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Roman

Maudit soit l’espoir, Burhan Sönmez

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 17 Mai 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Gallimard

Maudit soit l’espoir, janvier 2018, trad. turc, Madeleine Zicavo, 288 pages, 21,50 € . Ecrivain(s): Burhan Sönmez Edition: Gallimard

 

Depuis, au moins, Midnight Express (1978), les prisons turques traînent une réputation détestable et justifiée. Il est visible qu’en quarante ans les choses n’ont pas changé, comme s’il s’agissait d’une tradition dont le pays pût se déclarer fier, au même titre que les derviches tourneurs. Notons, sans la dénoncer, évidemment, l’étonnante passivité des organisations qui défendent les droits de l’homme, si chatouilleuses lorsqu’il s’agit d’autres pays de la région.

Au premier abord, le roman de Burhan Sönmez, Maudit soit l’espoir, est un réquisitoire accablant contre le système pénitentiaire turc, où la torture se pratique en dehors de toute extorsion d’aveux, sur des détenus aussi bien politiques que de droit commun, à qui les interrogateurs n’ont guère de questions à poser. La torture semble y être ce que sont les viols dans les prisons de femmes : une façon comme une autre de passer le temps. Burhan Sönmez connaît de première main la police et les geôles turques.

Un jeune homme en colère, Salim Bachi (2ème article)

Ecrit par Fawaz Hussain , le Jeudi, 17 Mai 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Maghreb, Gallimard

Un jeune homme en colère, février 2018, 198 pages, 18 € . Ecrivain(s): Salim Bachi Edition: Gallimard

 

Tristan ou Orphée ? Iseut ou Eurydice ?

Un jeune homme en colère n’est pas le premier roman que je lis de Salim Bachi, loin de là, mais c’est sans doute celui qui m’a le plus ému, au point que j’ai dû suspendre à plusieurs reprises ma lecture pour m’éponger les yeux. Il m’a également beaucoup fait rire, et réfléchir aussi. Dans cette narration à couper le souffle, la tragédie côtoie les scènes les plus loufoques et également les réflexions les plus sérieuses sur le temps qui passe et l’être humain qui trépasse.

Bien élevé, Tristan, le narrateur, se présente dès la première page. C’est la moindre des choses quand on descend d’une famille bourgeoise et qu’on fait partie, bon gré mal gré, des privilégiés. Ses parents lui ont donné ce nom en hommage à Wagner, sans se douter que leur rejeton deviendrait l’incarnation de la tristesse inconsolable. En baptisant sa sœur Eurydice, « par souci d’originalité », ils l’ont en quelque sorte condamnée au même destin que la bien-aimée qu’Orphée descend avec sa lyre chercher aux Enfers pour en revenir bredouille. Tout au long de sa confession d’enfant du XXIe siècle, Tristan vomira cette rage impuissante qui le fait souffrir dans sa chair et dans son âme.

Le Trille du Diable, romans, Dominique Preschez

Ecrit par Philippe Chauché , le Mardi, 15 Mai 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Tinbad

Le Trille du Diable, romans, février 2018, 152 pages, 18 € . Ecrivain(s): Dominique Preschez Edition: Tinbad

 

« Dans la vie éblouie par l’instant d’amour, où tout va sans rémission aucune ; oiseaux que nous sommes en fusion avec quel autre continent de nos propres origines, inconnues ? retenu par l’erreur fortuite d’une rencontre furtive, à pied d’air, l’homme jeune à genoux, goûte à sa langue percée d’un écrou qui adhère…

Le faut-il ? s’accorder avec le premier venu, comme si même à venir la vie se devait d’attendre la rencontre ; et se survivre à soi… ».

Le Trille du Diable accorde le roman, les romans, à l’improvisation musicale, la note, comme la phrase est tenue, elle virevolte et côtoie d’autres phrases, d’autres notes, qui ne cessent de résonner. Le Trille du Diable est un roman en résonnance avec la vie, les vies de Dominique Preschez. Dans la partition de sa vie vécue et romancée – Je vis, donc j’écris. Je vis, donc je joue –, l’écrivain musicien fait résonner sa phrase accordée à celle qui la précède et à celle qui va s’écrire, qui va naître – faire entendre les trilles avec ses petites figures de notes qui augurent de la suite –, comme naissent les accords les plus fulgurants et les plus surprenants. Et s’il mise sur la résonnance, il affectionne aussi les ruptures, les cassures, les changements de pied et d’accords, de tempo – écrire c’est aussi ne pas craindre de sauter dans le vide.

Poste restante à Locmaria, Lorraine Fouchet

, le Lundi, 14 Mai 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Héloïse D'Ormesson

Poste restante à Locmaria, avril 2018, 384 pages, 21€ . Ecrivain(s): Lorraine Fouchet Edition: Héloïse D'Ormesson

 

Chiara vit entre une mère peu chaleureuse, Livia, qu’elle appelle par son prénom, et sa marraine, Viola, qui a toujours cherché à compenser le manque d’affection de la mère pour sa fille. D’ailleurs, Chiara semble plutôt épanouie, tout juste affectée par l’absence de ce père qu’elle n’a pas connu et qu’elle s’est inventé à partir des nombreux portraits, qui, plus de vingt-cinq ans après le drame, hantent encore l’appartement.

Tout bascule le jour où Viola, trahissant le secret de Livia, dévoile à Chiara que son père ne serait pas ce bel Italien, renversé par une Vespa en traversant la Piazza del Popolo, avant sa naissance, mais un marin breton, que sa mère aurait rencontré juste après le décès de son jeune époux. C’est la consternation. Livia, de son côté, ne comprend pas pourquoi sa meilleure amie l’a trahie, mais cette dernière se mure dans le silence. Quant à Chiara, elle décide de tout quitter du jour au lendemain pour se lancer sur les traces de ce père hypothétique, qu’elle espère encore vivant.

La vérité attendra l’aurore, Akli Tadjer

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 11 Mai 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Jean-Claude Lattès

La vérité attendra l’aurore, février 2018, 248 pages, 18 € . Ecrivain(s): Akli Tadjer Edition: Jean-Claude Lattès

 

Mohamed est ébéniste au passage du Grand-Cerf à Paris. Il n’a pu résoudre l’énigme, la grande douleur de la disparition de son frère Lyes. Celle-ci est intervenue pendant les années de la guerre civile qui opposa les Islamistes du GIA à l’armée algérienne, causant la mort de plusieurs centaines de milliers d’Algériens. Le roman débute par la description d’une photo prise le 11 août 1993 au Cap Carbon, station balnéaire située sur la corniche kabyle. Mohamed a nourri, on l’apprend par la suite, de grands espoirs pour son frère, promis à une carrière brillante en préparant une grande école, un modèle d’intégration réussie… C’est leur mère, Aïcha, qui a décidé de célébrer l’anniversaire de Lyes dans son village natal à Kseur. Vingt-cinq ans plus tard, Mohamed reçoit sur son compte Facebook un message d’une certaine Houria, dont on apprendra plus tard, à la fin du roman, qu’elle a des liens de parenté avec Mohamed : il est son oncle. Pourtant, ce qui est décrit dans ce tendre roman, c’est le pouvoir de la nostalgie : celle de l’enfance de Mohamed à Gentilly, dont le cinéma Le Gaîté-Palace est le cœur des souvenirs, des films vus avec Nelly, une amie de l’époque dont Mohamed est toujours resté très amoureux. Nous nous construisons avec nos souvenirs d’enfance, et ne pouvons nous permettre le luxe de les évacuer :