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Roman

La Cathédrale des noirs, Marcial Gala (par Cathy Garcia)

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 13 Décembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres

La Cathédrale des noirs, Marcial Gala, Belleville éditions, octobre 2021, trad. espagnol (Cuba) Maïra Muchnik, 240 pages, 19 €

 

« SI T’ATTERRIS ICI, C’EST POUR LA VIE, quelqu’un l’avait écrit sur le mur d’une maison, et c’est vrai que le quartier était chaud, vraiment chaud »

 

D’une construction fort originale, La Cathédrale des noirs, avec ses airs de simplicité et son humour caustique de quartier populaire, se bâtit sur une succession de témoignages qui dessine de plus en plus clairement une réalité trash et sanglante. Nous sommes à Cienfuegos, la « perle de Cuba », sa fameuse baie et ses plages adulées par le touriste, mais dans La Cathédrale des noirs, nous ne verrons pas la plage, juste quelques virées au quartier blanc de Punta Gorda pour y vendre de la viande et quelle viande !

Les faits qui sont au cœur de ce roman se déroulent à Punta Gotica, quartier pauvre, quartier noir, avenir barré, vilaines combines, drogue, alcool, sorcellerie, putes et criminalité. Punta Gotica est un quartier où on pisse sur la tête de l’ennemi vaincu.

La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, Philippe Rey (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 08 Décembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Philippe Rey

La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, août 2021, 448 pages, 22 € Edition: Philippe Rey

 

« On ne rencontre pas Elimane. Il vous apparaît. Il vous traverse. Il vous glace les os et vous brûle la peau. C’est une illusion vivante ».

« Mais, par-dessus tout, ce qui m’avait lié à lui était la même foi désespérée qu’on plaçait dans l’entéléchie de la vie qu’incarnait pour nous la littérature. Nous ne pensions pas du tout qu’elle sauverait le monde ; nous pensions en revanche qu’elle était le seul moyen de ne pas s’en sauver ».

On ne rencontre pas un roman d’une telle intensité, d’une telle force, d’une telle tenue, d’une telle originalité, il vous apparaît. Les grands romans sont des apparitions qui fondent, et troublent l’Histoire de l’art romanesque, comme ils troublent des générations de lecteurs. La plus secrète mémoire des hommes vous traverse, comme vous traverse un roman fondateur, saisissant, vibrant, qui vous comble à le lire, et que vous reprenez, pour à nouveau vous en nourrir, comme l’on se nourrit d’une nourriture céleste, que vous l’ouvrez à nouveau, pour y glisser votre regard attentif entre deux lignes et trois phrases, qui restaient suspendues dans votre mémoire.

S’adapter, Clara Dupont-Monod, Stock (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 08 Décembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Stock

S’adapter, août 2021, 171 pages, 18,50 € . Ecrivain(s): Clara Dupont-Monod Edition: Stock

 

Il a dix ans quand il s’éteint, comme la flamme vacillante d’une bougie. L’enfant entend et sent, mais ne voit pas, ne manifeste pas. Son corps se développe, pas son esprit, reclus, muré. Un petit filet de voix, de son, s’échappe de lui pour dire son bien-être, ou son inconfort, pas sa joie, ni son déplaisir. Ce ne sont pas des sentiments mais une modulation, comme celle d’une rivière, sur le fil.

Mais cet enfant « inadapté », qui ne convient pas à la vie, va cependant faire enfler autour de lui, révéler et réveiller ce qui se tapit, se cache en profondeur en chacun des membres de sa famille : ils sont cinq avec lui, ils seront cinq après lui, quand la mère donnera naissance, pour réparer la place de l’enfant mort, à un frère empreint de lui.

Cet enfant fragile, désarticulé tel un pantin, non fini, prend pourtant, pour chacun de ceux qui l’entourent, à sa manière, une place prépondérante.

L’Imposture & La Joie, Georges Bernanos, Points/Seuil (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 08 Décembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Points

L’Imposture & La Joie, Georges Bernanos, Points/Seuil, septembre 2021, 312 et 288 pages, 7,60 € chaque volume

 

 

On a parfois l’impression, tant l’œuvre romanesque de Georges Bernanos est majestueuse (même si elle semble moins lue aujourd’hui que son œuvre d’essayiste et de polémiste), qu’elle est pléthore – il n’en est rien, elle consiste en neuf romans publiés de son vivant, pas un de plus, le premier, Madame Dargent, étant un coup d’essai publié alors en revue et aujourd’hui disponible uniquement en la Pléiade, à juste titre. D’un autre côté, cette œuvre romanesque, dès Sous le soleil de Satan (1926), est marquée au coin d’une immense maturité réflexive, d’un regard à la fois profond et féroce porté sur la foi et sa place dans le monde moderne – il est vrai que Bernanos est alors âgé de trente-huit ans, ce n’est pas un jeune homme qui s’essaie à penser le monde le temps d’une fiction – c’est un homme mûr qui met en fiction la complexité de sa pensée.

Le pouvoir du chien (The Power of the Dog, 1967) Thomas Savage, Gallmeister (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 07 Décembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Gallmeister

Le pouvoir du chien (The Power of the Dog, 1967) Traduit de l’américain par Laura Derajinski. 284 p. 9,90 € . Ecrivain(s): Thomas Savage Edition: Gallmeister

Roman dérangeant, au sens le plus radical qui soit : qui brise le rang, surtout celui des romans trop souvent convenus des années 60 qui égrènent révoltes, Vietnam, musique et folklore (le roman de Savage date de 1967). La noirceur du propos, la noirceur des âmes, nous rapprocheraient plutôt des grands sudistes, Faulkner en tête, dont nous retrouvons en ombre les grandes familles terriennes décadentes, les personnages cyniques et désespérés. On pense aussi irrésistiblement à Cormac McCarthy et la noirceur, la cruauté de ses personnages. Et pourtant Savage est plus proche par son enfance du Montana, où se tient ce terrible roman. Un personnage en particulier semble droit sorti des figures de l’enfer et qui pourrait être l’un des Snopes de Faulkner, Phil Burbank, cow-boy quadragénaire qui gère, d’une main de fer, avec son frère George, le grand ranch hérité des parents.

Univers d’hommes, d’éleveurs de bétail, rudes, taiseux, le ranch semble fonctionner comme un grand mécanisme dont les rapports interpersonnels sont absents, comme une addition hiérarchisée des solitudes des gens qui viennent travailler un temps, puis s’en vont, remplacés par d’autres, anonymes.