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Roman

Patria, Fernando Aramburu

Ecrit par Nathalie de Courson , le Mercredi, 09 Mai 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Espagne, Actes Sud

Patria, mars 2018, trad. espagnol Claude Bleton, 614 pages, 25 € . Ecrivain(s): Fernando Aramburu Edition: Actes Sud

 

« Celui qui n’a pas lu Patria,c’est qu’il vit sur la planète Mars », entend-on dire ici et là en Espagne. Fernando Aramburu ne se plaint pas de son succès, bien que, disait-il le 4 avril à Paris, il s’agisse d’un phénomène social sans rapport direct avec la littérature. La modestie de ce propos ne doit pas nous empêcher d’accorder à Patria l’attention littéraire qu’il mérite.

Ce poignant roman au titre laconique pourrait avoir pour sous-titre « Histoire d’une discorde » car il met en récit la grande discorde civile du pays basque ravagé par les années de lutte armée que continua d’y mener, entre la mort de Franco et 2011, l’ETA (acronyme d’Euskadi Ta Askatasuna, signifiant Patrie basque et liberté).

Aramburu fait le choix de la présenter sous la forme d’une tragédie familiale couvrant un peu plus de deux générations. Bittori, villageoise en exil à Saint-Sébastien, pleure son mari Le Txato, patron d’une petite entreprise de camions, abattu à deux pas de chez lui, après un long harcèlement de graffiti et de lettres de menaces, pour avoir refusé de payer « l’impôt révolutionnaire ». L’amie d’enfance de Bittori, Miren, restée au village, récrimine contre l’incarcération interminable, au fond de l’Andalousie, de son fils Joxé Mari, membre de l’ETA ayant appartenu au commando qui a assassiné Le Txato.

L’Héritier du nom, Alexander Münninghoff

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 09 Mai 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Biographie, Payot

L’Héritier du nom, janvier 2018, trad. néerlandais, Philippe Noble, 350 pages, 22 € . Ecrivain(s): Alexander Münninghoff Edition: Payot

 

Né en Estonie, le philosophe Hermann von Keyserling a publié, entre autres livres, une célèbre Analyse spectrale de l’Europeet un recueil intitulé Voyage à travers le temps (Reise durch die Zeit). L’Héritier du nom, dont le sous-titre indique modestement « chronique familiale », constitue également, à sa manière, un voyage à travers l’Europe d’hier. Comme Keyserling, Alexander Münninghoff est originaire des Pays baltes, où son grand-père s’était installé en venant des Pays-Bas. Avec l’extermination de son importante communauté juive et quatre décennies de communisme, Riga (un peu comme Vienne) a perdu le caractère cosmopolite et commerçant que possédait cette vieille cité hanséatique avant la Seconde Guerre mondiale. Elle offrait alors l’hospitalité à des citoyens scandinaves, néerlandais et allemands (nous ne sommes pas loin de Königsberg, la ville natale de Kant). Il y était courant, du moins dans les strates supérieures de la société, de parler trois ou quatre langues.

Le Ciel est à nous, Luke Allnutt

, le Mardi, 08 Mai 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Le Cherche-Midi

Le Ciel est à nous, mars 2018, trad. anglais, Anne-Sophie Bigot, 448 pages, 21 € . Ecrivain(s): Luke Allnutt Edition: Le Cherche-Midi

 

Si certains pensent que le bonheur est inaccessible à la prose romanesque et que le roman ne peut fonctionner sans drame, Le Ciel est à nous pourrait constituer un parangon de ce principe littéraire. De bout en bout, le récit est habité par le drame, et les rares moments d’accalmie nous laissent hébétés, incrédules, courbant presque l’échine, prêts à accuser le coup suivant, que nous craignons toujours être le dernier, le fatal.

Pourtant, Rob et Anna sont l’incarnation du couple parfait : beaux, riches et intelligents, ils vivent et travaillent dans les quartiers cossus de Londres. Tout leur réussit, et, pour parfaire leur bonheur, il ne leur manque qu’un enfant. Bien qu’une première tentative échoue (comme un funeste présage), la suivante aboutit. Les voici donc les heureux parents du petit Jack, un jeune garçon épanoui, plein de vie, d’amour, et de candeur. Seulement la vie peut se montrer cruelle, injuste, et parfois même immonde, une vraie saleté. C’est sans doute ce que Rob et Anna ont ressenti le jour où ils ont appris le cancer de leur fils, puis tous les jours qui ont suivi, à compter de la minute où leur a été annoncé le caractère incurable de la maladie.

Des ailes au loin, Jadd Hilal

Ecrit par Dominique Ranaivoson , le Lundi, 07 Mai 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Elyzad

Des ailes au loin, mars 2018, 168 pages, 18,50 € . Ecrivain(s): Jadd Hilal Edition: Elyzad

 

Ou comment un jeune homme peut faire parler une lignée de quatre femmes et, à travers leurs voix, retracer l’histoire des exils successifs d’une famille palestinienne. C’est Naïma qui commence à Haïfa, « fjord méditerranéen », puis va dans les montagnes et au Liban, à Damas, à Beyrouth. Sa fille Ema raconte les mêmes errances, de son point de vue, jusqu’à la fuite vers Genève. Puis c’est la sienne, la petite-fille Dara, retournant dans son Liban natal avant d’être obligée elle aussi de le fuir. Enfin, l’arrière-petite-fille, Lila, entre dans le chœur. Elles évoquent aussi toutes les quatre leurs frères et sœurs, tantes, maris installés plus ou moins temporairement à Damas, Bagdad ou Abu Dhabi. Les voix s’entrecroisent ; chacun raconte le père, le mari, la maison, l’environnement. Le temps passe, les générations se succèdent et se côtoient, leur histoire personnelle s’inscrit dans l’Histoire par les dates et les références qui émaillent le texte : l’attentat de 1938 à Haïfa par les Juifs de la Haganah, 1947 et la « guerre civile en Palestine », la révolution palestinienne, la guerre au Liban en 1976 puis son « retour » en juin 1982, le 14 février 2005 et l’attentat contre Rafiq Hariri suivi de la « révolution », enfin le Hezbollah en 2006 qui capture des soldats israéliens et les bombardements du 7 juillet 2006.

L’Homme coquillage, Asli Erdogan

Ecrit par Carole Darricarrère , le Lundi, 07 Mai 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Actes Sud

L’Homme coquillage, traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, mars 2018, 208 pages, 19,90 € . Ecrivain(s): Aslı Erdoğan Edition: Actes Sud

 

En Turquie, on n’écrit pas avec le dos de la cuillère, fût-ce des romans, mais avec le talent farouche de ces écrivains qui avancent dans la vie comme en écriture le regard marqué au fer rouge et la langue scellée à leurs blessures, en suicidés de l’existence inaptes au bonheur souffrant d’un mal étrange que l’auteure nomme elle-même « la constipation de vivre » et pour lesquels la peau ne sera jamais synonyme de douceur.

Tranchant du corps du monde sur le terrain miné de la phrase, la somme de ces mots est plus qu’une histoire, celle d’une jeune-femme blanche, étrangère à elle-même en ce monde, proie forte sensible et seule. Amen corrosif de la différence, l’inconvénient d’être une femme dotée d’un esprit libre dans une société d’hommes (et il y a en beaucoup dans ce livre) nous fait ici violence. Posé là dans ce printemps monochrome loin très loin des îles Caraïbes, ce récit vaudou évoquant une sorte de courte saison en enfer sur une île censée vendre du rêve fait figure de bombe sur une étagère tant « (…) aux Caraïbes, qui peut dire où commence et où s’arrête le réel ? ».