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Le syndrome de l’accent étranger, Mariam Sheik Fareed (Par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 19.08.22 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, J'ai lu (Flammarion)

Le syndrome de l’accent étranger, Mariam Sheik Fareed, mars 2022, 280 pages, 7,40 €

Edition: J'ai lu (Flammarion)

Le syndrome de l’accent étranger, Mariam Sheik Fareed (Par Patryck Froissart)

 

Alexandre oublie un soir dans le métro parisien une sacoche contenant son ordinateur, lequel recèle, outre divers éléments personnels, le début d’un roman dont il a suspendu l’écriture, faute de savoir quelle suite lui donner. Le sujet : Sophie Van Er Meer, en conséquence d’un accident de la route, se retrouve affligée d’un mystérieux handicap : elle parle avec un étrange accent dont aucune thérapie ne parvient à la guérir et tombe en dépression. Là avorte le roman.

Désiré, immigré mauricien, balayeur municipal, trouve le sac, ouvre l’appareil, lit l’histoire… et s’impose à lui l’absolue nécessité de sortir Sophie de son état morbide. Ne sachant pas très bien écrire, il se fait aider par Marie, une bénévole de la soupe populaire à laquelle il a nécessairement recours pour se nourrir régulièrement, pour contacter Alexandre par courriel et lui proposer un singulier marché : il lui rendra son bien si l’auteur accepte en échange d’offrir à son personnage une porte de sortie ouvrant sur la voie d’une vie nouvelle où son accent ne constituera plus un attribut handicapant.

L’écrivain ayant relevé le défi, une correspondance s’établit, au cours de quoi le personnage de Sophie, quittant sur un coup de tête mari, travail, famille et tutti quanti se retrouve… à Maurice où, son accent passant pour être proche de celui des blancs mauriciens, elle peut sereinement essayer d’entamer une nouvelle vie.

Mariam Sheik Fareed est franco-mauricienne. Sa double connaissance, fondée sur une authentique double expérience vécue, de la France et de Maurice, et l’acuité de sa perception des spécificités socioculturelles de chacune des deux nations lui permettent de mettre en jeu la comparaison, la confrontation, et d’exprimer les impressions négatives ou positives que sont amenés à ressentir les deux protagonistes, Désiré et Sophie, l’un exilé en France, l’autre émigrée à Maurice.

On assiste avec tout ce qu’il faut de détails réalistes à la double narration, en miroir, des satisfactions et des désagréments qui ponctuent la vie quotidienne, relationnelle, professionnelle des deux transplantés, de leurs efforts respectifs pour appréhender les particularités d’un environnement social étranger et pour s’y intégrer de la meilleure façon qui soit malgré la précarité pécuniaire dans le cas de Désiré et une certaine instabilité psychologique dans celui de Sophie. On ne tombe néanmoins jamais, et c’est fort heureux, dans un documentarisme de sociologue qui eût transformé l’histoire en description insipide. Les personnages sont vivants, sentent, souffrent, aiment, apprécient, goûtent, acceptent, refusent, et, dans le cours du récit comme par le jeu des dialogues, expriment sensation et sentiments, tout autant que réflexions et commentaires plus ou moins explicites.

En parallèle se nouent des intrigues sentimentales que Mariam Sheik Fareed tisse avec délicatesse, alternant moments de tendres rapprochements, épisodes de prises de distance, et survenues de ces tensions que peuvent provoquer dans un couple mixte les différences culturelles, entre Désiré et Marie qui met par écrit, semaine après semaine, les divers décors insulaires, détails sociétaux, touches pittoresques, exotiques, culinaires, unités linguistiques imagées du morisyen, et autres éléments que l’ouvrier tient à communiquer à Alexandre, lequel en retire toute la substantifique moëlle propre à densifier l’ossature de l’histoire de Sophie à Maurice.

Désiré et l’auteur construisaient, au fil de l’échange épistolaire, sa vie et ses découvertes, créaient une femme nouvelle, aussi intéressante que l’ancienne […], lui dessinaient de concert une humanité différente…

Cette structure textuelle, outre le fait qu’elle « met en scène », pas à pas, courriel après courriel, le processus, ici singulier, d’une narration en construction, pose une intéressante question littéraire : qui, de Désiré qui fournit la matière, ou d’Alexandre qui s’en empare pour donner suite à l’existence de son personnage dont il a été, avant de l’expédier à Maurice sous l’impulsion du balayeur, l’unique destinateur, ou, encore, de Mariam Sheik Fareed qui délègue son pouvoir de création à un écrivain intra-diégétique, est le véritable auteur de l’histoire de Sophie ?

Les histoires secondaires, complémentaires, de Marie, d’Alexandre, de son ex-épouse Clo, du chauffeur de taxi qui prend en charge Sophie à son arrivée à Plaisance et qui devient son ami, s’imbriquent harmonieusement dans la texture principale, toujours amenées de manière quasi naturelle malgré leur nombre, en une parfaite cohérence narrative qui met en évidence la qualité de maîtrise d’écriture romanesque de cette auteure pour un premier roman dont on espère qu’il ne sera pas le dernier.

 

Patryck Froissart

 

Mariam Sheik Fareed est née à Londres d’une mère française et d’un père mauricien d’origine indienne. Elle vit actuellement en France, tout en effectuant régulièrement des séjours sur l’île paternelle. Le syndrome de l’accent étranger est son premier roman.

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A propos du rédacteur

Patryck Froissart

 

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Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.

Membre des jurys des concours nationaux de la SPAF

Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)

Membre de la SGDL

Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, dont certains ont été primés, un roman et une réédition commentée des fables de La Fontaine, tous désormais indisponibles suite à la faillite de sa maison d’édition. Seuls les ouvrages suivants, publiés par d’autres éditeurs, restent accessibles :

-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

-Li Ann ou Le tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

-L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)