait été qu’un moment d’égarement du cerveau, celui qui laisse en sueur et qui parfois incite à se lever, sortir de la chambre, traverser le couloir ou monter une volée de marches, et ouvrir discrètement la porte de la chambre où dorment des enfants qui ignorent tout de l’angoisse ressentie au cœur de la nuit. On prie. Et on referme, apaisé, la porte, puis on retourne au lit. Malheureusement pour l’Allemagne, malheureusement pour les Allemands montrés avec humanité dans le roman Seul dans Berlin (1947), dont Primo Levi disait qu’il était « l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie », l’Allemagne d’après le « Renversement », celui initié par la défaite cinglante devant Stalingrad en 1942, n’est pas celle du réveil après un cauchemar : c’est celle du cauchemar continué.

La Neige noire, Paul Lynch (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 01 Février 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Le Livre de Poche

La Neige noire (The Black Snow, 2014), trad. anglais (Irlande) Marina Boraso, 306 pages, 7,10 € . Ecrivain(s): Paul Lynch Edition: Le Livre de Poche

L’Irlande de Paul Lynch est noire. Plus que noire, elle est trou noir, qui avale êtres et choses, vies et destins.

Il est revenu d’Amérique, avec sa femme américaine. Il rêvait du pays, quitté par pauvreté pour se faire un petit capital. Perché sur les poutres des gratte-ciel new yorkais, comme un funambule, il n’a jamais cessé de penser à la terre natale et à son retour. Il est revenu en Terre Promise et sa femme lui a donné un garçon. Le bonheur édénique enfin gagné.

Lynch raconte alors la chute – celle qui n’a pas eu lieu dans le ciel de New York où Barnabas Kane dansait sans peur sur les poutrelles et les structures métalliques des chantiers, celles où les ouvriers « se déplaçaient aussi sûrement que des mouettes ». Une chute sans rémission, dans laquelle la fatalité prend toute la place, inéluctable comme un noir destin. Le roman est entièrement construit autour de cette chute – mètre après mètre, chapitre après chapitre, s’égrenant comme les minutes d’une horloge infernale que rien ni personne ne peut arrêter. Chaque étape semble élargir l’enfer, abîmer les trois personnages de la famille Kane, les détruire, leur enlever peu à peu la raison et l’humanité. Même la nature autour de la ferme familiale se fait de plus en plus hostile, tempétueuse, froide et sombre.

Le médecin d’Avignon, Isabelle Pouchin (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 31 Janvier 2022. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres

Le médecin d’Avignon, Isabelle Pouchin, éd. Gaspard Nocturne, mars 2021, 180 pages, 19 €

 

Le voyage d’Hugues Rivehaute, le « médecin d’Avignon », nous emmène en 1349 (et un peu au-delà), dans une France que la peste ravage, où les morts s’accumulent comme autant de corps indifférenciés, où l’atmosphère putride et le désespoir ont achevé de désarmer le personnage principal. « Vous n’en avez pas guéri un, pas un seul » (p.12). Abandonnant son engagement de médecin et son collègue Guy de Chauliac, Hugues a pour seul but de gagner le nord : « un homme failli ne manque à personne » (p.5). L’itinérance qui se fait alors par les pas se fait aussi par les pensées et les rêves : l’on découvre la rudesse des épreuves passées, telle que la perte de sa femme et de ses enfants qu’il a été incapable de sauver. Cependant, son chemin le conduit à rencontrer la bonté exceptionnelle d’une vieille femme isolée, Jeanne, qui après plusieurs semaines parviendra à le remettre sur pied ; un compagnon qui ne le lâchera plus, le chien Pelote ; la beauté ineffable de la nature et son découlement perpétuel ; ses bêtes qui semblent observer ironiquement le spectacle dramatique des hommes, victimes esseulées d’un fléau horrifiant.