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Roman

La Tencin, Femme immorale du 18e siècle, Claire Tencin (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 05 Janvier 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

La Tencin, Femme immorale du 18e siècle, Ardemment éditions, novembre 2020, 209 pages, 14 € . Ecrivain(s): Claire Tencin

 

« C’est à son nez que j’ai vu sa capacité à distinguer le vrai du faux. Ce flair qui distingue les fortes personnalités des plus faibles. La capacité à sentir d’instinct à qui on a affaire ».

« Il se dégage de son regard volatil l’enthousiasme d’un esprit agité et l’appétit d’un être que l’on a affamé de nourritures terrestres ».

Pour raconter la vie virevoltante de Claudine Alexandrine de Tencin, il faut se doter d’un style qu’il l’est tout autant. Pour se glisser dans la peau et les mots de La Tensin, il ne faut pas douter des forces de l’admiration. Premier acte de cette admiration : son identité, Claire Tencin s’est approprié le nom de cette salonnière de haute voltige, volé dans la tombe de l’Histoire où on t’a enfermée arbitrairement comme ton père t’avait enfermée. Nous sommes dans le cœur tremblant du XVIIIe, corps à cœur, où dans les lits et les salons se nouent intrigues, et jeux de pouvoir, la peau s’accorde au verbe, et Alexandrine de Tencin en fait ses Académies. Alexandrine de Tencin y noue des amours, et des amitiés, elle se lie, sans jamais y perdre sa liberté de mouvement, de verbe et de corps.

L’Ivresse de l’eau, Charles Duttine (par Fawaz Hussain)

Ecrit par Fawaz Hussain , le Mercredi, 05 Janvier 2022. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Editions Douro

L’Ivresse de l’eau, Charles Duttine, éditions Douro, novembre 2021, 112 pages, 18 €

 

Un maître-nageur, drôlement féru de mythologie grecque et de philosophie, promène autour de lui un regard inquisiteur et suspicieux. D’emblée, avec son recours constant aux « nous » et aux « notre », il sollicite le lecteur, dont il se gagne la complicité. À la piscine où il travaille, il ne dissimule rien de son envie de se jeter à l’eau et d’entamer une narration enchaînant des histoires qu’il souhaiterait étranges, surprenantes et mystérieuses. « Avant tous les épisodes étranges que j’ai pu vivre et que je vais tâcher de consigner ici, la piscine municipale était un endroit des plus agréables ».

D’emblée, il fait étalage de ses réflexions bachelardiennes et nous prévient que les eaux sont loin de n’enfanter que de la rêverie poético-romantique. Des dangers peuvent la peupler et, alors, « il faut […] se méfier de leur violence secrète et cachée, ce dont on n’a pas idée ». D’ailleurs, il ne trouve pas anodin qu’on ait donné le nom d’Edgar Poe à la piscine municipale où il est souvent d’astreinte : « …au plus profond de moi, j’avais un vague pressentiment que cette appellation d’un écrivain maudit apporterait, un jour ou l’autre, quelques troubles, et je ne me trompais pas ».

Moi, le Suprême, Augusto Roa Bastos (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 04 Janvier 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine

Moi, le Suprême (Yo el Supremo, 1974), Augusto Roa Bastos, Editions Ypsilon, Nouvelle édition, février 2020, trad. espagnol (Paraguay) Antoine Berman, 514 pages, 25 € . Ecrivain(s): Augusto Roa Bastos

 

Les futurs lecteurs de ce monument littéraire doivent être avertis qu’il s’agit d’un déluge de grêle, dense, violent, asphyxiant. L’écriture en phrases très courtes qui dessine le roman tout du long ne laisse aucun répit, aucune respiration. Augusto Roa Bastos/José Gaspar de Francia – le Suprême – éructe, vilipende, harangue, injurie, met au défi, admoneste, houspille, pérore, prêche. Il envoie aux gémonies les scribouillards, les courtisans, les chapons et les frelampiers. L’histoire du Paraguay – dont il est un acteur essentiel –, les arcanes du pouvoir, la puissance de la littérature forment la matière de ce livre somptueux, nécessaire.

Moi, le Suprême est l’un des textes majeurs de la littérature latino-américaine. C’est le flux de mémoire et de conscience de José Gaspar Rodríguez de Francia, auto-proclamé « Suprême », mais pas seulement. Il s’agit, a écrit Carlos Fuentes, du dialogue entre Roa Bastos et Roa Bastos, à travers l’histoire et à travers une figure historique monstrueuse que le romancier doit imaginer et comprendre pour pouvoir un jour s’imaginer et se comprendre lui-même ainsi que son pays.

Si tu vas à Marrakech, Mustapha Nadi (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 16 Décembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, L'Harmattan

Si tu vas à Marrakech, mai 2021, 105 pages, 13 € . Ecrivain(s): Mustapha Nadi Edition: L'Harmattan

 

« Si tu vas à Marrakech, n’oublie pas l’envers du décor ! », prévient l’auteur.

Mustapha Nadi, né dans la cité impériale du sud marocain, vivant en Lorraine, dévoile la vision qu’il a de sa ville natale, dont il découvre et redécouvre, à chacun des séjours qu’il y effectue, les faces cachées, occultées derrière l’écran du panorama de carte postale qu’en fabriquent les faiseurs de documentaires destinés aux hordes de touristes qui aspirent à y débarquer en quête d’un exotisme devenu là parfaitement artificiel.

« Comme une cicatrice qui ravive son origine, une blessure. Naître à Marrakech et vivre en Lorraine. […] Bien des années plus tard, un lien irrationnel […]. Une sorte de cordon subliminal ».

Dans une double tonalité, l’une, diffuse, de nostalgie des origines et des scènes révolues d’un quotidien paisiblement affairé, l’autre, expressivement sensible à fleur de phrase, d’anxiété face au présent et à l’avenir, en seize courts récits, Nadi aborde un par un chacun des éléments d’un décor dont il présente alternativement la face visible et le revers.

Un jour, Maurice Genevoix (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 14 Décembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Plon

Un jour, Maurice Genevoix, Plon, septembre 2021, 208 pages, 19 €

 

 

En 1976, Maurice Genevoix est âgé de quatre-vingt-six ans et publie un bref et intensément paisible roman, Un jour. Que ce roman soit une somme, une synthèse ou un testament importe peu, ce ne sont que des étiquettes. À vrai dire, malgré les références faites à la propre œuvre et à la propre biographie de l’auteur, ce roman peut (doit ?) être lu comme un récit indépendant de toute littérature, de toute histoire littéraire, de toute considération universitaire – un peu comme l’œuvre de Genevoix, qui se méfiait voire se gaussait des théories littéraires ou psychanalytiques, surtout appliquées à ses livres. Juste, mais c’est suffisant pour l’âme, une déambulation entre amis silencieux malgré les mots prononcés, un de ces moments rares de proximité absolue avec l’Autre – qui est peut-être au fond soi-même, on y reviendra.